Moulin à paroles - Mauvais calcul

1759 - Commémoration de la Conquête - 12 et 13 septembre 2009

Qu'est-ce qui, au juste, est pris à partie dans le Moulin à paroles: la lecture du Manifeste du FLQ ou la tenue même de l'activité? Si nul n'est tenu de participer à un événement qui ne cache pas ses couleurs, il faut toutefois s'interroger sur les mauvais prétextes invoqués pour se défiler.
Les organisateurs du déjà célèbre Moulin à paroles ont été très clairs: «On ne va pas se conter d'histoires, on n'est pas fédéralistes», a dit la metteure en scène Brigitte Haentjens. Ce qui n'empêchera pas la lecture de textes de Robert Bourassa, de Mordecai Richler ou de l'historien Marcel Trudel, saluant la Conquête parmi les quelque 140 écrits à teneur sociale ou politique dont il sera fait état sur les Plaines.
Mais puisqu'il ne faut pas se conter d'histoires, faisons-le jusqu'au bout: il aurait fallu une grandeur d'âme extraordinaire pour que le premier ministre Jean Charest accepte l'invitation de Biz et Sébastien Ricard, également organisateurs de ce Moulin. Après tout, leur chanson «Libérez-nous des libéraux» n'est pas vraiment une ode au parti au pouvoir... Si on ajoute à cela la présence massive de souverainistes parmi les lecteurs de la fin de semaine, on comprendra que le gouvernement n'ait pas eu envie de s'afficher dans un tel événement.
Le ministre Sam Hamad a fini par admettre l'évidence hier: les libéraux ne voulaient pas être présents à «une fête pour la famille indépendantiste». C'est leur droit. Mais au lieu de poliment passer leur tour, il a fallu que les libéraux, par la voix de M. Hamad, enflamment le débat en attribuant leur absence à la lecture d'un texte: le Manifeste du Front de libération du Québec. Qu'ils le veuillent ou non, ils se livrent de ce fait à une réécriture de l'Histoire.
Le Manifeste du FLQ est sans doute le texte politique le plus connu du Québec, et il aurait été invraisemblable que dans le cadre d'un événement axé sur la prise de parole, il soit écarté. Pour rendre l'Histoire dans ses mots, il faut la dire telle qu'elle s'est exprimée, même si ces mots sont durs, ou tristes, ou haïssables. La force d'un texte, mais aussi ses répercussions, entrent dans la donne.
Or le Manifeste a connu une diffusion à nulle autre pareille. Il a d'abord été publié dans des journaux, lu à la radio, sur les ondes de CKAC, et finalement, dans sa version la plus célèbre, lu aussi à la télévision de Radio-Canada. La magie du Web permet aujourd'hui à quiconque de réentendre Gaétan Montreuil réciter ce texte, et les cours d'Histoire en font aussi état. Ce n'est pas un texte tabou, mais porteur de leçons.
Leçon de revendications politiques qu'on peut contester, de moyens d'action qu'on ne peut approuver, mais aussi leçon de manipulation politique. Car pourquoi le Manifeste est-il si célèbre? Parce que des politiciens, mis au pied du mur par l'enlèvement de James Cross, ont voulu croire que cette concession au FLQ n'en était pas une. Ils pensaient que la seule lecture du Manifeste jetterait le discrédit sur le groupe.
Mais, et cela fait aussi partie de notre histoire, il suscita au contraire une sympathie populaire et bon enfant. Mauvais calcul politique, et grande candeur des gens. Car après, ce fut l'enlèvement de Pierre Laporte, puis son assassinat. Du coup, le Québec se réveilla guéri de toute tentation d'action politique violente. Par contre, c'est là que le contrôle politique dérapa -- ce dont on n'a pas fini de faire le tour, comme Le Devoir l'a fait voir hier, révélant l'existence de documents inédits qui témoignent de l'espionnage alors mené auprès des milieux souverainistes et syndicalistes.
Or, refuser le Manifeste du FLQ, c'est l'instrumentaliser à nouveau: d'un côté, il sert de prétexte à une non-participation gouvernementale éminemment prévisible, de l'autre, sa diabolisation le rend paradoxalement à nouveau séduisant, le temps d'un spectacle. Alors qu'il faut le lire pour reconnaître qu'il est puissant, instructif, dérangeant, mais qu'il date.
***
jboileau@ledevoir.com


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->