Le triangle bourassien

Élection Québec - 8 décembre 2008

Robert Bourassa aimait utiliser l'image du triangle pour expliquer son positionnement politique. Chacune des pointes représentait un des trois éléments qu'il jugeait prioritaires: le développement économique, la défense de l'identité québécoise et la paix sociale.
Après la victoire libérale de 2003, Jean Charest avait plutôt fait de la réingénierie la grande affaire de son mandat, qui s'est déroulé dans la turbulence du début à la fin. On a vu le résultat aux élections du 26 mars 2007.
En fin de semaine dernière, le conseil général réuni à Lévis a en quelque sorte consacré le retour au triangle bourassien, un espace rassurant pour la population, où elle peut se sentir à l'abri de ce que M. Charest appelle les «dogmes du PQ» et les «préjugés» de l'ADQ.
Même si le «Plan Nord» que le premier ministre a présenté dimanche manquait de précision et s'inspirait abondamment des politiques péquistes, il faut reconnaître que, sur le plan du marketing, c'était très réussi. Là où la réingénierie semait l'inquiétude, le «Plan Nord» fait rêver.
Depuis un an, M. Charest a réussi à articuler le projet économique qui lui avait fait défaut durant le premier mandat. Certes, il faudra encore bien des années avant que le Canada échange librement avec l'Union européenne, que l'on s'arrache les diamants des monts Otish ou que les touristes débarquent en masse pour admirer les aurores boréales du Nunavik. Peu importe, au moment où la crise financière américaine donne des cauchemars, l'espoir d'un avenir meilleur vaut son pesant d'or.
Alors que la mode est plutôt à l'autodénigrement des Québécois, soi-disant incapables de réaliser de grands projets, le discours de M. Charest pourrait avoir l'effet d'un baume sur notre ego collectif. Il est rassurant de savoir qu'il y aura une vie après le CHUM.
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M. Charest a également compris qu'il lui fallait mieux composer avec le nationalisme. En 2003, la création du Conseil de la fédération se voulait sa grande contribution au débat constitutionnel. Ce faisant, il misait davantage sur l'intégration politique du Québec à la fédération et sur sa communauté d'intérêts avec les autres provinces que sur l'affirmation de sa différence.
Aujourd'hui, son approche est plus spécifiquement québécoise. En 2001, le rapport Pelletier faisait de la limitation du pouvoir fédéral de dépenser un principe général applicable à toutes les provinces. Le programme dont l'adoption a été conclue en fin de semaine se limite maintenant à demander son encadrement dans les champs de compétence du Québec. Il est vrai que la maîtrise d'oeuvre dans les secteurs de la culture et des communications n'est pas une grande préoccupation dans les autres provinces.
On peut facilement comprendre que Robert Bourassa, dont la carrière a été jalonnée de crises, ait été obsédé par la paix sociale. Jean Charest semble faire le pari qu'en dépit des inquiétudes que suscite la situation du français à Montréal, la population ne souhaite pas revenir sur le compromis que constituait l'adoption de la loi 86 en 1993.
En fin de semaine, le conseil général s'est opposé à une proposition qui prévoyait augmenter les amendes imposées aux entreprises qui, trente ans après son adoption, contreviennent encore aux dispositions de la Charte de la langue française.
Certains pourront trouver paradoxal que le PLQ exige que tous les sous-ministres fédéraux, les p-.d.g. des sociétés d'État fédérales et les ambassadeurs canadiens soient «parfaitement bilingues», alors qu'il est loisible d'exploiter un commerce uniquement en anglais dans le centre-ville de Montréal.
Le gouvernement Charest a consacré un million à l'organisation du forum de gens d'affaires qui se tiendra le 10 octobre prochain, mais il demeure que les entreprises de moins de 50 employés continueront à échapper à toute obligation. Peu importe, rien ne doit venir troubler la quiétude qui règne à l'intérieur du triangle.
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Même si l'alignement des planètes semble de plus en plus favorable à la tenue d'élections au Québec dès cet automne, plusieurs libéraux demeurent hantés par le souvenir du printemps 2007. Il est vrai que M. Charest avait déclenché les hostilités un peu trop rapidement, mais le grand handicap du PLQ était plutôt le bilan du premier mandat, dont une majorité d'électeurs étaient insatisfaits. Aujourd'hui, ils s'en disent ravis.
Les plus âgés se souviennent que Robert Bourassa s'était cassé les dents en 1976, quand il avait précipité les choses sous prétexte de s'opposer aux visées centralisatrices de Pierre Elliott Trudeau. Précisément, il s'agissait de Trudeau, que les Québécois adulaient.
Depuis dix jours, le Bloc québécois est en voie de démontrer que Stephen Harper demeure un personnage inquiétant aux yeux des Québécois. Dans l'hypothèse de l'élection d'un gouvernement conservateur majoritaire, M. Charest pourrait simplement reprendre là où Gilles Duceppe en était resté et se présenter à son tour comme le défenseur des «valeurs québécoises».
Il s'agirait d'un revirement assez savoureux. En 1998, c'est lui que Lucien Bouchard présentait comme un disciple de Mike Harris, qui allait faire souffler sur le Québec «le vent glacial de la droite». D'ailleurs, venant de M. Bouchard, l'accusation ne manquait pas de piquant.
Évidemment, après avoir chanté sur tous les tons les mérites de la cohabitation, M. Charest aurait un peu de difficulté à expliquer en quoi l'Assemblée nationale est soudainement devenue dysfonctionnelle, mais qui se soucie encore du fait que M. Harper ait déclenché des élections au mépris de sa propre loi?
C'est un euphémisme de dire que la perspective d'une deuxième campagne consécutive n'enchante personne, mais il y a des occasions que l'on ne peut pas laisser passer. Au rythme où chutent les cours des Bourses, qui sait de quoi le printemps sera fait?


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