Le test tunisien

"Crise dans le monde arabe" - Tunisie 2010


Les extraordinaires événements de Tunisie — qui représentent, sauf erreur, le premier renversement, dans l'Histoire, d'un dictateur arabe par des manifestations de rue — feront-ils école dans le reste de cette vaste région du monde? Du Caire à Alger, et au-delà, des dirigeants inquiets et des populations pleines d'espoir se posent la question depuis 72 heures.
Malgré la diversité des systèmes en place dans le monde arabe (le régime algérien s'appuie sur une forte armée, ce qui n'est pas le cas en Tunisie) et de leurs alliances (certains de ces États ont de bons amis à Paris et à Washington, d'autres pas), il y a des points communs entre tous ces régimes, entre les situations vécues par les populations tunisienne, égyptienne, jordanienne: une jeunesse diplômée sans avenir, des élites décadentes, des dictatures déguisées en démocraties.
Il est loin le temps où des Nasser, Boumédiène ou Bourguiba — fussent-ils ou non démocrates, fussent-ils ou non sympathiques — entretenaient de vrais projets, de vraies idées, appuyés sur de vrais mouvements sociaux. Aujourd'hui, tout le monde arabe semble paralysé devant l'Histoire en marche ailleurs, exclu de la mondialisation et du progrès, avec des régimes ossifiés qui n'ont d'autre dessein que leur propre maintien au pouvoir.
Sans compter un jeu d'alliances tordu, avec d'horribles effets pervers: dans le cas tunisien, l'appui des Occidentaux — et en particulier d'une France incroyablement myope et complaisante — reposait sur un marché de dupes. D'un côté, on jouait les loyaux alliés dans la lutte obsessionnelle contre le terrorisme et l'islamisme, tout en freinant au maximum l'émigration des jeunes vers l'Europe. De l'autre, en échange de cette collaboration, on fermait les yeux devant une féroce dictature, policière et laïque, familiale et mafieuse, censée protéger le monde arabe — et les Occidentaux — du pire.
Mais la «Révolution du jasmin» est encore loin d'être achevée. Son issue et son caractère exemplaire restent des inconnues. Hier, sur le site www.slate.fr, l'écrivain et journaliste d'opposition Taoufik Ben Brik — célèbre depuis son emprisonnement pendant six mois, en 2009-2010, pour des délits inventés par le régime — parlait déjà d'une «révolution confisquée» par les sous-fifres du président déchu.
Selon lui, alors que Tunis émerge difficilement du chaos, le premier ministre Ghannouchi et son entourage feraient tout pour limiter les effets politiques de ce mouvement, espérant le borner à une espèce de révolution de palais, avec simple permutation des élites. Mais il y a d'autres dangers.
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Le vrai test de cette révolution inachevée, c'est de savoir si, oui ou non, elle pourra accoucher d'une démocratie pluraliste et laïque, et si elle ouvrira une voie nouvelle pour les autres pays arabo-musulmans. De savoir, autrement dit, si elle permettra à ces sociétés de sortir de l'alternative de la peste et du choléra où elles se trouvent emprisonnées depuis des décennies: ou bien la tyrannie militaro-policière, ou bien la prise du pouvoir par les «barbus».
S'il est un pays, dans tout le monde arabo-musulman, où cette extraordinaire expérience peut être aujourd'hui tentée dans les moins mauvaises conditions, c'est la Tunisie.
Malgré la démolition méthodique, pendant 20 ans, de toute opposition organisée à l'intérieur du pays — ce qui explique d'ailleurs cette «révolte sans leaders» et force aujourd'hui le recours, dans un premier temps, aux éléments les moins pourris de l'ancien régime —, une telle opposition existe dans les milieux exilés bientôt de retour, et même dans la semi-clandestinité, à l'intérieur du pays.
Et puis — c'est un cliché sur la Tunisie — c'est l'État arabe qui, avant les années Ben Ali, avait le mieux promu les droits des femmes, l'éducation gratuite obligatoire pour tous, ainsi que de nombreuses valeurs laïques (à défaut de la démocratie pluraliste). Un pays qui, malgré la crise économique des années 2000, et malgré la dictature politique, est arrivé à maintenir un niveau de vie et de services dont ne peuvent que rêver, par exemple, les Égyptiens ou les Irakiens.
Autrement dit, s'il fallait que même là, devant la chance démocratique qui passe, ce soient les islamistes qui en profitent et, à la fin, en recueillent les bénéfices au détriment des libéraux laïques... ce serait à désespérer de toute cette région du monde.
Mais, en attendant, qu'il nous soit permis, au moins un moment, de vivre au diapason de l'espoir. L'espoir de la Tunisie.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.
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francobrousso@hotmail.com

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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