Les héritiers directs de Samuel de Champlain

Québec 2008 - l'art de détourner le sens la Fête


par Françoise Enguehard
Présidente de la Société Nationale de l'Acadie
Le 3 juillet dernier je me trouvais, comme des centaines d'autres personnes, à Québec pour commémorer la fondation de la ville par Samuel de Champlain il y a de cela quatre cents ans. Si j'étais heureuse d'avoir été invitée à la cérémonie pour représenter les quelque 30 000 Acadiens des quatre provinces atlantiques, les discours m'ont attristée.
À entendre les dignitaires on aurait pu croire que Champlain avait fait le trajet directement de France jusqu'au Cap Diamant en 1608. Pas un mot ne fut prononcé sur les quatre années qu'il passa dans la Baie de Fundy, dans ce qui est aujourd'hui la Nouvelle-Écosse. Là-bas, dans un établissement imposant nommé Port-Royal, accompagné du chef de l'expédition Dugas de Monts, de l'écrivain Marc Lescarbot et de leurs compagnons d'aventure, Champlain agrémenta les hivers en instituant l'Ordre du Bon Temps, organisant des repas somptueux et montant des pièces de théâtre — les premières en Nouvelle-France. Dans les discours du 3 juillet pourtant on ne trouvait aucune référence à ce séjour historiquement significatif dans la Baie de Fundy.
Prédécesseurs inspirants
Il ne s'agit pas ici de revendiquer une première place. En fait, longtemps avant Champlain, cent ans avant pour être exact, les Français avaient déjà atteint les côtes de Terre-Neuve pour pêcher la morue. À cause de leurs récits de mers poissonneuses, de forêts interminables et de richesses à découvrir, Jacques Cartier suivit en 1534, encourageant ainsi le roi Henri IV à donner en 1603 à Dugas de Monts la responsabilité d'aller fonder l'Acadie. Champlain, qui avait déjà été en Amérique, s'engagea dans l'expédition.
L'histoire n'est qu'une simple succession d'événements. On ne doit pas la modifier au gré des circonstances. Certaines des phrases entendues le 3 juillet, tel que «La Nouvelle-France commence ici» avaient déjà été proférées, mot pour mot, en 2004, sur les bords de la Baie de Fundy lors des célébrations du 400e anniversaire de la fondation de l'Acadie. Les orateurs d'alors étaient différents mais ils occupaient les mêmes fonctions politiques.
Acadiens et Québécois sont les héritiers directs de Samuel de Champlain, même si les deux peuples ont évolué de manière bien différente. Québec est devenue la province et la nation que nous connaissons tous tandis que les Acadiens ont dû faire face à la déportation entre 1755 et 1763. Des milliers moururent, des milliers d'autres furent éparpillés aux quatre vents, certains d'entre eux jusqu'aux îles Malouines. Éventuellement des milliers revinrent au pays et s'installèrent là où ils purent, en Acadie atlantique, au Québec, à Saint-Pierre et Miquelon; d'autres restèrent en France où partirent pour la Louisiane. Aujourd'hui tous leurs descendants demeurent Acadiens.
Au-delà de la déportation
Les Acadiens installés en Atlantique décidèrent alors de transcender la déportation en se lançant dans un exercice démocratique nouveau : ils se proclamèrent nation. Dans les années 1880, lors de Conventions Nationales, ils se choisirent un drapeau, un hymne et une fête nationale, fondèrent une Société Nationale pour les représenter, tout cela sans gouvernement ni territoire propre. Aujourd'hui, comme le dit Antonine Maillet «Là où est un Acadien, se trouve l'Acadie». Notre nationalité est d'histoire plutôt que de géographie, de généalogie plutôt que de passeport, un concept des plus intéressants dans un monde qui se déchire sans fins pour obtenir du pouvoir, gagner du territoire ou repousser des frontières.
Tout cela fait partie du patrimoine de Champlain et le 3 juillet dernier, plus que toute autre personne, c'est l'explorateur qui a perdu au change.
Le 15 août marque la Fête Nationale des Acadiens. Cet été, nous serons des milliers à Québec en ce jour symbolique. Nous défilerons avec exubérance dans les rues de la ville pour réaffirmer notre place comme l'autre peuple francophone fondateur du Canada, comme acteur dans la construction de la Nouvelle-France. Nous déambulerons dans les rues pavées du Vieux Québec en faisant du bruit, le plus de bruit possible. Nous appelons cette tradition le Grand Tintamarre, une tradition médiévale adoptée par les Acadiens au retour de la Déportation. Le bruit symbolise notre détermination à ne plus jamais nous taire. Plus que jamais, cette détermination demeure.



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