Les bons sentiments

Géopolitique — Proche-Orient


Le rapport remis au secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, par les "sages" de l'Alliance des civilisations est décevant.
Il ne fallait pas en attendre de recettes miracles pour apaiser les tensions entre le monde arabo-musulman et l'Occident. Mais de là à en arriver à de pareilles généralités... Voilà qui laisse pantois. Les bons sentiments ne suffisent pas toujours.
Bien après les attentats du 11 septembre 2001, la folle affaire des caricatures de Mahomet avait jeté une lumière crue sur le fossé qui ne cesse de s'élargir entre le monde musulman et l'Occident. Comment ne pouvions-nous pas voir, à ce moment-là encore, que cette farouche incompréhension constituait (et constitue toujours) une menace potentielle à la paix et à la stabilité dans le monde ?
Habitée par cette inquiétude, l'ONU, ainsi que les gouvernements espagnol et turc, a créé l'Alliance des civilisations, un forum qui veut croire que le "choc des civilisations" n'est pas inéluctable. Nous avions souhaité bonne chance à ses membres lorsqu'ils ont lancé leurs travaux, il y a deux ans.
Aujourd'hui, force est de constater que cet exercice a tourné à vide. En lisant ce rapport, on cherche en vain ce que ce comité pourrait apprendre à ceux qui s'intéressent à ces questions. Les sages ont défoncé des portes ouvertes. C'est cela qui est décevant.
Qui siégeait à ce comité ? D'éminentes personnalités, à n'en pas douter. Parmi elles, le Prix Nobel de la paix sud-africain, Mgr Desmond Tutu, l'ancien directeur général de l'UNESCO Frederico Mayor, l'ancien président iranien Mohamed Khatami, l'ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine.
Ces sages ont raison de dire que le conflit israélo-palestinien est "devenu un symbole clé du fossé entre les sociétés occidentale et musulmane ; qu'il constitue une des plus graves menaces à la stabilité internationale". Mais cela, même les plus obtus des néo-conservateurs de la Maison-Blanche le savent.
Le comité propose une conférence internationale pour "revigorer le processus de paix au Proche-Orient". C'est bien, mais qui ne l'a pas fait ? Pourquoi demander la rédaction d'un Livre blanc qui passerait en revue les succès et les échecs des précédents efforts de paix ? Tout le monde connaît depuis des années les objectifs à atteindre : c'est la création d'un État palestinien viable et le droit pour Israël de vivre en sécurité.
La difficulté n'est plus de savoir ce qu'il faut faire, mais de savoir comment y parvenir.
Les auteurs observent que le problème est davantage politique que religieux - que la religion est exploitée par des fanatiques pour attiser les passions. C'est vrai. Mais quand ils suggèrent la création d'un poste de "haut représentant" de l'ONU, pour aider le secrétaire général "à désamorcer les crises à l'intersection de la religion et de la politique", on se dit que les sages se sentaient l'obligation de recommander quelque chose sans savoir quoi...
Oui, il faut créer des opportunités de travail pour éviter que trop de désoeuvrés sombrent dans la haine et l'extrémisme. Oui, il faut que les sociétés musulmanes s'ouvrent au pluralisme politique. Oui, il faut apaiser le climat de méfiance qui sévit de part et d'autre.
Mais comment ? Comment y arriver ? C'est là-dessus qu'on espérait lire les sages. C'est sur cet aspect des choses qu'ils auraient pu faire oeuvre utile. Ils ont malheureusement raté le bateau. Mais faut-il s'en étonner ?
Le rapport de l'Alliance des civilisations témoigne finalement du désarroi général que nous ressentons quand nous nous mettons à chercher des solutions pour enrayer le choc que redoutent bien des citoyens d'ici et d'ailleurs.
jmsalvet@lesoleil.com


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