Les déclarations de Lucien Bouchard ont fait grand bruit et il est tout à fait normal qu'il en soit ainsi. Comme plusieurs l'ont noté Lucien Bouchard n'est pas le seul à tenir ce genre de propos. Pour ce qui est de l'analyse, il y a cependant de grands pans d'ombre dans la pensée de Lucien Bouchard, mais encore là, l'attitude de Bouchard reflète un niveau de réflexion partagée.
Ce qui rend l'intervention du premier ministre si riche de signification c'est à titre de symptôme. Pour que Lucien Bouchard passe à autre chose en ce qui a trait à la question indépendantiste, il faut qu'une guerre d'usure ait porté fruits. Et on le savait depuis un bout de temps, les Québécois jugent la souveraineté souhaitable mais non réalisable.
Il y a quelques points actuels qui expliquent principalement cet état de fait. D'abord, les calculs de la dette ont énormément d'impact sur l'imaginaire collectif. En arrière-plan mondial défilent les manchettes sur le surendettement des pays. Même le gouvernement américain enregistre des déficits trillionnaires. Alors on accuse d'avance le Québec de vouloir rejoindre le peloton des Etats indépendants surendettées.
On peut dire que la dette s'est transformée en norme politique qui s'ajoute au bilan négatif des Etats souverains. Au Québec, la dette est devenu une clef de voûte de la charge critique dirigé contre le souverainisme. Il faut croire que Lucien Bouchard ait été sensible à ce climat intellectuel ambiant. Il l'a d'ailleurs endossé plus qu'il ne l'a créé.
La dette comme thème de réflexion vient s'ajouter à toute une série de mécanismes et d'effets qui depuis le dernier référendum ont constitué la guerre d'usure à laquelle le Québec est soumis. La loi dite de la clarté a assis une perception collective selon laquelle nous sommes dans une situation bloquée et que toute tentative de déblocage risquait de conduire le conflit latent à un paroxysme.
Pour échapper à cette situation bloquée, beaucoup de Québécois ont voulu croire à l'ADQ. Un troisième pôle viendrait court-circuiter les deux forces politiques existantes, juxtaposées dans un état de non-dialogue irrémédiable. Tant qu'il y aurait deux forces politiques au Québec, le débat ne serait pas de l'ordre de la communication mais de celui de la juxtaposition.
Ce n'est pas depuis la déclaration de Bouchard que l'on découvre que des Québécois se prétendent "ailleurs". Le troisième pôle, le dépassement, le passage à autre chose, sont des expressions si communes qu'on peut les considérer comme des pivots de notre mode narratif au Québec.
Mais on ne peut pas être "ailleurs", à moins de vivre dans des mirages. Avec le rejet du Lac Meech, le Canada a fait valoir son intention arrêtée d'appliquer des fonctions normalisatrices à l'encontre du Québec. Le refus de l'accord de Chalottettown a réitéré cette entreprise de restituer le système de normalité. Quand on dit que le Canada évolue, c'est dans le sens de cette base qui est devenue un fondement rationnel inatteignable de son système.
Avant de critiquer la politique identitaire, il faut voir à quoi celle-ci tente de répondre. La prééminnence du multiculturalisme dans un pays où l'anglais est la seule véritable langue d'usage déplace nécessairement le seuil de sensibilité et attise l'insécurité au Québec. Vouloir tenir un discours public tissé de maximes rassembleuses, c'est oublier le pays qui se constitue autour des Québécois, le modèle canadien qui dit tenir une sorte de préminence à la fois morale et politique du fait qu'il représente un au-delà des identités particulières.
Avant de conspuer le surgissement du thème identitaire, on doit faire figurer le deuxième côté du balancier.
Bouchard nous convie à dresser la table pour une véritable résolution des problèmes.
On entrerait dans une phase où on désignerait les vrais problèmes, leurs causes et leurs solutions. On renoncerait à la souveraineté et d'emblée se développerait une attitude cosntructive face aux problémes. Est-ce ce mirage qui nous mènera à un rééquilibrage des finances publiques?
La nouvelle phase que prône Bouchard serait possible si le Fédéral était une sorte de pouvoir médical dont le modèle de développement est strictement de nature économique. Ce serait possible si le fédéralisme canadien ne suivait pas une pente, s'il n'était pas cristallisé en système.
Que va-t-on faire de l'unification des commissions des valeurs mobilières? Que va-t-on faire pour résoudre les problèmes tout en s'abstrayant du modèle de développement du Canada lequel suivra sa pente tandis que diminuera le poids démographique du Québec? Impossible d'en faire partie sans y prêter assistance même si on n'est pas d'accord.
Comme préliminaire à une attitude nouvelle dirigée vers la solution des problèmes véritables, on aura vu mieux. Il est temps d'opter pour la lucidité. Pour cela, ne nous satisfaisons pas de cette rhapsodie d'idées plus ou moins fondées et de perspectives tronquées.
André Savard
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