Avant toute chose, bonne Journée mondiale de la poésie !
Il y a une certaine querelle littéraire qui était déjà lancinante en 2001, et voilà que dernièrement, Marco Micone l’étirait et en remettait! Oh! pas tellement percutant, un peu fatigué on dirait, plutôt ennuyant : « Je suis lu par des milliers d’étudiants moi monsieur, je suis cité dans la dernière anthologie de Nepveu moi! »1 Il répondait, avec sept ans de retard, à une lettre ouverte de Gaëtan Dostie, elle-même mise en ligne douze ans après la parution de Speak What2… publié vingt et un ans après Speak White3. Peut-être Micone tenait-il maintenant à souligner sans le dire le quarantième anniversaire du poème de combat le plus connu – et l’un des plus radicaux – de notre littérature.
Mais quand même. Voici un bout de l’étrange lettre à laquelle il répondait :
« Voilà qu'un nouvel arrivant, avec quelque réputation du côté du théâtre, s'empare de ce texte symbole de nos blessures, de nos humiliations, il en fabrique une version javellisante, où le mépris n'est jamais dans le texte qu'on lit, mais dans la perversion, le détournement, le nivellement du texte qu'on censure. (…) Monsieur Micone, votre plagiat vous déshonore (…) Nous vous nions le droit de nous insulter (…) Nous vous nions le droit de faire votre réputation sur le dos de Madame Michèle Lalonde. Nous vous accusons de malhonnêteté, de mauvaise foi. Envoyez votre texte au dépotoir de l'Histoire, c'est tout ce qu'il mérite ! »4
C’est moi qui ai souligné quelques mots particulièrement étonnants. On parle de poésie (c’est ce qu’on dit) mais on se croirait dans une crise d’ego au caucus du PQ. Vu l’intelligence de Dostie, la réelle affection et l’estime obligée que lui porte la communauté poésienne, (moi inclus), l’écoute dont il en jouit, on serait en droit d’espérer qu’il regrette aujourd’hui le mauvais goût de certains mots cités plus haut, à cause de l’apparente xénophobie et de la petite dictature de façade qui entachent et dénaturent son message véritable, mais vraiment maladroit (l’émotion vous a des ces effets, parfois), message d’ouverture, de reconnaissance et de respect, valeurs que Dostie voulait de toute évidence défendre et promouvoir, en fait, sous des dehors un peu bourrus. Grande brute au cœur tendre, va!
Il faut rappeler, pour la petite histoire, que le principal reproche adressé à Micone (du moins le plus récurrent), depuis bientôt vingt ans, c’est d’avoir plagié Michèle Lalonde. Une question : qui, parmi ceux à qui s’adresse Speak What, peut ignorer à quel poème celui-ci réfère? Quels destinataires Micone pouvait-il désirer, sinon ceux que Speak White a fait vibrer, en 1968 comme ceux qui le découvrent encore, en 2008 ? Qui peut ignorer, en toute bonne foi, que parlez de choses et d’autres et parlez-nous d’autre chose, c’est parler de la même chose? Levez la main pour voir, on ne rigolera pas, promis. Du plagiat… les taquineries qu’on peut se lancer entre camarades !
On peut voir dans le texte de Micone un test. Une véritable épreuve, même, c’est le cas de le dire. S’il est permis de croire que l’auteur voulait effectivement partager, voire produire un malaise en 1989, on peut tout autant concevoir qu’il n’espérait certainement pas attiser la haine. Cette dernière entrait dans le champ des éventualités, des risques qu’il acceptait d’assumer. La polémique que ce texte continue de soulever, très forte, très émotive, montre bien à quel point le chemin est plus encombré qu’on croyait pour arriver vers l’autre, vers tous les autres, dont on se réclamait, il y a quarante ans.
Ce qu’il y a d’admirable dans cette polémique, c’est que ces textes jumeaux, dans le discours comme dans la forme, aient un degré zéro de polémicité réciproque, du point de vue idéologique du moins. Ce sont strictement les réactions des récepteurs de Speak What qui déterminent ce niveau, qui va de « aucun point de vue opposé » à « guerre à finir ». Qu’on me comprenne bien : je ne m’imagine pas que Speak What soit dépourvu d’ambiguïté (c’est souvent ce qui fait les bons poèmes) : Speak What est avant tout ce qu’on appelle une « critique constructive », faite sur le modèle de la coopération, et la reconnaissance de l’autre y est entière. Mais évidemment, en tant que « pastiche », le texte représente en soi une pointe d’ironie filée et quant au vers coup-de-poing « you sound like them more and more », c’est un appel à la vigilance, un avertissement sans équivoque.
Je reviens au plagiat, puisque j’ai, moi, une guerre à finir avec les à-peu-près. On voit dans le discours anti-Micone les mêmes réactions que celles des hommes d’Église face à l’hérésie : colère, sentiment de violence et de sacrilège (Dostie, dans sa réponse à Micone, parle de viol5)… et la censure : alors même qu’il nie ses droits à Micone (droit de nous insulter, droit de faire sa réputation sur le dos de Lalonde), il n’hésite pas un instant à taxer celui-ci de censeur.
