"Les deux solitudes de l'histoire militaire vues par le cinéma"

Loin des contextes

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire


Je me réfère à l'article de [M. Mourad Djebabla dans Le Devoir du 11 novembre 2008->16094].

Du point de vue strictement littéraire, cet article est certes superbe. Il lui manque cependant un élément majeur dans un sujet de ce genre: une stricte connaissance du contexte. Les textes ne suffisent pas dans une question qui comporte une indéniable dimension géopolitique.

Le terme "deux solitudes" pour "séparer" le "Canada français" du "Canada anglais" est littéraire et n'explique en aucune manière cette réalité continentale qu'est le Canada, dont le point de départ s'est situé dans les basses terres du Saint Laurent, devenues par la géographie et l'histoire le fief et le foyer national du peuple descendant des premiers colons de Nouvelle France, dont la survivance et les expansions tentaculaires paradoxales s'expliquent, non par les sentiments et les émotions mais les règles rigoureuses de la géopolitique, cette fonction de la géographie qui étudie systématiquement les constantes à partir desquelles se forment les nations et les États.

La Nouvelle France a vécu plus de 150 ans de guerres. Bon gré mal gré, les colons qui devaient défricher et mettre en valeur un territoire qui compte parmi les plus rudes de toute la terre, devaient également pourvoir aux exigences du commerce des fourrures et fournir des contingents de miliciens territoriaux pour prêter main forte à l'armée française qui manquait toujours de combattants en nombre suffisant. De plus, les colons devaient également pourvoir à la logistique de la colonie et de l'armée envoyée de France pour la défendre.

Les Anglais n'ont jamais gagné en Amérique du nord une guerre contre la France. La dernière bataille était celle de Sainte Foy, au printemps 1760, non celle des plaines d'Abraham le 13 septembre l'année précédente, après laquelle les Anglais ont passé l'hiver à Québec, protégés contre le froid terrible par les bons soins des Habitants, rétribués en bonne monnaie d'or comme il se doit. Dans l'isolement du Québec et dans la neige, les Anglais n'avaient pas le choix. N'étant pas en position de force, ils ont bien traité les Habitants en attendant qu'une décision diplomatique se prenne entre les rois de France, d'Angleterre et d'Espagne au sujet de leurs colonies d'Amérique.

Cette décision est venue trois ans plus tard, avec le Traité de Paris du 10 février 1763, lorsque le roi de France Louis XV a bel et bien fait "cession" de la Nouvelle France alors qu'il avait le choix de la garder. Mais la France avait des visées hégémoniques dans les Antilles et se préparait à venir en aide aux Yankees de Nouvelle Angleterre par l'envoi d'une armée et d'une flotte de guerre. Dans cette conjecture, qui obligeait l'Angleterre à disperser ses effectifs militaires sur de grandes étendues, les colons restés seuls dans le Saint Laurent face aux Anglais n 'étaient pas dépourvus de moyens pour s'imposer aux "vainqueurs". D'abord la géographie leur venait en aide, aidée par l'histoire des guerres qui opposèrent l'Angleterre aux Yankees et par après contre les États Unis d'Amérique.

Dès 1774, l'Acte de Québec, qui accordait des concessions majeures aux colons du Saint Laurent témoigne de la
faiblesse de la position anglaise, déjà confrontée aux Yankees de Nouvelle Angleterre, dont le nombre dépassait deux millions et demi de sujets. Il n'y a pas de "concession" en politique, qui demeure toujours affaire d'intérêts et de rapports de forces. Les "concessions"accordées aux colons du Saint Laurent en témoignent amplement.

Désormais, les guerres qui opposaient l'Amérique Britannique du Nord (Canada) à différents adversaires n'étaient pas des guerres canadiennes ou québécoises mais des guerres impériales. C'est aux côtés de l'Angleterre que Québécois et Canadians ont participé à ces guerres, dont la guerre de Boers, la Première et la Seconde guerre mondiales, la guerre de Corée (dans les Commonwealth Forces).

