Le vote stratégique

Chronique de Patrice Boileau


Deux élections marqueront l’année 2007. Reste à savoir quel palier de gouvernement conviera le premier la population aux urnes. Néanmoins, tout semble indiquer que Jean Charest cèdera le passage à Stephen Harper pour ensuite l’imiter. Le premier ministre du Québec souhaite absolument surnager en campagne électorale, agrippé à n’importe quelle « bouée de sauvetage fiscale » qu’il qualifiera de progrès, en attendant de conclure une entente finale avec le gouvernement fédéral.
Comme vous sans doute, j’ai abordé ce sujet avec la parenté autour de la dinde et de la tourtière. Sans prétendre que les commentaires que j’y ai entendus reflètent l’opinion générale de l’électorat québécois, il est tout de même permis de penser que ceux-ci s’en rapprochent.
Les préoccupations des personnes avec qui j’ai conversé renvoient beaucoup à leur génération. Les plus jeunes, ceux qui détiennent le droit de vote depuis très peu de temps, n'en ont que pour l’environnement : le Parti vert, que ce soit sur la scène fédérale ou québécoise, héritera de leur appui. Le vert sera une couleur tellement à la mode lors des prochaines campagnes électorales que les dirigeants de ces partis pourraient se présenter sans plate-forme politique! Chose certaine, ils n’auront pas à l’expliquer minutieusement pour hériter du soutien substantiel des cadets de l’électorat québécois. Bref, il sera très difficile en 2007 de convaincre ces derniers de contribuer à l’élection du Parti québécois et surtout du Bloc québécois, qui ne peut faire l’indépendance à Ottawa.
Voilà qui est plutôt triste car aucun gain environnemental ne sera réalisé dans les prochaines années au Canada, à la vue des 4 milliards de dollars qui seront investis en Alberta pour exploiter davantage ses sables bitumineux. Pas un seul des chefs politiques sur la scène fédérale ne freinera le gâchis qui s’y produit présentement. C’est pourtant là-bas que se situe le péril écologique principal qui menace les écosystèmes. Stéphane Dion, nouveau chef du Parti libéral du Canada, ne fera pas mieux que Stephen Harper. Le successeur de Paul Martin, à qui l’on prête de grandes vertus environnementales depuis la conférence de Montréal sur les changements climatiques de décembre 2005, n’osera pas affronter les Albertains. À moins qu’il ne désire composer dorénavant avec deux provinces sécessionnistes! Il ne faudra pas compter sur les médias québécois pour dévoiler son impuissance.
La prochaine élection fédérale va donc faire mal au Bloc Québécois. Des souverainistes « murs », également soucieux de la cause environnementale, horripilés par l’attitude du gouvernement Harper à ce chapitre, voteront pour les libéraux afin de s’assurer de sa défaite. Porter le PLC au pouvoir plutôt que de voir les conservateurs y être reconduits constituera un moindre mal à leurs yeux. D’autres préfèreront carrément appuyer le Parti vert. Reste qu’au total, le vote de ces souverainistes échappera aux troupes de Gilles Duceppe. Les fédéralistes s’empresseront évidemment d’interpréter cette baisse de régime comme une chute des appuis à l’option souverainiste. Ils rajouteront que le Bloc québécois n’a vraiment plus sa place à Ottawa puisqu’il ne peut résoudre des questions qui inquiètent la population. Le chef bloquiste devra faire montre d’une audace qu’il n’a pas affichée lors du dernier scrutin, s’il veut que sa formation politique apparaisse encore sur l’écran radar des Québécois après 2007. Solliciter l’appui de 50% + 1 des gens à l’élection de 2006 sans affubler cette demande d’un mandat précis, fut une erreur monumentale dont il ne s’est toujours pas remis.
Gilles Duceppe va certainement lorgner du côté de Québec après le scrutin fédéral, afin de prolonger sa carrière politique. Curieusement, il lui faudra souhaiter une défaite du Parti québécois face à la bande à Jean Charest pour que son vœu soit exaucé. Un revers péquiste aux mains du gouvernement « le plus mauvais de l’histoire » laissera assurément la formation souverainiste orpheline de chef. Le député bloquiste de la circonscription de Laurier-Sainte-Marie pourra alors quitter son parti dignement, sans donner l’impression d’abandonner un navire en perdition…
