Médias

Manifester au temps du numérique

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012



C'est la génération numérique qui manifeste depuis des semaines partout au Québec. Elle était encore en surnombre dans les rues ce week-end, à Montréal et à Rimouski.
Les étudiants qui obtiendront leur diplôme du collège dans quelques semaines et qui accéderont à l'université en septembre sont nés pour la plupart autour de 1993. Cette année-là, le navigateur NCSA Mosaic entrait en fonction, entraînant une augmentation exponentielle de la popularité du World Wide Web.
La dernière grande grève étudiante, en 2005, utilisait déjà Internet, le courriel et la photo numérique, mais pas les médias sociaux et les plateformes multimédias, qui n'existaient pas ou en tout cas pas avec la même vitalité. Facebook a été inventé en 2004 et n'a conquis le monde qu'en 2006 alors que Twitter naissait à son tour. YouTube date de février 2005. Depuis, la belle jeunesse a aussi généralisé l'utilisation des appareils mobiles. Les trois quarts des Québécois de 18 à 25 ans possèdent maintenant un cellulaire et le quart un téléphone réputé «intelligent».
Les contestataires bataillent sur tous les fronts virtuels. Leurs petits écrans servent à mobiliser les troupes, organiser les manifestations, capter et relayer les informations en temps réel, immortaliser la lutte. Photos, textos, vidéos deviennent de nouvelles armes de la critique et de la protestation.
Les communautés virtuelles très hétéroclites nourrissent la masse et stimulent le sentiment d'appartenance, la solidarité. La société en réseaux juxtapose et agrège les expériences, les témoignages, les décisions stratégiques.
Des ailes à l'imagination
Ce rapport au virtuel, surtout à l'image, omniprésente et instantanée, semble aussi jouer un rôle dans l'amplification de la force festive des manifestations, de leurs qualités «esthétiques». La vague de 2005 avait déjà adopté le carré rouge. Maintenant, la lutte empourprée se décline de mille et une belles manières originales, ici une danse à claquettes dans le métro, là une parade de faux gosses de riches, vite relayées partout, pour tous. Le virtuel donne des ailes à l'imagination réelle du contre-pouvoir.
La caisse de résonance diffuse les moindres bruits, avertit des grands et des petits mouvements en complément, voire en contradiction des médias traditionnels. Souvent avec humour en plus.
Quand l'omnicommentateur Richard Martineau a gazouillé de l'ironie sur de prétendus étudiants biberonnant de la sangria à une terrasse d'Outremont («La belle vie!»), il a subi une drolatique cyber-contre-attaque. Une fausse page Wikipédia le ridiculise comme vire-capot, parvenu et embourgeoisé. Au-tre signe de l'extension numérique du domaine de la lutte: un article de la vraie de vraie encyclopédie en ligne libre et participative traite longuement et sérieusement de la «Grève étudiante québécoise de 2012».
Cela dit, la dématérialisation sert parce qu'elle s'arrime à des actions concrètes. Comme en 2005 ou en 1968. Comme toujours quoi. La contestation sociale n'a pas besoin de Twitter ou de Facebook pour interpréter et transformer le monde. Dans un texte disponible sur le Net (Small Change, Why the Revolution Will Not Be Tweeted, paru dans The New Yorker en octobre 2010), l'essayiste canadien Malcolm Gladwell affirme même que l'interconnectivité contemporaine peut nuire à la mobilisation réelle, seule ultimement nécessaire et efficace. On connaît bien la recette: il est beaucoup moins engageant de signer une pétition en ligne soumise par un «ami» virtuel que de se présenter en personne pour manifester, tout casser ou se faire taper dessus par de réels ennemis...
M. Gladwell oppose les «liens faibles» au «grand risque» de l'activisme, surtout dans un contexte hyperrépressif, en Libye l'an dernier, en Syrie cette année. Seulement, partout, y compris dans notre société démocratique, n'est-ce pas simplifier outre mesure que d'opposer technique et politique?
Les deux réalités avancent en cordée, au service du pouvoir et du contre-pouvoir. Les moyens de communication aident à surveiller et à punir, mais aussi à s'informer, à débattre, à s'organiser. Et chaque génération cherche à réinventer le monde avec ses peurs, ses espoirs et ses moyens...


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