Renversement de Ben Ali - La rue l'emporte

"Crise dans le monde arabe" - Tunisie 2010


La rue tunisienne a gagné. Dictateur qui régna sans partage pendant 23 ans, Ben Ali a quitté le pays à l'heure des voleurs: la nuit venue et dans la plus grande discrétion. Ce départ dans la précipitation de la part d'un homme qui avait la maîtrise de tous les rouages de la répression symbolise à lui seul combien le peuple tunisien en général, et la jeunesse en particulier, était habité par une volonté et une seule, que résume fort bien le slogan scandé hier: «Ben Ali, dégage!»
Il a dégagé non pas sous la pression d'islamistes ou de militaires qui auraient réalisé un coup d'État, mais bien parce que la nation tunisienne était plongée dans une détresse dont le caractère économique se détache du reste. Dans le temps court de l'histoire, celle-ci a débuté en 2008 dans le sud du pays. Plus précisément dans les environs de Gafsa, où se concentrent les ressources minières de la Tunisie. Toujours est-il que cette région a été le théâtre de mouvements sociaux si constants qu'on les a qualifiés de sans équivalent au Maghreb.
En emprisonnant des dizaines et des dizaines de militants et de syndicalistes, sans oublier les journalistes qui avaient osé faire leur travail, Ben Ali a nourri la contestation d'une province où le nombre de chômeurs dépasse les 50 %. Ensuite, et après que la crise eut atteint l'Europe, et plus particulièrement la France, les revenus inhérents à l'industrie touristique ont fondu comme neige au soleil. Pour panser les plaies d'un secteur qui pèse 7 % du PIB, Ben Ali n'a rien trouvé de mieux que d'opter pour la fuite en avant en accordant des exonérations d'impôts au bénéfice d'entreprises appartenant aux amis du régime. Résultat net? La dette publique pour le seul exercice 2009 a totalisé 5 milliards.
Parallèlement à cet essorage financier, Ben Ali a aiguisé davantage l'appétit légitime des Tunisiens pour un changement de régime. Comment? Il a brandi la carte de la privatisation des télécommunications et d'une partie du secteur bancaire à son avantage et à celui de sa belle-famille. Ce faisant, il a renforcé la mainmise de clans qui lui sont acquis, de clans qui ont bénéficié de ses largesses dès le début de sa prise du pouvoir.
Il ne manquait plus qu'une hausse marquée des matières premières, et notamment des céréales, pour qu'une rue tenaillée par le désespoir et la faim estime que la seule chose qui lui restait à faire était de se débarrasser de Ben Ali à n'importe quel prix. Elle a gagné. En fait, elle a remporté une manche. Une manche aussi importante qu'historique, mais une manche quand même. Car reste à savoir maintenant ce que le gouvernement qui a été formé à la va-vite dans la journée d'hier va décider.
Va-t-il opter pour une révolution dite de velours en promettant l'organisation d'élections libres, la liberté d'expression, l'instauration de l'État de droit, ou bien va-t-il gagner du temps pour mieux installer un régime tout simplement moins autoritaire que celui de Ben Ali? On pose la question ainsi parce que, contrairement à ce qui a été constaté dans certains pays d'Europe de l'Est, ceux qui détiennent le pouvoir aujourd'hui le partageaient hier avec Ben Ali. Bref, aucune figure en vue de l'opposition n'a été invitée. Ce n'est pas de bon augure.


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