Même si bien sûr, le plagiat, c’est tout le contraire de la censure. Citer, même sans le dire, ce n’est évidemment pas museler, c’est s’approprier, c’est voler peut-être, mais en tout cas, c’est montrer. Il faut sans doute voir, dans la réaction de certains, un rapport au sacré beaucoup plus hypodermique que les tenants du Refus global ne l’auraient souhaité. Dans une lettre ultérieure, Dostie compare même les défenseurs de Micone à l’Inquisition, alors que, clairement, c’est lui qui accuse, qui excommunie, qui condamne et qui dénie. On est ici dans le très, très, très sacré, dans le carnavalesque, même, bien bakhtinien, par l’inversion des rôles. Le reproche que personne n’adresse à Micone, le reproche qui n’ose jamais dire son nom, c’est bien d’avoir désacralisé l’œuvre de Lalonde.
Les mots « blasphème », « sacrilège », dans le Québec post-duplessiste, sont devenus un peu désuets, sans aucune portée juridique, ils ne sont donc plus utilisés que dans des acceptions très métaphorisées. Le sacrilège a même souvent une connotation jouissive. Curieusement, on ne veut plus utiliser ce mot pour décrire ce qui nous touche, nous, culturellement. Faute de mieux, on emploie des termes juridiques (inquisitoires) détournés, dévoyant du même coup des textes qui ne se réclamaient nullement d’une quelconque Institution (droits d’auteur, etc.), au contraire. Et ce, alors même qu’on cherchait justement à les défendre ! Une insulte aux mantras, aux textes sacrés, là, peut-être. Mais qui reproche à Prévert son Notre Père? Son Baptême de Judas à Vanier? Surtout pas moi. Certainement pas Dostie. On me dira que Speak White, ce n’est pas le Notre Père. Souhaitons-le !
Nous insulter. Qui est nous? C’est la question pas confortable qu’a lancée Micone, devançant de vingt ans une Commission dans laquelle le Québec s’est observé, souvent ébahi. Là où certains voient une insulte aux idéaux qui ont animé un peuple, on pourrait percevoir l’invite à renouer avec ceux-ci, à vivifier notre révolte et à renouveler notre pacte. Ou alors à se repositionner. Quelle posture adoptons-nous, aujourd’hui, face à la révolte? Est-ce que ce NOUS ne commencerait pas à réellement, à dangereusement épouser un langage more and more like them? Si ce n’est pas le cas, je vois mal à qui la réflexion proposée par Micone peut faire si mal, en quoi elle trouble tant les purs qui se réclament de la virginale Michèle Lalonde.
NOUS, intolérants?! Et mon injonction, tu le sens bien son humour, Micone??
C’est devenu ça la révolte?
Nul doute que Speak White soit l’« original », le poème de départ. Je tremble et je pleure chaque fois que je revois Lalonde le déclamer, magnifique, lors de la Nuit de la poésie de 1970. C’est un effet bien différent que me procure le poème de Micone. Il me fait réfléchir, douloureusement (on a le nous amoché, qui se vouvoie de plus en plus).
J’imagine que c’est aussi l’effet qu’il produit sur la plupart de ses lecteurs, puisque Speak White n’a jamais soulevé une polémique aussi émotive que sa suite logique, Speak What. (Speak White fait l’objet d’un tel consensus que Lucides et Solidaires se pousseront un jour du coude, à l’enterrement de Lalonde). Si White avait su conforter (j’emprunte le mot à Dostie) tous les francophones de gauche, ce qui était quasi un pléonasme à l’époque, What confronte, pose la question à ses lecteurs, individuellement, à savoir sur quelle idéologie ils sont assis, ce qui est partagé et ce qui est inconciliable, au-delà de la langue, dans ce qui avait légitimé Speak White et lui donne aujourd’hui encore toute sa force.
Et puis… il ne faut pas perdre de vue que ce sont en grande partie les rebelles de 1968 qui composent l’Institution d’aujourd’hui. Lorsqu’on prend le pouvoir, il faut accepter, docilement, de manger sa part de tarte à la crème, de temps à autres.
Sauf dans les dictatures, bien entendu.
Joyeux anniversaire, tout le monde!
***
David Wormäker, poète
1- Je caricature à peine. Voir sa lettre, datant du 22 février 2008, sur : [http://www.vigile.net/Speak-What->11977
]
2- Marco Micone, Speak What, VLB Éditeur, Montréal, 1989.
3- Michèle Lalonde, [« Speak White »->11979], Défense et illustration de la langue québécoise, L’Hexagone / Laffont, 1980.
4- http://archives.vigile.net/ds-idees/docs/dostie.html
5- Il dit cela dans une seconde lettre, où il répond cette fois aux commentaires que la première a suscités. On peut [la lire sur la même page->11977] que j’ai mentionnée plus haut.
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