Les élections à date fixe comme moteur du cynisme

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Les élections à date fixe : une banalité dans la plupart des pays occidentaux

Le passage à un système d’élections à date fixe au Québec menace de fournir du carburant au cynisme ambiant. Il pourrait prendre de l’ampleur avec un mauvais usage de la nouvelle formule.


Le cynisme. Tous les élus disent vouloir le combattre. Or, nombre d’entre eux craignent que ce soit l’inverse qui se produise avec la presque frénésie électorale qui s’est déjà emparée des partis.


C’est ce qui se dégage d’une série d’entrevues menées par Le Soleil auprès de parlementaires, des directions des partis représentés à l’Assemblée nationale et de conseillers des chefs.


Officiellement, la campagne électorale sera lancée le 29 août — pour un rendez-vous aux urnes le 1er octobre, soit 33 jours plus tard. En comptant la «précampagne» ouverte en début d’année, elle s’étendra toutefois sur plus de 250 journées.


La précampagne n’a pas et n’aura pas l’intensité de la période électorale à proprement parler, mais tout de même. Elle pourrait bien donner le tournis.


En apprentissage


Québec solidaire n’hésite pas à déjà qualifier d’«engagements électoraux» des mesures qu’il présente. C’est ce qu’il a fait jeudi avec sa proposition d’instaurer une assurance dentaire publique et universelle.


Lorsque Philippe Couillard visite sans raison apparente des entreprises de la région de Québec, comme il l’a fait cette semaine, n’est-ce pas parce que la longue campagne a débuté? Poser la question, c’est y répondre.


Vendredi, le Parti québécois a présenté cinq mesures devant permettre «d’électrifier l’ensemble des autobus scolaires d’ici 2030».


Des députés et des stratèges se cabrent devant la propension de tout un chacun à tout présenter comme des mesures «électoralistes». «Ce qui me fâche, c’est que tout ce qu’on fait est vu comme électoraliste», confie un péquiste avant de laisser tomber qu’il «imagine à quel point ça doit être dur pour le gouvernement, cet aspect-là». Une rare bienveillance d’un péquiste à l’égard du Parti libéral du Québec…


Des libéraux ont montré du doigt les «commentateurs», lors de cette série d’entrevues, pour dire leur écœurement de voir toutes leurs annonces être décrites comme des «bonbons électoraux». «Peu importe ce qu’on fait, c’est perçu comme électoraliste. Faire croire ça, ça alimente le cynisme», a pesté l’un d’eux.


Que la perception soit totalement fondée ou qu’elle le soit en partie seulement, le résultat est là et le scrutin à date fixe «amène tout le monde en élection trop vite», constate une libérale en le déplorant. 


Tout le monde? Au gouvernement, certains estiment que la «machine» — entendre la «haute fonction publique» — s’est déjà «pas mal mise sur pause» en attendant le scrutin. Il faudrait déjà beaucoup insister pour faire avancer des dossiers.


Bien qu’il n’y ait aucun secret d’État à livrer, les interlocuteurs du Soleil n’ont accepté d’être interviewés qu’en «off». On refuse de parler ouvertement de «stratégie».


Un stratège caquiste pose deux questions à la volée: «Pendant combien de temps est-ce qu’on va pouvoir retenir l’intérêt des gens? À quand le point de saturation?»


Jusqu’où aller durant la précampagne et quels éléments garder pour la campagne comme telle? «Il ne faudra pas servir des plats réchauffés», observe un péquiste.


Pour Québec solidaire, annoncer dès maintenant qu’une mesure est un «engagement électoral» est un moyen de «mobilisation».


Pouvoir planifier


«Pour nous, une longue campagne, ça nous donne plus de chances de faire tourner la situation en notre faveur», confie un proche collaborateur du chef Jean-François Lisée. Il imagine difficilement la Coalition avenir Québec ne pas trébucher à un moment ou l’autre pendant une si longue course à obstacles.


Au-delà de cet aspect propre à un parti figurant en troisième position dans les intentions de vote, tout ce qui relève de la planification est facilité. Pensons au recrutement des candidats. La «prévisibilité» offerte par un scrutin à date fixe leur permet de planifier leur vie personnelle et professionnelle.


Le «démarchage» se fait de manière plus structurée, expose un caquiste.


L’un de ses collègues à qui ce propos a été rapporté a souri: «C’est la position dans les sondages qui rend les choses faciles ou pas. Pas les élections à date fixe!»


«La décision d’un éventuel candidat de se présenter est plus carriériste qu’avant», croit un autre interlocuteur.


