Les valeurs chrétiennes en héritage Oui, mais lesquelles ?

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Laïcité — débat québécois

(Photothèque Le Soleil)

S'il est un mot qu'il m'est de plus en plus difficile à entendre ou à lire, c'est bien le mot «valeur». Utilisé à toutes les sauces et dans toutes les intentions, ce mot semble avoir perdu toute «valeur» justement! Il est devenu le mot passe-partout de tout politicien en quête de manipulation ou de tout tribun en mal de charme et, depuis peu, de tout religieux en quête de ré-évangélisation. J'en veux pour preuve la dernière sortie de Raymond Gravel, prêtre-député bloquiste, publiée dans quelques quotidiens québécois le 8 septembre 2007.
Dans sons texte, Raymond Gravel dénonce le mouvement laïc québécois (MLQ) utilisant des arguments faiblards que je laisse à d'autres le soin de relever. Pour ma part, je désire plutôt revenir sur l'utilisation des «valeurs chrétiennes auxquelles les Québécois sont demeurés fidèles» comme l'affirme le prêtre-député. Sans toutefois ne jamais identifier ces valeurs. M. Gravel nous présente un bel emballage et nous laisse croire en la vertu du cadeau, laissant nos désirs inconscients le définir. Mais, à l'ouverture du colis, la surprise risque d'être plus grande encore. Et pour cause.
Lesquelles au juste...
Alors posons-nous la question. Quelles sont donc ces valeurs chrétiennes qui nous seraient si chères et qui seraient directement constitutives de notre héritage, de notre culture et de notre identité? Bien sûr que l'Église catholique a joué un rôle prépondérant dans l'histoire et la vie des Québécois. Je serai éternellement reconnaissant envers plusieurs religieuses de Grande-Vallée en Gaspésie qui m'ont instruit et éduqué au secondaire. Mais toutes et tous n'ont pas eu cette chance. Parlez-en aux orphelins de Duplessis et à certaines familles, amérindiennes, entre autres. Mais d'autres Églises aussi ont contribué à l'histoire des Québécois. Les protestantes, entre autres. Souvent pour le mieux, mais aussi pour le pire parfois, pour chacune d'elle. On pourra y revenir. Ce n'est pas l'objet de mon propos aujourd'hui.
J'aurai bientôt 60 ans. D'origine gaspésienne, je suis le second et le fils ainé d'une famille de 14 enfants. J'ai été élevé dans le catholicisme le plus «pur et dur» de la péninsule. En ce temps, on ne se cachait pas derrière le mot chrétien comme le fait Raymond Gravel et bien d'autres aujourd'hui. Nous étions catholiques romains. Ma maman aussi. Aussi, s'il lui arrivait de ne pas être enceinte, «en famille», une année, le curé, riche de ses valeurs chrétiennes sans doute, ne se gênait pas pour dénoncer la situation en pleine chaire. Autant pour elle que pour les autres négligentes parturientes retardataires.
C'est donc depuis très longtemps que je réfléchis aux grandes valeurs chrétiennes. Il y en a de merveilleuses, c'est certain. Raymond Gravel devrait les citer sans hésiter. Le problème c'est que ces valeurs appartiennent également à toutes les autres religions. Aimer, pardonner, partager, respecter, ne pas tuer, ne pas abuser, ne pas baiser, etc. Toutes soumises à certaines conditions bien sûr.
Par exemple, on peut baiser, mais pour procréer seulement. Et à l'intérieur des liens sacrés du mariage. On peut aussi tuer, en situation de guerre ou de croisade par exemple. J'imagine qu'on n'a pas à respecter Ben Laden ou Hitler et bien d'autres encore. Déjà ça se complique et force nous est de constater que l'observation de ces valeurs demeure parfois difficile. Il y a pour le moins place à interprétation. C'est pour cela que je préfère une société démocratique de droit à une société de lois aussi divines soient telles comme les imposent les canons de toutes les Églises, y compris la Charia islamiste.
Pour revenir aux valeurs chrétiennes, j'aimerais savoir, faute d'en avoir citées, si M. Gravel se réfère à celles qui suivent par exemple.
Inégalité, vengeance...
L'inégalité entre les hommes et les femmes où l'homme dominant refusera à la femme, dominée et diminuée, le même statut que le sien dans cette chrétienté catholique, orthodoxe et autres, et où ma mère ou aucune autre femme ne pourrait jamais devenir prêtre, curé, évêque ou pape.
La défense et la survalorisation de la virginité des femmes, cette pureté objectale qui culpabilise le désir et le plaisir sexuel chez la femme. Au point même de continuer de prétendre et de défendre le dogme voulant vierge Marie, la mère de Jésus. Même après la naissance de plusieurs enfants. Parole d'évangile. Ma maman, qui a eu 14 enfants, est-elle réellement moins pure? Quelle est donc cette valeur où le sexe rend impure une femme? Et qu'en est-il de l'homme? Contrôler, les coeurs et les corps, les âmes et les consciences des autres ne sera jamais une de mes valeurs, aussi chrétiennes soit-elle.
