La révision des modèles en santé

Chronique d'André Savard

Le droit à la santé n’est pas un concept si nouveau. Michel Foucault dans ses études sur le sujet fait remonter à 1942 dans sa version plus moderne, moment où fut lancé le plan Beveridge. Selon ce chercheur, ce plan a servi de modèle dans de nombreux pays au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il indiquait que l’Etat prenait en charge en charge la santé.
Ce qui est moins nouveau, c’est l’idée que l’une des fonctions de l’Etat est de garantir la santé physique de ses citoyens. Dès le XVIII ème siècle, garantir la santé physique s’est inscrit dans une perspective de la préservation de la force physique nationale, de la force de travail et de la puissance militaire. « Avec le plan Beveridge, écrit Michel Foucault, la santé se transforme en préoccupation pour les Etats, non pour eux-mêmes, mais pour les individus. »
Contrairement à ce que l’on entend tellement au Canada, ce n’est pas Tommy Douglas qui inventé un mécanisme par lequel le droit de se maintenir en bonne santé deviendrait l’objet de l’action étatique. Ce n’est pas en soi une initiative locale qui visait à promouvoir la médecine socialiste. Plus encore, l’organisation médicale la société dessine sa courbure, élaborant des principes qui, étape par étape, a d’abord mis de l’avant le concept de l’hygiène au XVIII ème siècle puis au XIX ème siècle, écrit Foucault, s’introduit un nouveau concept, celui « d’être malade quand on le veut et quand il le faut ».
Cette formule peut paraître surprenante si on ne garde pas à l’esprit que le droit d’interrompre le travail même sous des prétextes sérieux a rencontré de nombreuses résistances. Règles d’hygiène, régulations de la pratique médicale, droit de se faire soigner, on voit le processus de complexification qui a rendu l’action étatique incontournable. C’est par la force des choses que sont advenu des plans comme le plan Beveridge. La santé, parvenu à ce niveau entrait dans le champ de la macro-économie. Elle ne pouvait plus être l’œuvre d’interventions privées non coordonnées. « Les dépenses dues à la santé, écrit Michel Foucault, à l’interruption du travail et à la nécessité de couvrir ces risques cessent d’être des problèmes que l’on pouvait résoudre simplement en recourant aux pensions et aux assurances plus ou moins privées. »
Ce tableau global, nous avons avantage de le connaître avant de pérorer sur les « modèles qui ont besoin d’être révisés ». L’organisation macro-économique de la santé et l’action étatique qui est son corollaire ne résultent pas d’une initiative locale et arbitraire. Certes, des Etats comme les U.S.A, sont toujours réfractaires à payer pour des soins publics de santé. Ils ont voulu réguler, contrôler les lobbys pharmaceutiques, financer le réseau dans la plus faible mesure possible.
Qu’en est-il advenu de cet entêtement? L’Etat américain a fini par payer. Plus de la moitié des faillites personnelles aux Etats-Unis sont liés au paiement des frais de santé et on sait le rôle qu’ont joué les défauts de paiement des hypothèques dans la crise qui a eu lieu. Les milliards économisés par l’Etat qui ne voulait pas d’une carte soleil aura fini par lui coûter plus de mille milliards en renflouement des banques.
Pourquoi les Etats-Unis ont-ils autant résisté et ont-ils encore autant de résistances à surmonter quand il s’agit de l’établissement d’un réseau public des soins de santé? C’est une question de profit maximal aux intérêts privés et aussi une question de principe. Dans un pays où on se veut redevable surtout à l’être individuel, on craint que si l’Etat devient le gardien du concept de l’individu en bonne santé, ceci ne mette l’individu au service de l’Etat au détriment des intérêts privés.
Comme l’écrit Foucault : « Dès lors, la santé ou le défaut de santé, l’ensemble des conditions qui permettent d’assurer la santé des individus devient une source de dépenses qui, par son importance, se trouve placée au niveau des grands postes budgétaires de l’Etat, quel que soit le système de financement. » Il est dangereux au nom de la révision des modèles et sous couvert de réalisme de se laisser emporter par dans fantasmes face à cette situation. Des cliniques privées ne changeraient pas cette tangente. Le défi de la santé pour tous, entré dans les calculs de la macro-économie, est là pour rester.
La politique de la santé a été au cœur de la redistribution de la richesse collective dans l’hémisphère occidentale. Comme l’écrit Foucault : « En garantissant pour tous les mêmes possibilités de recevoir un traitement et de se soigner, on a voulu corriger en partie l’inégalité des revenus. » Aujourd’hui au nom de la révision des modèles, on dit que ce ne doit plus être « les mêmes possibilités » tout en souhaitant que ça demeure possible pour les pauvres. Et au nom de la révision des mod`les, on veut que cette redistribution, tout en dépendant moins de la santé, dépende aussi moins des impôts.
C’est bien beau la révision des modèles si ce n’est pas un slogan pour couvrir un travail de contestation systématique contre les politiques qui visent une certaine égalisation des revenus et des biens. Mieux vaut proposer à visière levée sans se farcir ses termes épistémologiques ronflants sur les « modèles et les changements de paradigmes ».
André Savard


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