Le temps de déposer les armes

10d5718887088a954297dd52d26b0bb9

"À mes amis souverainistes" - Alain Dubuc


Nous vous présentons des extraits du nouveau livre de notre chroniqueur Alain Dubuc, «À mes amis souverainistes», en librairie à la fin de la semaine aux Éditions Voix parallèles.
Des enjeux importants confrontent le Québec. Cela annonce des virages difficiles, qui vont demander beaucoup d'énergie et la plus grande cohésion possible. Les efforts pour donner au Québec son élan et pour combler ses retards méritent de devenir la priorité des priorités. Et la chose est assez urgente pour que l'on s'engage sur ce chemin le plus rapidement possible.


Ce constat, avec lequel pas mal de gens seront d'accord, me permet de mettre la table pour ce qui est le véritable propos de ce livre. Vous m'avez sans doute vu venir avec mes skis. Les perspectives quasi nulles d'une victoire de la souveraineté, les effets pervers d'un débat qui tourne en rond, l'ampleur des défis que nous devons relever m'amènent à une grande conclusion, que je transforme en proposition, en demande à mes amis souverainistes.
Ce que je suggère, c'est que les souverainistes, et plus particulièrement ceux du Parti québécois, cessent de faire de la souveraineté leur objectif premier, qu'ils défendent les intérêts du Québec d'une autre façon, avec d'autres objectifs. Le temps est venu pour les souverainistes de déposer les armes, d'abandonner le combat dans la forme qu'il prend depuis 40 ans, de modifier le programme de leur parti pour l'ajuster à la réalité politique.
Je pense sincèrement que c'est la meilleure chose qui pourrait arriver au Québec à ce stade très précis de son histoire, mais aussi que c'est la meilleure voie à suivre pour des souverainistes sincères et raisonnables, épris du Québec, mais réalistes. S'ils croient au Québec et s'ils veulent le faire progresser, c'est la stratégie la plus porteuse.
Pour un souverainiste inconditionnel, une telle proposition sera tout à fait inacceptable, surtout quand il verra de qui elle provient. Mais ce n'est pas à ces souverainistes-là que je m'adresse. Je parle à tous ceux, et ils sont nombreux, qui doutent, qui sont fatigués, que cette idée a effleurés, qui se posent la question. Même s'ils ne sont pas prêts à faire le saut.
Je suis tout à fait conscient du fait qu'il y a quelque chose d'injuste dans cette proposition. Pourquoi ce serait aux souverainistes de faire les frais de l'impasse? Je suis aussi conscient du difficile cheminement qu'elle impose. Mais je ne crois pas que cette proposition soit disproportionnée par rapport aux enjeux. (...)
Entendons-nous. Il ne s'agit pas de réclamer une apostasie, de vouloir que les péquistes renient ce à quoi ils croient, qu'ils deviennent libéraux ou qu'ils militent dans le camp du Non. Le fait d'accepter de ne plus se battre pour la souveraineté ne doit pas empêcher un péquiste de croire et d'affirmer que c'est, à son avis, la meilleure solution, le plus beau projet, un rêve merveilleux, tout en reconnaissant que la réalité politique et sociale québécoise le rend impossible et doit le forcer à écarter cette solution. Rien n'empêche un souverainiste de rester souverainiste.
De façon concrète, cela exigerait néanmoins une autre modification de l'article 1, pour le clarifier et sortir du flou actuel. Ce pourrait être une formulation qui, sans renier la souveraineté, affirme par exemple que le Parti, tout en estimant que la souveraineté est la meilleure voie pour le Québec, la définit comme un objectif très lointain qui se fera peut-être un jour si les Québécois en manifestent le désir; autrement dit, définir la souveraineté non pas comme un objectif immédiat ni comme la finalité de la stratégie politique, mais comme une façon de voir le Québec, d'exprimer l'existence de la nation.
Mieux encore, ce pourrait être une redéfinition du concept même de la souveraineté, une démarche qui me paraîtrait plus limpide et plus cohérente. Admettre que le projet de pays peut prendre d'autres formes que la souveraineté. Et de miser carrément sur une forme d'affirmation en phase avec le sentiment très majoritaire au Québec en faveur d'une démarche autonomiste.
