Mon Bourgault à moi

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Et le Québec serait devenu un vrai pays...

J'ai vécu le premier référendum au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul. Assis devant le petit écran, dans la grande salle commune, j'ai assisté, en pleurant à chaudes larmes, à la défaite du OUI. Lorsque je suis sorti de prison, en novembre 1981, le Québec tout entier était plongé dans une profonde déprime, à tel point que quelques ouvrages, écrits par des psychanalystes de renom, furent publiés où l'on analysait la situation sous tous ses angles.
J'ai repris mon travail à la maison d'édition de Victor-Lévy Beaulieu, VLB éditeur. J'étais nouvellement en amour, j'étais revenu au Québec, après une dizaine d'années d'exil, et j'avais le vent dans les voiles, surtout que ces deux ans de pénitencier, au cours desquels j'avais appris le métier de bibliothécaire, étaient derrière moi, même si je devais me rapporter tous les mois, pendant la prochaine année, à un agent de probation fédéral. La déprime pour moi, très peu.
J'étais avide de découvrir ce qui s'était passé pendant ma longue absence, et c'est ainsi que je mis la main sur un article d'une certaine Chantal Bissonnette, publié dans le magazine Nous, dirigé par René Homier-Roy. J'appris rapidement que Chantal Bissonnette était en fait le pseudonyme de nul autre que Pierre Bourgault qui trouvait fort commode de se déguiser en femme pour brasser la cage des mœurs et des vieilles habitudes de vie. Je découvrais que pendant ces dix dernières années, une véritable révolution culturelle s'était produite et que nombre de tabous avaient sauté.
J'avais connu Bourgault au RIN, plusieurs années auparavant. J'avais milité dans le comté de Rosemont lors des élections de 1966 où se présentait Me Colpron pour le RIN. J'étais impressionné par les discours de Bourgault. Grâce à ses immenses talents d'orateur, il était capable d'enflammer n'importe quelle salle et en cela, il me faisait un peu peur car il me rappelait un ami de mon père, Adrien Arcand, le chef du parti fasciste dont, tout petit, j'avais entendu les discours. Mais heureusement les idées de Bourgault étaient aux antipodes de celles d'Arcand, il parlait de justice et de liberté.
Nous sommes au début de 1982. Comme je recherchais des projets intéressants de publication pour la maison d'édition, j'eus l'idée de rassembler certains écrits de Bourgault pour en faire un livre de référence incontournable. Bourgault était, pour moi, un personnage politique incontournable. J'en parlai à Victor-Lévy Beaulieu et le projet commença petit à petit à prendre forme. Bourgault, à l'époque, n'en menait pas large. Il était simple chargé de cours à l'UQAM, où il enseignait la communication. Il tenait également, je crois, une chronique hebdomadaire dans un quotidien anglophone de Montréal où il disait leurs quatre vérités aux Anglais qui voulaient bien le lire. Le projet de rassembler ses meilleurs textes en un seul livre le séduisit, d'autant plus que cela ne lui demanderait aucun effort supplémentaire. Bourgault est avant tout un homme de parole et écrire pour lui exige beaucoup de temps.
Pour moi, cet ouvrage pourrait devenir un puissant antidote à la morosité ambiante. Pourtant, les personnes consultées - libraires et autres partenaires commerciaux de la chaîne du livre - n'y croyaient guère. «Ce livre ne se vendra pas», «les gens sont désabusés et tristes», «ils ne croient plus possible l'indépendance du Québec», etc. Mais Bourgault semble participer de mon enthousiasme et il commence à dresser la longue liste de ses écrits, avec des dates plus ou moins précises et les lieux où ils ont été publiés. Le premier de ces textes remontait à la fin des années cinquante et avait été publié dans Le Devoir.
Commence pour moi de longues sessions de travail au pavillon Aegidius-Fauteux de la Bibliothèque nationale, à consulter les rouleaux de microfilm et à faire des photocopies des textes recherchés. C'est un travail épuisant car au bout de quelques minutes, on a le tournis et vous prend alors une envie de vomir qu'il faut contrer en se levant de sa chaise. Le lendemain, j'amenais les photocopies chez Bourgault, qui habitait alors rue Plessis, dans le centre-sud. Puis je repartais à la pêche, avenue de l'Esplanade, à la bibliothèque où se trouvaient conservées les précieuses archives.
