Historien et philosophe, Marcel Gauchet, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales réagit à l'affaire Bettencourt et à ses répercussions politiques dans un entretien au Monde. Extraits.
L'affaire Woerth-Bettencourt n'est-elle, selon vous, qu'une affaire parmi d'autres ?
Marcel Gauchet : La dimension "affaire" me paraît secondaire par rapport à une remise en question, plus diffuse et plus large, du pouvoir sarkozien. Comme souvent en politique, il s'est produit une cristallisation conjoncturelle à partir d'un accident judiciaire qui, en principe, ne concernait en rien le pouvoir politique. Par ricochets, on aboutit à une situation qui permet l'expression de reproches et de frustrations qui étaient dans l'air mais ne trouvaient pas de support pour se formuler de manière directe. La dimension "affaire" peut passer, mais l'effet d'image, lui, demeurera.
Cette affaire marque-t-elle une étape dans le mandat de Nicolas Sarkozy ?
Elle me semble marquer l'arrivée de la facture de la crise. C'est ce qui explique son retentissement. La crise prend complètement à contre-pied le dispositif politique de Sarkozy, à savoir le projet d'une banalisation libérale de la France, pour sortir d'une exception jugée dommageable par les élites.
Cela se résumait dans l'idée chère à Sarkozy de décomplexer le rapport des Français à l'argent, sur le thème "laissez faire les gens bien placés pour gagner beaucoup d'argent, et vous en profiterez tous". Son tour de force a été de présenter cela comme une forme de justice : "Si vous vous donnez du mal, vous gagnerez, seuls les paresseux perdront." Il avait trouvé un thème de campagne très efficace, en conciliant libéralisme et justice.
La crise a réduit à néant cette belle construction. Dans un premier temps, Sarkozy s'en est très bien tiré, en affichant son volontarisme. Mais les belles paroles n'ont pas eu de suite. Nous savons que la facture de la rigueur va être lourde et que nous allons tous devoir payer plus d'impôts. Cela repose le problème de la justice fiscale et sociale en de tout autres termes, et cela jette une autre lumière, rétrospectivement, sur les intentions initiales. L'affaire Woerth-Bettencourt restera peut-être sans aucune suite, mais elle révèle quelque chose de profond. Elle fait surgir au grand jour la désillusion de l'opinion à l'égard de la promesse sarkozienne.
Au-delà de cette affaire, avez-vous le sentiment d'une remise en question des principes démocratiques ?
Non, au contraire. Ce n'est pas la démocratie en tant que telle qui est remise en question, c'est la manière dont certains en profitent. Le culte de la chose publique est plus fortement intériorisé en France que partout ailleurs. Les gens sont donc très choqués quand les individus au pouvoir se comportent en individus privés. La plus grande faille de Nicolas Sarkozy, c'est qu'il n'a pas le sens de l'institution. Le côté privé du personnage prend toujours le dessus. Il n'arrive pas à être un homme d'Etat.
Lire l'intégralité de cet entretien dans l'édition abonnés du site et dans Le Monde daté du 18-19 juillet, disponible dans les kiosques ce samedi à partir de 14 heures.
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Propos recueillis par Marie-Pierre Subtil
Marcel Gauchet : "L'affaire Woerth réactive le contentieux entre le peuple et les élites"
La plus grande faille de Nicolas Sarkozy, c’est qu’il n’a pas le sens de l’institution. Le côté privé du personnage prend toujours le dessus. Il n’arrive pas à être un homme d’Etat.
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