C'est cela qui constituerait, pour le Parti québécois, le véritable blairisme, un virage semblable à celui qu'on fait les social-démocraties d'Europe du Nord. Pas devenir un parti fédéraliste, mais définir la souveraineté autrement qu'à travers l'indépendance et une rupture avec le Canada que les Québécois ne veulent pas. Les partis sociodémocrates d'Europe ont carrément abandonné la social-démocratie telle qu'ils la pratiquaient. Ils se réclament toujours de cet idéal et tentent de l'exprimer d'une autre façon.
Le plus difficile, dans un tel processus de transformation, ce n'est pas le virage politique, mais plutôt le virage psychologique. L'admission que c'est fini, qu'il faut faire autre chose. D'appeler un chat un chat. Mais aussi d'adopter une stratégie qui revient à une forme d'affirmation nationale.
Ce serait, il faut le dire, une façon de renouer avec la démarche que René Lévesque avait épousée dans les dernières années de son gouvernement et celle qu'avait proposée Pierre Marc Johnson. Et donc de se réinsérer dans une tradition bien établie au sein de ce courant. Mais c'est une stratégie que les militants du Parti québécois ont honnie, qu'ils ont rejetée, qu'ils ont dénoncée. C'est donc un virage qui, aussi logique soit-il, serait difficile pour une organisation aussi rigide.
À mon avis, bien des souverainistes en sont là. Ils sont à divers stades du processus qui les amènera à accepter l'impasse et à sortir du déni. C'est un processus complexe qui comporte, après le déni, une période de deuil. Il y a un stade où on est souverainiste moins par conviction que par habitude - c'est tout aussi vrai pour les fédéralistes - parce qu'on ne sait pas comment être quelque chose d'autre, parce qu'on a peur du vide.
Où peut aller un souverainiste qui veut délaisser la souveraineté, que peut-il faire? Il n'a pas d'espace politique, à moins de voter sans enthousiasme pour l'ADQ, ce qui fait qu'un grand nombre de souverainistes qui ne croient plus à l'option ont tendance à déserter la vie politique, à se détacher, faute de lieu d'expression. Ces démissions comportent un coût collectif, car on perd leur contribution précieuse. (...)
Une autre Révolution tranquille...
(...) Il y a un plan secret dans la démarche que je propose. Mais ce n'est pas celui qu'on pense. Mon projet, en formulant des arguments pour convaincre des souverainistes de délaisser leur option, ce n'est pas d'assurer une victoire sans combat du fédéralisme, la consécration du statu quo, le triomphe du manger mou constitutionnel.
Nous savons tous que le fédéralisme n'a pas réussi à s'imposer dans la tête et le coeur des Québécois. Mon projet consiste à tenter de mettre de côté le combat des souverainistes qui ne mène nulle part pour le remplacer par un autre combat qui nous mènerait plus loin.
L'abandon du combat pour l'indépendance représenterait très certainement un grand sacrifice pour les souverainistes. Ce serait également un défi pour l'ensemble des Québécois. La mise en veilleuse de cette option constituerait un choc culturel pour tout le monde. L'entrée dans l'ère post-souverainiste créerait un vide qu'il faudra combler. Le succès du courant souverainiste illustre l'existence d'un malaise et l'expression d'un besoin auxquels il faut répondre. Il y a aussi un risque que le reste du Canada croie, à tort, que l'effondrement de la menace séparatiste signifie que la question québécoise est résolue.
Ce n'est donc pas une démission collective que je souhaite, mais un changement de paradigme, un virage plus profond, une rupture avec un débat politique dont les paramètres ont été déterminés il y a 40 ans. Il faut continuer à se poser la question de l'avenir du Québec, mais dans des termes résolument différents.
Dans les chapitres précédents, j'en suis venu à souhaiter l'avènement d'une seconde Révolution tranquille qui serait animée par le même dynamisme et la même audace que la Révolution tranquille des années 60, et qui permettrait de compléter le travail de la première.
Cette révolution économique et sociale est vouée à l'échec si nous n'entreprenons pas aussi une autre révolution, celle-là de nature politique. Ce sont les vaches sacrées de notre pensée politique qui constituent les principaux freins au changement. Il s'agit de redéfinir les termes du débat national, non pas en fonction de ce que le Québec était, mais en fonction de ce qu'il a réussi, de ce qu'il veut, de ce qu'il peut.