Au chapitre de la planification, des équipes politiques ont déjà identifié les événements auxquels devraient prendre part les futurs candidats l’été prochain dans leur circonscription. Ils ne le savent pas, mais ils seront souvent de sortie.


Ce nouveau calendrier facilite aussi les formations à offrir aux bénévoles.


Autre élément positif: au Parti québécois et au Parti libéral du Québec, les investitures n’ont pas à être précipitées — sauf là où la date peut avoir un impact, comme c’est le cas dans Pointe-aux-Trembles pour le PQ, où la direction a pris fait et cause pour Jean-Martin Aussant au détriment de Maxime Laporte.


Planifier… Puisqu’on peut voir venir de loin, plusieurs parlementaires libéraux et des péquistes ont déjà annoncé qu’ils ne solliciteront pas d’autre mandat, on le sait. Puisqu’on peut voir venir de loin, des membres du personnel politique partent déjà travailler ailleurs. C’est le cas du côté gouvernemental.


Si la Coalition avenir Québec présente plus rapidement que les autres des candidats, c’est entre autres parce qu’elle espère démontrer qu’elle possède une équipe en mesure de gouverner.


Tout calculer


Un système basé sur un scrutin à date fixe permet à un gouvernement de tout calculer, y compris sa sortie. Ainsi, un conseiller de l’opposition officielle prédit que le document budgétaire que le gouvernement présentera le 20 août — celui que le bureau du Vérificateur général du Québec devra valider — montrera certes que les comptes publics sont équilibrés, mais également qu’«il y a très peu de marge de manœuvre».


«Les libéraux auront pu tenir compte de ça dans leur stratégie. Ils auront fait en sorte que ce soit le plus difficile possible pour la CAQ de promettre des baisses de taxes et d’impôt supplémentaires.»


Effet surévalué


A-t-on surévalué l’avantage que conférait le pouvoir d’un gouvernement de déclencher les élections à la date qui lui convenait?


Ce n’est pas parce que «celui qui déclenchait était théoriquement mieux organisé que la population était au diapason», note une péquiste. Le fait que le gouvernement minoritaire de Pauline Marois ait précipité les Québécois aux urnes en avril 2014 aurait même contribué à sa défaite, selon elle.


Quoi qu’il en soit, les partis d’opposition n’ont jamais été pris totalement au dépourvu. N’importe quel observateur voyait de loin les signaux de fumée et savait qu’une campagne allait être déclenchée dans quelque temps. 


Si Jean Charest a remporté trois élections générales alors qu’il était au pouvoir, ce n’est pas parce qu’il a pu choisir la date du scrutin à sa guise, mais parce que le vote du Parti québécois n’a jamais cessé de péricliter pendant cette période.


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LE DGEQ OBSERVE


La loi sur les élections à date fixe présentée par l’ex-ministre péquiste Bernard Drainville a été adoptée en juin 2013. Presque cinq ans plus tard, le Directeur général des élections du Québec (DGEQ ) n’a instauré aucune balise particulière. Il poursuit sa réflexion à cet égard.


«Il est passif», accuse un caquiste.


Au bureau du DGEQ, Alexandra Reny explique que le directeur Pierre Reid et son équipe ont décidé, «comme il s’agit d’une première, d’observer attentivement le comportement des acteurs» d’ici le jour du scrutin.


Ce ne serait donc qu’en 2022, lors du prochain scrutin général, que de nouvelles règles pourraient être appliquées. Entre autres en ce qui a trait aux dépenses préélectorales.


À tâtons


Lors de la présentation du projet de loi 3, Bernard Drainville, alors ministre des Institutions démocratiques, avait fait valoir que «ce ne sera plus l’intérêt partisan, ni la conjoncture politique, ni le calcul stratégique qui déterminera la date des élections» au Québec.


Malgré l’apprentissage à tâtons, l’idée que tous soient sur un pied d’égalité est une avancée démocratique, conclut-on de façon générale.


Mais il faut absolument instaurer des balises, ajoute-t-on dans les partis d’opposition. On dénonce les moyens publicitaires dont dispose le gouvernement.


Le caquiste Éric Caire a déjà fustigé à l’Assemblée nationale des campagnes publicitaires qu’il qualifiait de «partisanes». Prévision: après sa présentation, d’ici la fin du mois, le gouvernement lancera une «campagne d’information» sur le prochain budget du ministre Carlos Leitão.


Lors de la prochaine précampagne, le plus difficile pour le DGEQ sera certainement de déterminer ce qui relève de dépenses électorales ou partisanes de ce qui n’en est pas.