Pendant toute la campagne électorale de 2007, l'ancien chef péquiste André Boisclair résumait ainsi, à chacun de ses discours, les problèmes de Jean Charest: «Les Québécois ne croient pas le premier ministre, et quand quelqu'un n'est pas cru, il est cuit!»
Bon, comme oneliner de campagne, on a déjà vu plus efficace, mais il faut avouer, quatre ans plus tard, que cela mettait tout de même le doigt sur un gros bobo chronique de Jean Charest.
CROP a voulu vérifier si les Québécois sont d'accord avec la conclusion du rapport Bastarache, selon qui Marc Bellemare n'a pas été contraint de nommer des juges. La réponse est aussi claire que dévastatrice: les deux tiers des répondants rejettent cette conclusion.
Ce n'est pas le juge Bastarache que les Québécois ne croient pas, c'est Jean Charest. Une forte majorité de répondants pensent d'ailleurs que la création de cette commission n'était qu'un prétexte.
Dans son analyse, CROP écrit: «Le premier ministre a remporté une victoire légale, mais a perdu la bataille de l'opinion publique.»
En fait, Jean Charest avait perdu cette bataille bien avant de lancer la commission Bastarache. Et le sentiment répandu qu'il s'est payé un tel exercice à nos frais pour régler ses comptes ou faire diversion n'aidera certainement pas à redorer son image.
Jean Charest, déjà en mauvaise posture dans l'opinion publique, perd encore des points. Qu'une majorité de répondants croient davantage Marc Bellemare que leur premier ministre démontre clairement le déficit de confiance envers ce dernier.
Cela n'est pas tout à fait nouveau. Le chef d'un gouvernement qui croupit sous les 25% de taux de satisfaction ne peut prétendre être en lune de miel avec ses concitoyens.
Ce qui est inquiétant dans ce sondage, c'est la dégringolade de la confiance envers les juges, une réaction démesurée et irrationnelle, probablement due, souhaitons-le, à un mouvement émotif dans les heures qui ont suivi la publication du rapport Bastarache. Les juges sont des victimes collatérales de la guéguerre Charest-Bellemare.
Chose certaine, la «bataille de coqs de village» Charest-Bellemare, comme l'a surnommée un internaute sur mon blogue, ne laisse personne indifférent.
Sur mon blogue, justement, les commentaires entraient hier avec régularité et les opinions étaient tranchées.
Pour les uns (majoritaires, comme dans le sondage), Jean Charest a obtenu le rapport complaisant auquel il s'attendait et devrait retirer sa poursuite civile contre Marc Bellemare. Pour les autres, ce dernier est un fabulateur qui n'a plus aucune crédibilité, et Jean Charest fait très bien de le poursuivre.
D'autres encore vont plus loin et traitent carrément l'un ou l'autre de fieffé menteur.
Qui dit vrai? Qui ment? Qui ne dit pas tout? Toutes ces questions nous conduisent à des procès d'intention sur l'un ou l'autre des acteurs, mais nous éloignent du vrai débat.
Que Marc Bellemare et Jean Charest se chamaillent et se traitent de menteurs à qui mieux mieux, tant pis pour eux. La vraie question était de savoir si le public peut toujours avoir confiance en la magistrature.
Or, personne, pas même Marc Bellemare, n'a jamais mis en doute la compétence des juges. M. Charest peut bien dire que tout ça, c'est la faute de Marc Bellemare, c'est tout de même lui, le premier ministre, qui a ordonné cette enquête.
C'est lui aussi qui a changé le processus de nomination des juges après son arrivée au pouvoir, entrouvrant la porte à des pressions politiques. Processus qu'il dit maintenant vouloir changer, comme le recommande le commissaire Bastarache. Le changement intervenu en 2003 n'est tout de même pas la faute de Marc Bellemare.
Par ailleurs, retour à la case départ: si Jean Charest a toujours cru que Marc Bellemare dit «n'importe quoi», comme il l'a déjà affirmé, pourquoi fallait-il ouvrir cette commission? Pour protéger l'intégrité de la magistrature, un milieu éclaboussé, comme nous a expliqué Jean Charest, ou plutôt pour se protéger lui-même?
Pour protéger la magistrature, c'est raté, apparemment.
Pourtant, malgré les doutes d'une partie de la population, la magistrature est solide, compétente, exemplaire même à bien des égards, et elle aurait très bien pu survivre aux allégations de Marc Bellemare, qui auraient fini par s'estomper.
Franco Fava et Charles Rondeau, deux collecteurs de fonds de la vieille école, des bagmen d'une autre époque, ont fait plus de mal à la magistrature que n'en fera jamais Marc Bellemare.
Ensuite, si M. Charest s'inquiète de l'intégrité des institutions, il devrait s'intéresser aussi au milieu de la construction, une industrie qui brasse des affaires de plusieurs milliards de dollars de fonds publics chaque année et qui se retrouve aujourd'hui dans un état cent fois plus inquiétant que celui de la magistrature.
Mais Jean Charest ne veut pas de commission. Trop risquées, les commissions. Trop imprévisibles.
Si Jean Charest avait besoin d'une autre preuve qu'un gouvernement n'a rien à gagner avec une commission d'enquête, il n'aura qu'à regarder les résultats du sondage CROP pour s'en convaincre.
Les victimes collatérales
«Le premier ministre a remporté une victoire légale, mais a perdu la bataille de l'opinion publique.»
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