Les raisins de la colère

Plus encore, le principal problème de Mme Marois, comme de M. Boisclair, est qu'il n'y a plus suffisamment de ressentiment pour nourrir le projet souverainiste.

Élection Québec - le 8 décembre 2008 - les souverainistes en campagne

En octobre 2003, le politologue Jean-Herman Guay avait créé toute une commotion au conseil national du PQ en déclarant qu'il pourrait bien avoir été le parti d'une seule génération. «Les raisins de la colère ont disparu», avait-il expliqué à 400 militants littéralement révulsés par ces propos dignes de Cassandre.

Jeudi, Pauline Marois s'est bien défendue de chercher à [«cultiver les raisins de la colère»->16227] en voulant entreprendre des négociations vouées à l'échec pour rapatrier au Québec la totalité des pouvoirs en matière de culture et de communications, avec les budgets correspondants.
Les militants péquistes seront sans doute heureux d'apprendre que leur chef n'a pas tout à fait renoncé à l'idée de tenir un référendum, mais il s'agit d'une menace dont Mme Marois est sans doute la première à savoir qu'elle ne pourrait pas la mettre à exécution.
Jusqu'à présent, on ne peut pas dire que sa campagne soit très impressionnante, ni très imaginative. La dernière semaine a été difficile, avec ses explications confuses sur les mises à la retraite de 1997 et les interrogations sur son état de santé. Il reste le débat télévisé. Lors de la confrontation de 2007, André Boisclair avait performé au-delà des attentes. On peut comprendre que Mme Marois sente le besoin d'y consacrer trois jours de préparation.
Personne ne peut nier l'importance d'une campagne, mais elle ne fait pas foi de tout. En 1994, Jacques Parizeau avait mené une campagne très ordinaire. Si elle avait duré une semaine de plus, le PQ aurait peut-être perdu l'élection. Heureusement, après les échecs de Meech et Charlottetown, M. Parizeau pouvait miser sur les raisins de la colère.
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Plus encore, le principal problème de Mme Marois, comme de M. Boisclair, est qu'il n'y a plus suffisamment de ressentiment pour nourrir le projet souverainiste. Il n'y a pas assez de Québécois qui la souhaitent pour des raisons positives, ne serait-ce que le simple désir de s'occuper soi-même de ses affaires.
Grâce à son charisme, Lucien Bouchard avait pu pallier ce manque d'appétit pour la souveraineté en 1998. Le PQ avait cependant recueilli moins de voix que le PLQ, même si Jean Charest, tout frais débarqué d'Ottawa, avait mené une campagne atroce.
Ceux qui pensent que la position de Mme Marois sur le référendum marque une rupture avec le passé auraient intérêt à relire la plate-forme électorale de Bernard Landry en 2003. «Un référendum ne sera tenu qu'en accord avec la volonté populaire et lorsque la perspective d'une victoire apparaîtra clairement à l'horizon», pouvait-on y lire.
Il est vrai que la «feuille de route» de 2007 affirmait qu'un gouvernement péquiste serait «résolu à tenir une consultation populaire sur la souveraineté le plus tôt possible durant son premier mandat», mais André Boisclair répétait à qui voulait l'entendre qu'il n'était pas un «kamikaze».
Depuis qu'il s'agit simplement de déterminer qui est le plus apte à tenir la boutique, force est de constater que les Québécois font davantage confiance aux libéraux, et tout indique qu'il en sera de même le 8 décembre. Pour gérer une «province», qui de mieux qu'un provincialiste? Au moins, il ne se plaindra pas de ses conditions de travail!
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Dans le passé, le reflux de la ferveur souverainiste s'accompagnait généralement d'une plus grande préoccupation pour la situation du français. Au milieu des années 80, alors que le PQ s'embourbait dans «l'affirmation nationale», Robert Bourassa a eu la mauvaise surprise de voir ses projets de réconciliation constitutionnelle compromis par une reprise du débat linguistique.
L'hiver dernier, il a semblé que le regain de popularité du gouvernement Charest pourrait à nouveau se heurter à l'obstacle de la langue, quand l'Office de la langue française et la ministre responsable, Christine St-Pierre, ont été accusés de chercher à cacher la gravité de la situation du français à Montréal.
Malgré les cris d'indignation des partis d'opposition et l'agitation des mouvements nationalistes, la population n'a manifesté aucune émotion. Quelques mesures concoctées à la va-vite ont suffi à éteindre le feu.
Le «nouvelle loi 101» proposée par Mme Marois s'est heurtée non seulement à l'indifférence, mais à l'hostilité des alliés naturels du PQ qu'étaient traditionnellement les centrales syndicales. Jeudi, la chef péquiste a fait la distinction entre les centrales et les syndiqués eux-mêmes, mais l'apathie de la population face à la situation du français est manifeste.
Cette semaine, Mme Marois a elle-même envoyé un message quelque peu ambigu en profitant de sa première intervention de la campagne qui concernait la langue pour faire un plaidoyer en faveur d'un meilleur apprentissage de... l'anglais.
Dans son récent essai [Les Québécois et l'anglais->15778], le politologue Christian Dufour, écrit avec justesse: «C'est en appeler à une sorte de révolution mentale que de prétendre que le danger a toutes les chances de venir autant des francophones de souche que des Anglo-Québécois ou des nouveaux arrivés. En effet, une partie des francophones semblent tentés d'abdiquer l'essentiel sous couvert d'ouverture sur le monde, de tolérance et de soi-disant réalisme.»
Comme je l'ai moi-même été, M. Dufour a été surpris par la récente étude du Conseil supérieur de la langue française (CSLF) intitulée Le français et les jeunes. Pour la jeune génération, la prédominance de l'anglais dans certains secteurs va de soi, et ils n'y voient aucun problème. Comme les centrales syndicales, les jeunes rencontrés par les chercheurs du CSLF s'opposent au renforcement des dispositions de la loi 101. À leurs yeux, il n'est pas évident que le français doive être la langue de convergence.
En quelque sorte, Mme Marois fait face à un problème d'ordre climatique: sous certaines latitudes, les raisins ne poussent tout simplement pas, fussent-ils ceux de la colère.


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