Vers une Constitution québécoise

Chronique d'André Savard


Lorsqu’on parle de Constitution québécoise, une des premières questions qui surgit est la suivante : « Doit-on écrire la Constitution d’un Québec souverain ou celle d’un Québec-province? » Mauvaise question. Vu l’état des lieux au plan politique, il est impossible que le Québec promulgue la Constitution d’un Québec-province. Il est par ailleurs probable qu’il aura à en redéfinir au moins certains termes, le jour de l’avènement de sa souveraineté.
Pourquoi la Constitution d’un Québec-province est impossible?
La Constitution d’un Québec-province a été rendu impossible par la Constitution canadienne elle-même qui fait peser de trop nombreuses zones d’ombres sur la signification du statut provincial du Québec. Le Québec ne voit pas son gouvernement comme une administration canadienne responsable de variables régionales dans la politique intérieure canadienne. Comme entité responsable de la nation québécoise, il ne se voit pas ses droits réductibles à ce qu’alloue son statut de province.
La bulle grise de la Constitution canadienne
La Constitution canadienne peut être perçue comme un projet de nation, une boîte à outils. Comme boîte à outils, on en a vu les effets au lendemain du rapatriement. Le Fédéral et des administrations canadiennes représentant une majorité de Canadiens peuvent annexer ou réannexer le Québec comme Etat membre de leur système interprovincial. C’est cela la jurisprudence créée par le rapatriement.
Alors comment voir cette Constitution comme une convention entre des sujets moraux, des représentants de personnalité collective fondée en droit si une entité peut subir les conditions d’un contrat sans l’avoir dûment ratifié? Aussi bien parler d’un contrat sans partie contractuelle. Ou pire encore, plutôt que ce parler de liberté de contrat, aussi bien parler d’un régime de vérité ou la nation québécoise n’est qu’un principe d’autolimitation au sein de la supernation canadienne.
La Constitution canadienne serait-elle l’expression d’un lien entre des provinces-nation comme certains activistes canadiens l’ont prétendu?
Si on compare avec la Constitution européenne, la différence est gigantesque La Constitution européenne se fixe des objectifs, une action régulatrice qui aura pour objectif principal la stabilité des prix, le contrôle de l’inflation. Ainsi, la Constitution européenne note qu’elle tendra vers le plein emploi. Rien de tout cela dans la Constitution canadienne qui signifie de façon exponentielle par son geste même d’annexion et ses sous-entendus.
Le théâtre de la Constitution canadienne, ce ne sont pas des parties contractantes qui s’entendent sur une politique volontariste en direction de tel ou tel objectif. La Constitution semble plutôt affirmer une entité biopolitique qu’on appelle la nation canadienne, une sorte de microcosme, d’universel, d’incarnation supérieure de la pluralité sur le particulier.
Les implications du concept de supernation
Le Fédéral et les activistes canadiens en général ont avancé que la supernation représentait mieux la pluralité et garantissait ainsi que tout individu sans distinction d’origine demeure un sujet libre. L’objectif serait de garantir que le sujet libre canadien restera libre et c’est cet objectif qui déciderait des mesures concrètes que le Fédéral prendra pour le remplir. Aussi bien dire que le pouvoir central se donne une telle légitimité morale exclusive qu’il s’alloue une marge totale de manœuvre sur les dispositifs qu’il créera ou mettra à son service.
En principe, le jeu se porte sur l’individu comme joueur mais le glissement montre que l’action se porte potentiellement sur les règles du jeu elles-mêmes. Le Québec n’est absolument pas une partie contractante aux droits inaliénables. Comme Etat fédéré représentant une nation, le Québec est bien en-dessous de seuil de l’existence.
Et le Québec devra donc se demander s’il ne devra pas affirmer, de par une Constitution une légitimité morale exclusive.
Ce que doit impliquer l’existence du gouvernement national québécois.
Le premier point à préciser est que la nation québécoise est le principe fondateur et légitimant de l’Etat. Toute souveraineté que quelque Etat exerce sur lui n’a pas une légitimité supérieure et imposable de facto sous prétexte que cet Etat, le Fédéral en l’occurrence, représente une nation plus vaste ou plus englobante.
Tout Etat exerçant un pouvoir au Québec est fondé à partir de la liberté de la nation québécoise. Cette liberté du peuple québécois appartient à tout citoyen habitant le territoire du Québec.
Le territoire québécois n’est pas un prêt ni une propriété de nationalités canadiennes qui pourraient déclarer l’Etat fédéral comme fiduciaire des régions québécoises qu’elles occupent.
Doit-on penser à une Constitution québécoise dès maintenant ou doit-on se concentrer sur l’atteinte de la souveraineté?
Certains souverainistes disent que la question de la Constitution québécoise avant la souveraineté n’est qu’un fatras d’arguties. Les objectifs de l’Union sont l’œuvre d’une démarche unilatérale à laquelle on doit opposer une démarche unilatérale. Et de l’autre côté du ring, vous avez Jean Charest qui prétend calmer le jeu en répétant que peu importe l’état de lieux et ce que cela implique. Des ententes entre paliers gouvernementaux peuvent avoir une incidence sur les « vrais problèmes » de soutenir Charest.
