ARMES À FEU

Même sans données, Québec créera un registre

La Cour suprême autorise la destruction des données d’Ottawa sur les armes québécoises

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Quand Ottawa s’amuse à faire payer le Québec





Austérité ou pas, Québec ira de l’avant avec la création d’un registre québécois des armes à feu, et ce, même si la Cour suprême du Canada lui refuse l’accès aux données fédérales, lesquelles pourront du coup être détruites par Ottawa. Seul bémol : Québec continue de dire que ce registre devra respecter la « capacité de payer des Québécois ».


 

La décision du plus haut tribunal du pays clôt par une défaite pour Québec une démarche judiciaire entamée en 2012. Le jugement divisé, avec les trois juges québécois faisant bande à part, conclut que le gouvernement conservateur a tout à fait le droit de détruire les données contenues dans son registre sans les offrir à Québec. Le Québec, qui comptait sur ces données pour démarrer son propre système d’enregistrement des armes d’épaule, devra donc repartir de zéro. Sa détermination, assure la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, n’en est pas émoussée pour autant.


 

« Lors des commémorations du drame de Polytechnique en décembre dernier, le premier ministre s’est engagé à mettre en place un registre québécois des armes à feu sans restrictions, avec ou sans les données du registre canadien, et ce, à la hauteur de la capacité de payer des Québécois. Nous maintenons le cap. Il y aura bel et bien un registre québécois », a déclaré Mme Thériault, qui s’est dite déçue de l’entêtement d’Ottawa. « On va repartir de zéro. Et ça, je trouve ça dommage, parce que les Québécois ont payé pour avoir ce registre-là. C’est aussi avec notre argent. »


 

Mme Thériault promet que le projet de loi créant le registre sera présenté d’ici la fin de la session parlementaire. Elle en ignore le coût exact. « On s’attendait à avoir les données. Aujourd’hui, on ne les a pas. Donc, je serai très conservatrice dans les chiffres que je vais avancer, mais je peux vous dire que les évaluations préliminaires se chiffrent à environ 30 millions de dollars. Évidemment, les chiffres pourraient varier en fonction du type de registre que nous voudrions nous donner. »


 

La question du coût du registre est au coeur de cette saga qui dure depuis 1994, moment du dépôt de la Loi sur les armes à feu. À l’époque, le ministre libéral Allan Rock assurait que le registre à venir ne coûterait que 2 millions. Des années plus tard, le vérificateur général en était arrivé à la conclusion que la mise en oeuvre de la loi avait plutôt coûté un milliard de dollars.


 

Les militants pour le contrôle des armes à feu estiment que ce chiffre est trompeur. Ils rappellent que la loi de 1994 instaurait aussi le permis obligatoire de possession d’armes, permis qui s’obtenait au terme d’un examen des antécédents du demandeur. C’est cela qui a coûté le plus cher, soutient Wendy Cukier, la présidente de la Coalition pour le contrôle des armes à feu. « L’enregistrement des armes est un problème de gestion de données relativement simple », a-t-elle dit.


 

De cette loi de 1994 sont en fait nés deux registres. Celui d’Ottawa, qui recensait toutes les armes en circulation au Canada. Et celui des provinces — qui existe toujours —, qui recense les titulaires de permis. Ce sont les données relatives aux armes d’épaule contenues dans le registre d’Ottawa (90 % d’un total d’environ sept millions d’armes) qui étaient en litige et qui seront détruites « incessamment », selon le ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney. Les données relatives aux armes de poing et aux armes prohibées (automatiques) sont maintenues. Il y a un peu moins de deux millions de titulaires de permis, dont le quart au Québec.


 

Poly pas unanime


 

Heidi Rathjen, de « Poly se souvient », a souligné qu’en l’absence de registre, qui relie chaque arme à un propriétaire, il sera beaucoup plus difficile de s’assurer qu’un individu ne revend pas son arme à une personne non-détentrice d’un permis. L’absence du premier registre compromet ainsi l’efficacité du second, selon elle.


 

Nathalie Provost, qui avait été blessée à Polytechnique en 1989, n’a pas manqué de souligner les contradictions d’un gouvernement qui criminalise le discours terroriste avec le projet de loi C-51 et qui détruit le registre. « Je ne comprends pas qu’on puisse en même temps vouloir contrôler les esprits, mais pas les armes. »


 

La National Firearm Association s’est réjouie du jugement. Son directeur québécois, Claude Colgan, a dit que ses « premières pensées » allaient à sa soeur, qui a été tuée à Polytechnique. Hélène Colgan a été présentée par sa famille comme une « pro-armes », qui croyait à l’autodéfense et qui aurait été armée à l’école si la loi le lui avait permis, ce qui aurait pu empêcher le carnage. « Mon cousin Roger est mort d’un accident de vélo de montagne. Je ne suis pas parti en guerre contre les vélos de montagne pour autant, a lancé M. Colgan. Ma soeur a été tuée par un individu mal intentionné. »


 

Le premier ministre Stephen Harper, qui était de passage à Saint-Apollinaire au Québec, s’est réjoui du fait que cette décision lui permet de remplir sa promesse de 2011. En campagne électorale, il avait promis d’abolir le registre « une bonne fois pour toutes », une formule qui, on le comprendrait par la suite, laissait présager la destruction des données pour empêcher les provinces de s’en servir.


 

« C’est important de noter que nous avons fait une promesse à la population des régions, pas seulement hors Québec mais au Québec aussi », a indiqué M. Harper. Il a tenu à souligner que les armes continuaient d’être contrôlées au Canada par l’émission de permis et l’enregistrement des armes de poing et prohibées. « Nous avons déjà beaucoup de contrôle. Il n’est pas nécessaire, à notre avis, d’avoir un autre registre inefficace et inutile. » Autant le Nouveau Parti démocratique que le Parti libéral se sont dits déçus de la décision de la Cour, même s’ils se sont tous deux engagés à ne pas recréer un registre s’ils étaient portés au pouvoir.


  

Un jugement divisé


 

Au nom de la majorité de cinq juges, les juges Thomas Cromwell et Andromache Karakatsanis écrivent que « les tribunaux ne doivent pas s’interroger sur la sagesse d’une loi : ils doivent uniquement se prononcer sur sa légalité ». Or la destruction des données

« est un exercice licite de la compétence législative en matière de droit criminel ».


 

Fait remarquable, la dissidence est signée par les trois juges québécois — Richard Wagner, Louis LeBel, Clément Gason —, auxquels s’est jointe Rosalie Abella. « Le Parlement ou une législature provinciale ne peut légiférer pour mettre fin à un tel partenariat sans tenir compte des conséquences raisonnablement prévisibles de cette décision pour l’autre partenaire. » Pour prouver que le registre découlait d’un tel partenariat, les dissidents s’amusent à citer le discours à la Chambre des communes livré en 1995 par un certain… Stephen Harper.


 

Notons que beaucoup des données qui seront détruites étaient probablement périmées. Depuis 2006, les conservateurs accordaient une amnistie aux propriétaires qui n’enregistraient pas leurs armes d’épaule.



Avec Marie Vastel







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