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J'ai fait carrière dans la British Army (Canadian) de 1947 à 1976. J'ai été commissionné officier le 1er décembre 1948 par le roi George V1 et re-commissionné par la reine Élizabeth Deux, après la mort de son père. Pendant deux ans, en Allemagne du nord, j'ai servi avec la British Army on the Rhine sous le commandement du général anglais Sir Dudley Ward, avec qui je m'entendais fort bien. Pendant trois ans, de 1961 à 1964, j'ai été "prêté" au gouvernement du Ghana, dans le cadre des Programmes d'Assistance aux Pays du Commonwealth, pour travailler à l'organisation d'un nouveau collège militaire pour futurs officiers ghanéens, à Teshie près d'Accra, la capitale. Le pays était en pleine guerre civile.

De 1968 au printemps 1969, j'ai servi avec l'Organisation des Nations Unies à Chypre, mais nous tombions quand même sous autorité britannique. J'étais officier et en service à la base de Saint Jean sur Richelieu au moment de la crise d'octobre 1970. Je ne voyais nulle "insurrection appréhendée" ni menace de coup d'État nulle part. J'en ai conclu que la Loi des mesures de guerre était une déclaration de guerre contre le Québec, ce qui a été confirmé par les événements qui ont suivi, alors que plusieurs officiers et soldats Québécois ont entrepris de tuer dans l'oeuf toute tentative d'intervention militaire injustifiée contre le Québec. Les procès de Nüremberg qui ont suivi la seconde Guerre mondiale ont fourni les justifications morales nécessaires à de telles initiatives de la part des militaires Québécois.
***

La seule véritable guerre qui impliquait directement les Québécois s'est produite dans le golfe Saint Laurent, de l'été 1942 à l'été 1944, alors que des sous-marins allemands sont entrés dans le Golfe pour détruire les cargos destinés à l'Angleterre. Il était évident que ces sous-marins n'empruntaient qu'un seul chenal, celui du sud, sans doute parce que le golfe Saint Laurent est extrêmement dangereux à la navigation. Il aurait été facile de les couler à partir d'une simple artillerie de campagne installée sur les rives mais rien ne semble réellement avoir été fait pour s'en débarrasser. Il semble que le gouvernement d'Ottawa ait exploité cette circonstance pour mousser sa propagande de guerre et lancer ses emprunts publics. Après tout, le golfe Saint Laurent s'est déjà avéré un formidable obstacle naturel contre les invasions en provenance de l'océan. Plus de 4000 épaves dont deux flottes de guerre anglaises envoyées capturer Québec jonchent ses fonds.

La participation obligatoire des Canadians et des Québécois à la seconde Guerre mondiale a été rejetée au Québec parce qu'il s'agissait d'aller défendre les intérêts de l'Angleterre et de l'Empire Britannique. Par le truchement d'une propagande qui exploitait à fond "l'emotionnal appeal", les Canadians se sont plus facilement laissés séduire mais ils voient les choses autrement maintenant. J'ai pu le vérifier à Toronto, pendant les 18 années qui ont suivi mon service militaire, alors que j'enseignais la géographie générale et la géopolitique, matières pour lesquelles j'avais été formé avant d'entreprendre une carrière dans l'armée.

Quant aux deux films Le Déserteur et Passchendaele, s'ils contiennent des éléments valables pour expliquer la mentalité de ces deux époques, ils demeurent loin des contextes qui ont valu aux colons du Saint Laurent de survivre et de progresser envers et contre la volonté anglaise, loyaliste et orangiste. Comme jadis l'Imperial Unity, dont fait référence le monument à la guerre des Boers sur le carré Dominion à Montréal, l'unité canadienne fondée sur l'inféodation inconditionnelle au pouvoir post-impérial, centralisateur, unitaire et arbitraire d'Ottawa ne fera qu'un temps.

René Marcel Sauvé, géographe, auteur de
Géopolitique et avenir du Québec

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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].





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