Les effets de la loi 104

Loi 104 - Les écoles passerelles - réplique à la Cour suprême

Mme [Debbie Horrocks, présidente de l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec, écrivait, dans Le Devoir du 29 octobre 2009->22972]: «Soyons clairs: l'élimination du projet de loi 104 aurait l'impact escompté de permettre à environ 500 élèves additionnels de fréquenter les écoles publiques anglophones du Québec.» Pour sa part, [Julius H. Grey, dans Le Devoir du 2 décembre->23981], écrit qu'«en réalité, il n'y aura probablement aucun effet».
Nous avons toutes raisons de penser que Mme Horrocks, ses collègues cosignataires ainsi que Julius H. Grey sous-estiment, de façon majeure, l'impact de l'élimination de la loi 104. Voyons brièvement ce qu'il en est sur la base des données observées sur les nouveaux certificats d'admissibilité, avant la loi 104. Selon les données du ministère de l'Éducation, l'évolution du nombre de personnes déclarées admissibles à l'enseignement en anglais par un passage à l'école privée non subventionnée s'est faite ainsi de 1998 à 2002: en 1998, ce nombre était de 628. L'année suivante, de 819. En 2000, de 958, puis en 2001, de 1172, et enfin, en 2002, de 1379.
Après un passage, souvent d'une seule année, dans un établissement privé non subventionné de langue anglaise, le nombre annuel de déclarations d'admissibilité a augmenté rapidement. Il suffisait qu'un seul enfant d'une famille utilise cette astuce pour que ses frères et soeurs obtiennent, eux aussi, un certificat d'admissibilité.
Sur la seule base de ces déclarations annuelles, on est déjà bien au-dessus du chiffre de 500 proposé par Mme Horrocks. Mais il faut considérer que ces déclarations annuelles ont un effet cumulatif.
Simulation
Nous nous situerons dans le cadre d'une représentation simplifiée du système scolaire, en comparant une situation de la loi 104 avec une autre situation, sans la loi 104 (nous nous basons sur un modèle connu par les démographes sous le nom de «population stationnaire»).
Supposons que le nombre annuel de nouvelles déclarations soit gelé à 1379 pendant une dizaine d'années. À la première année, après un passage en première classe du primaire, 1379 élèves supplémentaires arrivent en deuxième classe du primaire dans une école publique ou une école privée subventionnée de langue anglaise. La seconde année, ces élèves seront rendus en troisième classe du primaire; mais arriveront 1379 nouveaux élèves en seconde classe. On comptera alors le double d'élèves ayant profité de cette astuce, pour un total de 2758 élèves. Et ainsi de suite pendant dix années. Au bout de dix années, il y aura 1379 élèves supplémentaires dans chacune des classes, de la deuxième du primaire à la cinquième du secondaire, pour un total de 13 790 élèves.
Ce modèle simplifié suppose que les transferts se font tous à l'entrée dans la seconde classe du primaire. En réalité, certains transferts sont plus tardifs. Il faut aussi tenir compte du fait que certains enfants quitteront le système scolaire québécois avant la fin du secondaire. Si nous supposons que ces élèves demeurent en moyenne 8 années dans une école publique ou privée subventionnée, on arrive alors à un impact de 1379 multiplié par 8, soit plus de 11 000 élèves. C'est-à-dire 22 fois plus que le chiffre proposé par Mme Horrocks.
Calcul prudent
Cette façon de calculer est prudente pour deux raisons. Premièrement, ceux qui obtenaient leur certificat d'admissibilité à titre de frères et soeurs étaient généralement plus jeunes que l'enfant de la famille ayant fréquenté le privé non subventionné. Ils pouvaient entrer en maternelle au public ou au privé non subventionné de langue anglaise dès la maternelle et y demeurer une douzaine d'années. Notre hypothèse d'une durée moyenne de séjour de 8 années pourrait être revue à la hausse.
Deuxièmement, on a vu dans le tableau précédent que l'augmentation du nombre de personnes déclarées admissibles était en augmentation rapide. En gelant le nombre annuel à 1379, nous avons été très modérés. Le recours à l'astuce d'une école-passerelle était de plus en plus fréquent. En poursuivant la tendance observée, on pourrait facilement arriver à un impact de plus de 20 000 élèves supplémentaires pour les écoles publiques et privées subventionnées de langue anglaise, et même davantage.
On pourrait nous objecter que les élèves ayant ainsi obtenu un certificat d'admissibilité pourraient quand même choisir d'étudier en français. C'est là, pensons-nous, une compréhension erronée de la motivation de ceux qui ont opté pour un comportement qui frise la délinquance sociale, afin d'éviter, à tout prix, l'obligation de fréquenter l'école française. Bien sûr, il y a toujours des exceptions. Mais je ne peux croire que ces exceptions (personnes qui ont eu recours à une astuce qui était dénoncée publiquement et qui ont accepté de payer des droits de scolarité supérieurs à ceux qu'on demande annuellement dans nos universités) soient nombreuses.
Impact substantiel
Enfin, si nous avions raisonné à plus long terme, il aurait fallu ajouter un autre impact. Ces certificats obtenus par astuce créaient un droit transmissible aux générations suivantes.
Si le chiffre avancé par Mme Horrocks avait quelque crédibilité, on pourrait peut-être accepter de ne rien faire, si, de plus, on fermait les yeux sur le problème de moralité publique qui consiste à permettre l'achat d'un droit. Mais, on l'a vu, l'impact aurait été substantiel.
Notre but n'était pas d'établir l'impact de la loi 104 d'une façon précise, mais d'établir un niveau minimal pour cet impact. À plus long terme, l'impact réel serait plus important que celui esquissé ici. Il paraît donc essentiel que l'Assemblée nationale du Québec fasse les gestes appropriés, des gestes clairs et gérables, comme l'extension du champ d'application de l'article 72 de la Charte de la langue française à toutes les écoles.
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Robert Maheu - Démographe


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