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Au moment où Nicolas Sarkozy invite les Français à réfléchir à l'identité nationale, l'historienne Mona Ozouf publie une passionnante recherche sur l'identité bretonne et française, livre qui a obtenu le prix Bretagne 2009.
Votre père, dont vous évoquez la mémoire et les combats dans votre livre (*), a été un autonomiste breton. Il s'est battu pour la reconnaissance de la langue bretonne. À vos yeux, l'éradication du breton a-t-elle été un appauvrissement?
Bien sûr. On pourrait parler, à propos du résultat du combat de mon père, d'une défaite, dans la mesure où l'érosion de la langue bretonne s'est poursuivie. Mais on peut aussi présenter ces combats comme une victoire parce qu'une de ses préoccupations centrales était de lutter contre la honte d'être breton, contre le sentiment d'humiliation qu'on pouvait très souvent ressentir à son époque. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que le combat de mon père n'a pas été tout à fait inutile.
La République peut-elle demeurer «une et indivisible» en laissant quand même place aux différences et aux communautés?
Bien entendu. Cela me paraît même une évidence. Nous mesurons aujourd'hui l'injustice de l'Histoire nationale telle qu'elle est racontée dans nos vieux manuels scolaires. Je suis convaincue qu'il est possible d'imaginer que la fidélité à la culture nationale est compatible avec le respect des cultures locales. La France a toujours été un pays divisé : du temps des Gaulois, avec les Armagnacs et les Bourguignons, les Montagnards et les Girondins, les Versaillais et les Communards, les rouges et les blancs, la gauche et la droite. C'est peut-être parce que la France a été si divisée qu'elle a cultivé une espèce d'obsession de l'unité au prix d'une rigidité et d'un appauvrissement qu'on essaie aujourd'hui de compenser de diverses manières, et notamment en ce qui concerne les langues minoritaires.
Aujourd'hui, le gouvernement lance un débat sur la question de l'identité nationale. Est-ce à vos yeux un débat nécessaire?
Je voudrais être équitable à ce sujet. Ce débat est intéressant. Il est utile de se demander de quoi nous sommes faits. Il me paraît intéressant de réfléchir à la question de savoir ce que c'est d'être français. Répondre à cette question est quelque chose de tout à fait passionnant. Cela étant, le débat d'aujourd'hui me paraît tout à fait caractéristique de la tentation autoritaire française. Comment s'est construite l'identité nationale? Nous avons fait l'apprentissage de notre vie commune à travers des associations, des églises, des syndicats, des métiers, des villes, des régionsetc. Aujourd'hui, on lance un débat sur l'identité nationale du haut vers le bas. Il est, à cet égard, caractéristique qu'on ait choisi les préfets et les sous-préfets pour organiser ce débat. Cette question venue du haut révèle au fond un manque de confiance dans l'expression démocratique spontanée. Il me semble que cela traduit un manque de foi. Je me demande par ailleurs si cette démarche ne va pas être contre-productive. Je me demande si le fait de tenter de définir une identité nationale centralisée ne va pas réveiller des démarches qui iront exactement à l'inverse de l'intention affichée et du résultat recherché. Je suis méfiante, non pas sur l'intérêt profond du débat, mais sur la manière dont il est lancé. Cette manière est typiquement française, c'est-à-dire centralisée, gouvernementale et autoritaire.
(*)«Composition française, retour sur une enfance bretonne» (Gallimard)
* Propos recueillis par Philippe Reinhard
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