Monsieur 2% ?

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Chacun à sa place

Le dernier sondage a fait mal à Jean-François Lisée qui, selon la rumeur, se serait bien vu comme chef du Parti Québécois. Il obtient à peine deux pourcents et se retrouve bon dernier pour la course à venir, derrière des candidatures qu’on croirait pourtant mineures, comme celles de Martine Ouellet, qui jouera la carte de la gauche nationaliste, ou d’Alexandre Cloutier, qui jouera celle du souverainisme cosmopolite. Et une formule cruelle circule depuis quelques jours chez les souverainistes, qui se répètent en se frottant les mains: «Monsieur 2%». Elle est aussi injuste que méprisante, et n’est pas sans dégager un vilain parfum de vengeance, comme si on avait enfin l’occasion d’humilier un homme qu’on voudrait ramener à ras le bitume.
C’est que Jean-François Lisée traine la réputation d’un être snobinard et prétentieux. On le croit pédant et suffisant. Cette image déforme terriblement la réalité. Alors puisque l’occasion est donnée, les envieux et ceux que son brio terrifient ont enfin l’occasion d’y lancer quelques cailloux. Certes, Lisée se sait très intelligent, et cela l’amène quelquefois à vouloir qu’on le sache. À tort? Peut-être. Les Québécois sont ce qu’ils sont et préfèrent ceux qui affichent une mine de chien battu à ceux qui sont conscients de leur valeur. Il y a là pourtant quelque chose de triste, car Lisée n’a rien du personnage arrogant que se sont imaginés certains caricaturistes. Il suffit de le rencontrer pour découvrir un homme sympathique, avenant, drôle, empathique et cultivé. Il est agréable de partager un repas avec lui.
Si je prends la peine d’écrire cela, c’est que je déteste cette capacité qu’ont les médias d’imaginer un personnage à des années lumières de la personne réelle à laquelle il réfère. Surtout, je trouve absolument injuste qu’on évalue la qualité d’un homme politique à son poids dans les sondages, comme si sa vérité profonde s’y révélait. Quoi qu’en disent les spécialistes du marketing, la politique n’est pas qu’un concours de popularité. Et il suffit de lire les livres de Jean-François Lisée, davantage les premiers que les plus récents, peut-être, pour savoir que nous sommes devant un écrivain politique majeur du Québec contemporain, qui a réussi son passage à la politique active, même si la chose s’est montrée plus difficile qu’on s’y serait attendu.
La situation est la suivante: Jean-François Lisée est un homme de gouvernement de grande qualité. Il a su, autrement dit, passer du statut de conseiller pas vraiment occulte mais absolument libre de ses propos à ministre. Il se peut que les circonstances très particulières dans lesquelles se retrouve aujourd’hui le PQ exigent de ce dernier qu’il se tourne vers un autre type de leader. Pierre-Karl Péladeau semble appelé à devenir le chef du camp souverainiste et les militants péquistes pourraient bien le plébisciter. C’est plus que compréhensible. Mais si Pierre-Karl Péladeau devient chef, comme on peut s’y attendre, Jean-François Lisée jouera inévitablement dans son équipe un rôle fondamental.
On devine qu’il ne sera pas, contrairement à ce qu’on s’imagine, le gardien caricatural de la gauche péquiste, comme les paléo-socialistes du SPQ Libre, qui se prennent pour les gardiens d’un dogme dont ils sont toutefois les seuls croyants. Lisée représentera plutôt, on peut le deviner, une certaine idée «progressiste» du Parti Québécois, et j’ajouterais, d’une certaine idée de la social-démocratie québécoise. Elle ne sera peut-être pas aussi dominante demain au PQ qu’elle l’a été dans le passé : elle sera néanmoins incontournable dans la coalition nationaliste qui doit se réinventer. Autrement dit, qu’il pèse deux pourcents ou non, Lisée demeurera une figure majeure du camp souverainiste.
Les petits excités qui profitent de ses mauvais sondages dans le concours de popularité du moment pour chercher à l’humilier devraient garder la chose à l’esprit : il est bien plus indispensable qu’eux à l’avenir du mouvement souverainiste québécois. On pourra reprocher à Lisée les idées qu’on veut, et personnellement, je pourrais faire une bonne liste de mes désaccords avec lui. Mais cela ne m’empêchera pas de rappeler que les souverainistes ont avec lui un homme politique majeur, quoi qu’en disent les sondages, et quel que soit son sort dans la course à la chefferie qui vient.


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