Mais une Constitution québécoise ne doit-elle faire émerger le positionnement de l’Etat québécois, représentant de la nation québécoise? Une Constitution québécoise ne doit-elle pas dès maintenant faire signe vers une réalité nouvelle?
Il y a une différence capitale entre savoir si le Québec comme Etat est une instance fondatrice du pouvoir politique ou une créature du Canada. Dans ce dernier cas, il s’agit d’engendrer et d’ajuster le politique dans et par le Canada. Le Québec dans cette perspective est une région et sa nationalité le rouage en devenir de la supernation.
Au-delà même de l’opposition entre fédéralistes et souverainistes, il y a une mésentente dans les termes du pouvoir fédéral et sur ses fondements. Pour les tenants du système tel qu’il est aujourd’hui, le but du Canada est de construire une supernation, Le pouvoir fédéral tient sa légitimité de cette qualité.
Pour le Québec, le statut de province n’est qu’une forme de gouvernance. Le but de l’actuelle participation au système interprovincial est de produire un système de gouvernance à partir de la liberté de la nation québécoise et de celle de la nation canadienne.
Du point de vue de la soi-disant supernation, il en va bien autrement. On dit que les juridictions ont pour mission de laisser jouer dans une certaine mesure les différences entre les régions du pays. C’est au Fédéral que revient de mener une politique commune cohérente et de ne pas trop gouverner pour laisser aux gouvernements locaux des prérogatives en matière de santé et d’éducation.
L’établissement de la Constitution québécoise et la participation citoyenne
Plusieurs propagandistes en faveur d’une nation québécoise expriment des objectifs qui sont étrangement conformistes. Le but premier serait de créer des forums populaires pour impliquer les gens et de les « rassembler ». On ne parlerait pas tant du pouvoir québécois que des valeurs qui servent de dénominateur commun. En outre, on s’assurait que les techniques de pouvoir, que leur source soit un palier gouvernemental ou un autre, ne heurte pas les belles valeurs. Bref une Constitution québécoise serait un prétexte pour convoquer le peuple pour leur demander de réitérer une sorte de vulgate pluraliste.
Certains prônent ainsi une Constitution québécoise qui se range dans les « actions conformes » au présent système. On se dit : On va faire une Constitution rassembleuse. Est-ce à dire que le Québec est un collectif d’individus partageant certains consensus sociaux et habitant une région canadienne délimitée?
Il y a déjà pour stipuler cela la Chartre des droits. Si une Constitution québécoise se terre dans cette perspective, sa rédaction risque fort de donner lieu à un tête-à-queue qui ignore le pouvoir québécois et la nécessité de l’affirmer.
Un bras de fer, plus ou moins latent selon les saisons, se déroule et nous préférons croire que nous vivons en paix. Le but est de statuer que le Fédéral ne peut régler l’exercice global du pouvoir politique sans le consentement du Québec. En outre, il s’agit d’affirmer, pour le Québec, qu’il n’est pas un palier gouvernement, un découpage, un espace ménagé dans un tout qui le domine et qui est du ressort grandissant de la supernation.
Les principes de la légitimité exclusive du pouvoir de l’Etat québécois
Le Québec est un tout et non pas une région redevable strictement à partir d’une instance politique qui serait l’instance fédérale. En outre la nation québécoise est un tout différencié et sa particularité française n’incrimine pas sa faculté d’incarner la pluralité. Si on s’attaque aux homosexuels, si on s’attaque aux Juifs, c’est à tout le Québec qu’on s’attaque. D’autre part, si on s’attaque à la langue française en prétendant que c’est une option individuelle tandis que l’anglais est la langue d’usage universel, c’est à tout le Québec qu’on s’attaque.
Tant que le Fédéral sera une instance en exercice au Québec, il doit accepter que son pouvoir émane de la nation québécoise. On me dira que ce n’est pas vrai historiquement. Oui, le Québec a été victime fausse représentation. Raison de plus de porter témoignage sur la représentation de la réalité que se fait le Québec.
Représentation de la réalité canadienne versus la représentation de la réalité québécoise
Le Fédéral se voit comme un Etat supranational qui représente une supernation qui, de par cette qualité, détient une compétence morale particulière et des préséances. Le pouvoir provincial serait une forme de gouvernementalité chargé d’assister cet Etat et sa supernation, garante du fait que le citoyen canadien va demeurer un sujet libre.
La perspective est différente au Québec. On dit que le gouvernement du Québec est l’Etat national du Québec. Son statut de province ne doit pas être décidé ou décrété par une supernation et sa Constitution. En outre, le gouvernement québécois fonde tout système de gouvernance. C’est lui qui rend possible de subsumer sous autorité légitime un ou plusieurs intérêts communs des Etats ou des pays.
André Savard


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