Le scrutin québécois attendu en 2007 fera également l’objet de calculs politiques. Au départ, l’arrivée de Québec solidaire et l’ascension des verts brouilleront les cartes : plusieurs souverainistes accorderont leur vote à ces « nouvelles » formations, déçus par le « vieux » Parti québécois qui propose un programme politique qui frise le statut quo.
D’autres partisans normalement fidèles au PQ basculeront dans le camp de l’Action démocratique, si Mario Dumont martèle durant la campagne électorale qu’il adoptera les « mesures autonomistes » qu’il a dévoilées avant la période des fêtes. L’avènement d’une Constitution québécoise ainsi que l’élimination de l’impôt fédéral séduiront des souverainistes de droite qui ne sont pas apeurés par les autres objectifs qui composent la plate-forme politique de l’ADQ.
L’abstention constitue néanmoins le plus grand danger qui guette le Parti québécois. En avril 2003, ils ont été près de 30% à le bouder parce qu’il se contentait d’aspirer à la gouverne provinciale. Que feront ces souverainistes en 2007, sachant que les ténors du PQ font présentement des pieds et des mains pour se distancer du programme que les militants ont concocté en 2005? Que décideront-ils, maintenant qu’il est clair que ce parti veut s’enliser à nouveau dans une impossible gestion provinciale?
Selon Yves Chartrand du « Journal de Montréal », le gouvernement Charest se dirigerait vers un déficit budgétaire de plusieurs milliards de dollars. Jumelée à une dette qui a cru de 7 milliards depuis 2003, l’impasse financière qui afflige l’État québécois rappelle brutalement qu’un statut provincial nuit à son développement. Ce ne sont pas les miettes que le gouvernement fédéral lui offrira en février prochain qui la règleront. D’autant plus que celles-ci dépendront annuellement du bon vouloir des Communes. L’arrivée d’une récession --ce que l’accumulation d’indices laisse croire depuis quelques mois-- provoquera évidemment une révision à la baisse du montant consenti par Ottawa. Et l’élection d’un gouvernement libéral marquera inéluctablement la fin de cette pratique…
Vrai que le projet souverainiste n’est pas apparu afin de mettre un terme au déséquilibre fiscal, cette sanction financière que l’État canadien a imposée au Québec pour avoir voté majoritairement OUI en 1995. Reste que cet obstacle est véritable et particulièrement nocif pour la nation québécoise. Le naufrage financier du gouvernement Charest n’est pas uniquement le fruit de son incompétence : il n’y a qu’à se remémorer combien il fut ardu pour les péquistes d’administrer le Québec durant les années qui ont précédé leur défaite électorale. Des milliers de souverainistes pourraient donc décider de rester à la maison plutôt que de donner un mandat provincial au Parti québécois.
D’autres part, voir le Québec se faire refuser un droit de parole de 45 secondes à une tribune internationale à Nairobi l’automne dernier a profondément humilié les Québécois. Ce « nous muselé » les a choqués. Ce consensus québécois bâillonné de la sorte par l’État canadien leur a brutalement dévoilé le handicap provincial. Il aurait alors été propice que les leaders souverainistes bâtissent pédagogiquement et sereinement une stratégie électorale à l’aide de cet événement, sans sombrer dans les clichés traditionnels comme celui de susciter l’indignation. Rien n’a été fait qui aurait simultanément coupé l’herbe sous le pied des verts qui tergiversent sur la question nationale, clef de voûte pour atteindre leurs objectifs environnementaux. Pas un geste donc pour amener les fédéralistes à reconsidérer l’option souverainiste.
Les indépendantistes ont compris depuis belle lurette ce que leur apporterait un État souverain. Il n’y a plus de temps à perdre à leurs yeux : le Québec doit se dissocier de la fédération canadienne afin qu’il puisse s’exprimer librement lorsque les occasions se présentent à lui. Tout scénario qui affaiblit leur idéal est donc à proscrire. Ainsi, une courte victoire péquiste qui enverrait la souveraineté aux calendes grecques ne peut être souhaitable. En conséquence, l’abstention peut représenter un choix pertinent pour eux. Assurément, il faudra un Parti québécois différent de celui observé actuellement pour persuader ces souverainistes de faire une croix sur un bulletin de vote en 2007.
Patrice Boileau

Carignan, le 6 janvier 2007


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