Ce travail de recherche durera plusieurs semaines. Finalement, nous avions matière à publier deux livres : Écrits polémiques 1. La politique et Écrits polémiques 2. La culture. Ces ouvrages se vendirent fort bien et on les réimprima jusqu'à ce que j'en fasse des éditions de poche à l'usage du marché étudiant. C'était l'époque où les professeurs mettaient encore à l'étude de vrais livres et non pas des compilations de textes de différents auteurs.
Devant ce regain de popularité, Bourgault fut invité à donner des conférences un peu partout au Québec et on en fit des vidéos que le producteur vendait. Bourgault ne roulait pas sur l'or mais avec son salaire de professeur chargé de cours - il se faisait un devoir de ne pas rechercher la permanence à l'UQAM -, ses droits d'auteur, ses chroniques, il pouvait mieux respirer. C'est ce qui l'incita à chercher le grand air de la campagne. Il vendit sa maison et s'installa dans la vallée de la Yamaska, sur une ferme où il pourrait donner libre cours à sa passion de jardinier.
Étant mauvais administrateur, il eut quelques problèmes avec le fisc. Nous avons dû verser pendant une année ou deux, ses redevances au ministère du Revenu. Pour éponger la dette, il vendit sa ferme et s'installa sur le Plateau Mont-Royal.
Nous avons continué de collaborer, en publiant un tome 3, Écrits polémiques / La colère, faites surtout de ses chroniques au Journal de Montréal, puis j'ai repris en édition de poche ses entretiens avec Andrée Lebel, Le plaisir de la liberté, où il avouait pour la première fois son homosexualité. Lors des salons du livre, à Montréal et à Québec, il se faisait un plaisir de venir rencontrer son public en signant ses livres, chez moi ou chez Stanké.
Lorsqu'il sortit de l'hôpital après avoir subi une opération à cœur ouvert, il me présenta un dernier projet, qui ne verra jamais le jour : Une année d'enfer. Il se promettait de raconter, dans une première partie, comment il avait été bien traité à l'hôpital - tant de gens dénigraient le travail des infirmières et il voulait répondre à tous ces détracteurs de notre système de santé. La seconde partie était une attaque en règle du gouvernement de Robert Bourassa, malgré les liens d'amitiés qui l'unissaient toujours à ce premier ministre qui l'avait aidé jadis à se trouver un travail. Je lui avais versé alors une avance sur ses droits d'auteur pour garantir le contrat.
Puis vint la consécration. On lui décerna le Prix du Québec Georges-Émile-Lapalme, en 1997. Il m'invita à l'accompagner à Québec, en compagnie de son patron au département des communications de l'UQAM, Jean-Pierre Desaulniers, et d'une amie proche, Marie-Hélène Roy. C'était un honneur pour moi de figurer parmi les trois invités du grand Bourgault.
«Nous avons voulu changer le Québec et nous l'avons changé, déclara-t-il à cette occasion. Aujourd'hui, nos enfants de toutes origines se retrouvent dans notre langue commune et savent que le français, s'il nous isole en Amérique du Nord, nous ouvre aussi tous les horizons à travers le monde. Ils savent que quand nous défendons le français chez nous, ce sont toutes les langues du monde que nous défendons contre l'hégémonie d'une seule. Nos enfants savent que nous sommes là «pour rester».»
Sentant sans doute sa fin approcher et pour ne pas être en dette avec moi, il m'assura que ses différents écrits, se trouvant dans son ordinateur ou sur sa table de travail, me seraient remis. Après le décès de Bourgault, j'ai communiqué à maintes reprises avec Franco Nuovo pour qu'il me remette cet héritage, mais je n'ai rien reçu, ni documents, ni explications. Aujourd'hui encore, je me sens lésé.
Je n'ai pas assisté aux funérailles officielles. De voir tous ces gens qui hier encore le craignaient et le houspillaient pleurer son départ me révoltait. Je me suis simplement payé une publicité dans Le Devoir : «Il fallait à l'éternité un homme comme toi pour qu'elle parvienne un jour jusqu'à nous. Salut, Pierre, et merci!»
J'ai toujours pensé que Pierre Bourgault aurait été le seul politicien, s'il avait été élu premier ministre du Québec, à pouvoir s'opposer à Trudeau. Il lui ressemblait d'ailleurs. Il aurait pleinement assumé le pouvoir et aurait lancé à Trudeau: Just Watch me! Et le Québec serait devenu un vrai pays. Imaginez où nous serions rendus aujourd'hui.
Bonne fête nationale!


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