Et cette femme, Êve, qui donna la pomme à l'homme causant ainsi la perte du paradis reçu. Cette femme maudite de toutes et de tous, à qui on n'a jamais pardonné, au-delà de la symbolique, entraînera l'enfantement dans la douleur pour toutes les femmes passées, présentes et à venir. Quelle est donc cette valeur qui consiste à créer un péché originel et où toute l'humanité sera punie par la faute de ses soi-disant parents? Est-ce là le principe de base de la justice chrétienne? Un de mes fils m'a désobéi. Vais-je le priver du petit héritage que je lui avais réservé? Lui, ses enfants, leurs enfants et leurs enfants encore et encore et ceci éternellement? Voulez-vous vraiment que je partage cette valeur vengeance?
Et encore ce refus du mariage pour les prêtres. Comment s'unir en effet à des êtres aussi «impurs» que les femmes? Cela dévaluerait le représentant de Dieu sur terre. Enfin, je me réfère au Dieu des catholiques. Cependant, ce même Dieu accepte le mariage des prêtres dans d'autres religions. Ce n'est pas très cohérent! Pour ma part, je refuse de partager cette valeur chrétienne infériorisant encore une fois les femmes, cette moitié «coupable» de l'humanité.
Les sous-humains dépravés
Et si on parlait de l'attitude des Églises, chrétiennes et autres, envers les homosexuels que l'on considère comme des sous-humains dépravés vivant dans le péché et l'indignité humaine. Ici, le traitement fait à André Boisclair lors de la dernière élection provinciale, me laisse croire que cette valeur chrétienne de rejet des homosexuels serait peut-être encore hélas trop lâchement présente. Peut-être avez-vous raison ici, M. Gravel. Cette valeur je l'ai rejetée depuis longtemps et tout homosexuel est mon frère ou ma soeur.
Je termine avec l'opposition sauvage et si chrétienne des Églises à tout contrôle des naissances et particulièrement à l'utilisation des préservatifs lors de relations sexuelles. Des millions d'humains meurent du SIDA dans des souffrances terribles parce que les valeurs chrétiennes qu'on leur a inculquées leur interdisent d'utiliser un simple condom! Et le Pape qui le répète sans cesse... Pensez-vous vraiment que je devrais partager cette généreuse valeur chrétienne?
Le droit est plus rassurant
Je m'arrête ici. Ma liste pourrait s'allonger encore et encore. L'avortement coupable et criminalisé entre autres. Raymond Gravel devrait savoir que l'on a fait au Québec une certaine «révolution tranquille». Je n'ai aucun problème à fêter Noël et bien d'autres fêtes pour des raisons culturelles et sociales. Mais il ne faut pas croire que c'est l'aspect religieux que j'y célèbre ici. Moi et des centaines de milliers d'autres Québécois faisant ainsi.
Aussi, je préfère et de loin, me référer pour mon héritage, ma culture et mon identité de Québécois, à nos institutions civiques qui reposent sur une société de droit et de démocratie. Je vois trop monter l'esprit corporatiste des diverses religions, lesquelles maintenant se protègent mutuellement pour le respect de leurs privilèges indus. Dont celui de ne pas être soumis à la Chartre des droits humains qu'elles ont instrumentée à leurs fins. Comment ne pas s'inquiéter? C'est pour cela que l'on a tous à l'oeil la Commission Bouchard-Taylor. Les religieux pour y défendre leurs droits jusqu'à l'intégrisme et les laïcs pour y défendre une société de droit et de démocratie.
Quel beau colis en effet que celui des valeurs chrétiennes. Mais, sous l'emballage alléchant, sait-on vraiment si le cadeau qui s'y trouve est celui attendu? Le bel emballage dissimule une vieille pomme habitée par les vers. Et ceci pour l'éternité semble-t-il. En effet M. Gravel, s'il me reste une «religion» comme vous dites, c'est bien celle de la laïcité. Quel paradoxe débilitant que celui d'accuser les mouvements laïcs d'être une nouvelle religion, comme si la laïcité était de la même aliénation, comme si un tel mépris pouvait aider à retrouver la foi chrétienne.
Démocratie, laïcité et liberté. Voilà mes vraies valeurs, voilà ma vraie culture, voilà ma vraie identité, celle que je développe, celle que je défends, celle qui s'est libérée du dogmatisme religieux aux valeurs souvent, hélas, dépassées et aliénantes. Je m'y en accommode très bien.
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Denis Gaumond
Démocratie, laïcité et liberté

Montréal


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