Les ripoux

Certes, il était vicieux de la part du magazine Maclean's d'y voir les diverses manifestations d'une tare génétique dont la société québécoise serait affligée.

Maclean's - corruption Québec



Jean Charest avait vu juste en disant que son témoignage devant la commission Bastarache ne changerait pas de façon significative la perception de la population. Même s'il a offert une solide performance, elle ne le croit pas plus qu'avant, ou si peu.
Selon le sondage Angus Reid dont La Presse a dévoilé les résultats hier, il y a toujours trois fois plus de Québécois qui accordent foi à la version de Marc Bellemare (51 %) plutôt qu'à celle du premier ministre (17 %).
Autrement dit, ils croient M. Charest parfaitement capable d'ordonner à son ministre de la Justice de nommer juges les candidats pistonnés par les collecteurs de fonds du PLQ. Si c'est le cas, il s'agit bel et bien de corruption.
Pourquoi la population réclamerait-elle à grands cris une enquête sur la corruption dans l'industrie de la construction si elle ne croyait pas à une véritable gangrène? Et pourquoi le gouvernement refuse-t-il aussi obstinément d'en tenir une, sinon qu'il craint ce qu'on pourrait découvrir?
Que dire encore d'un ministre de la Famille qui distribuait systématiquement les nouvelles places en garderies aux gros contributeurs à la caisse de son parti et qui doit démissionner après avoir été surpris à utiliser une carte de crédit appartenant à une agence de sécurité qui faisait affaire avec l'État?
Certes, il était vicieux de la part du magazine Maclean's d'y voir les diverses manifestations d'une tare génétique dont la société québécoise serait affligée. Si rien ne permet d'affirmer aussi catégoriquement que la situation est pire ici qu'ailleurs, la corruption des uns n'excuse cependant pas celle des autres.
Malgré la malveillance de cet article, il faut reconnaître que son auteur n'a pas eu à chercher l'inspiration bien loin. Le gouvernement Charest porte une très lourde responsabilité pour l'image négative qu'il projette depuis deux ans.
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Même Pierre Elliott Trudeau avait constaté, dès 1958, que «les Canadiens anglais se sont pendant longtemps comportés, en politique nationale, comme s'ils croyaient que la démocratie n'était pas faite pour les Canadiens français». D'ailleurs, lui-même avait fini par le croire.
Si le Quebec bashing est devenu un genre journalistique aussi prisé dans le ROC, c'est que cet avis y demeure largement partagé. Aux yeux de plusieurs, la Charte de la langue française est toujours une législation fasciste, voire carrément nazie. Ils sont également convaincus que seule la Loi sur la clarté peut empêcher ces coquins de séparatistes d'essayer de tricher encore une fois en tripotant la question référendaire.
Peu importe la mise en veilleuse du référendum et l'élection du gouvernement le plus fédéraliste du Québec contemporain, le ver de la corruption était dans la pomme, semble-t-il. Voyez-vous, notre fixation sur la question constitutionnelle nous a apparemment fait oublier ce qu'est un bon gouvernement.
Quand il s'agit de déblatérer sur le Québec, on peut toujours compter sur Andrew Coyne. Cet ardent partitionniste, qui avait jadis apporté un soutien enthousiaste à la croisade de Guy Bertrand pour faire déclarer inconstitutionnelle une éventuelle déclaration d'indépendance, n'allait certainement pas négliger un filon aussi prometteur.
Tout le monde sait que le pouvoir corrompt, mais l'impuissance qui nous caractérise a le même effet, a découvert M. Coyne. Ainsi, notre réflexe de voter «en bloc» aux élections fédérales serait à l'origine d'un «ensemble particulier de pathologies».
Contrairement à ce qui se passe dans les «cultures politiques saines», où le débat est plus serein, la question nationale aurait donné naissance à une véritable «mentalité de guerre» qui permet de justifier tous les moyens. Bien entendu, le modèle québécois, caractérisé par une forte intervention de l'État dans l'économie, offre un terreau particulièrement propice à la magouille. Bref, peu importe l'angle sous lequel on nous examine, le diagnostic s'impose: nous sommes une bande de ripoux.
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Dans une entrevue accordée au Los Angeles Times en décembre 1994, au moment où il entreprenait les grandes manoeuvres devant mener au référendum, Jacques Parizeau avait déclaré avec sa franchise habituelle: «Donnez-moi une demi-douzaine d'Ontariens qui piétinent le drapeau du Québec et ça y est.»
Aujourd'hui comme hier, les stratèges péquistes comptent moins sur l'appétit de souveraineté des Québécois que sur l'antipathie du Canada anglais pour faire éclore les «conditions gagnantes».
L'article de Maclean's n'aura sans doute pas l'impact de l'incident de Brockville évoqué par M. Parizeau, quand une poignée d'orangistes avaient piétiné le fleurdelisé devant les caméras de télévision, mais tout ce qui peut attiser le ressentiment envers le Québec au Canada anglais, et vice-versa, ne peut qu'apporter de l'eau au moulin souverainiste.
Jusqu'à présent, on ne peut pas dire que le nouveau «plan pour un Québec souverain» de Pauline Marois soulève un grand enthousiasme. Si M. Coyne et ses amis veulent faire une contribution, elle n'y verra certainement aucune objection.
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mdavid@ledevoir.com


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