Laissez un commentaire



9 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    15 mai 2008

    Bien d'accord avec vous Laurent !
    Rompre psychologiquement. Un peuple qu'on veut libre a besoin d'abord et avant tout de citoyens libres.
    Les leaders fédéralistes se font rares et l'internet permet des communications rapides entre souverainistes, contrairement à 1995.
    Laisser tomber les armes, chers amis fédéralistes.
    C'est peine perdue.
    Le Québec deviendra indépendant.
    Nous sommes condamnés à être libres, comme dit Sartre.
    Sébastien Harvey

  • Archives de Vigile Répondre

    15 mai 2008

    Quel homme raisonnable, pragmatique. Je suis tout à fait d'accord avec cette proposition de laisser tomber un projet politique qui ne conviendra jamais au Québec. En effet, le régime fédéraliste agira toujours comme un boulet pour le Québec et cette réalité alimentera toujours le mouvement souverainiste.
    Devant cette confrontation éternelle, je me vois dans l'obligation de devenir pragmatique et réaliste à mon tour. Je renonce donc à ce rêve d'une fédération canadienne unie et ouverte au Québec. Je me rends à l'évidence, les Québécois ne veulent pas participer à ce projet de pays canadien, pourtant si extraordinaire. Bien sûr, je dois rompre le lien psychologique avec le Canada, mais c'est la réalité qui m'y contraint, avec regret. Il faut donc admettre que les souverainistes n'abandonneront jamais et que les idées supérieures fédéralistes n'ont pas su les convaincre. Dommage...

  • Archives de Vigile Répondre

    14 mai 2008

    Il y a une différence fondamentale entre le compromis et la compromission. Il est de plus en plus évident qu'Alain Dubuc ne connaît que la seconde. Grand bien lui fasse, ce n'est toutefois pas ma tasse de thé. Dubuc peut toujours causer...
    Michel Berbery
    Montréal

  • Archives de Vigile Répondre

    14 mai 2008

    Lire du Alain Dubuc me fait toujours une curieuse impression. Je suis absolument incapable de faire abstraction de son état de "colonisé de service" lorsque je lis son scribouillage. Dire que ce TRISTE SIRE affirme haut et fort avoir été marxiste-léniniste dans sa jeunesse me laisse pantois... Comment peut-on avoir été tant de gauche dans un passé pas si lointain pour finir en fidèle supporteur des valeurs monarchiques canadiennes
    (ex.:lieutenant gouverneur; madame Michaëlle Jean) qui sont tant de droite.
    Dans son parcours de vie, une chance que le ridicule ne tue
    pas parce que ce TRISTE PERSONNAGE serait mort depuis belle lurette...
    Amitiées à tous les indépendantistes.
    VIVE LE QUÉBEC !!!

  • Jean Lapointe Répondre

    14 mai 2008

    La publication de ce livre nous donne encore l'occasion à nous souverainistes de dire et d'expliquer pourquoi nous considérons la souveraineté du Québec comme souhaitable, voire comme nécessaire, étant donné l'état actuel des choses (les attaques de la part des «fédéralistes») et compte tenu de ce que voulons pour le Québec et les Québécois (son plein épanouissement économique, social et culturel).
    Dubuc semble la considérer cette souveraineté comme un caprice, une fantaisie, un souhait irréaliste parce qu'irréalisable. Un rêve quoi.
    Il semble incapable de concevoir qu'on puisse la concevoir comme un projet tout à fait réalisable. Ses raisons lui appartiennent. Elles ne sont probablement pas très avouables.
    Pourquoi ne serait-il pas réalisable ce projet? Nous avons tout ce qu'il faut pour réussir. Tout le monde le sait maintenant, y compris le premier ministre Charest, si l'on en croit ce qu'il a dit lors d'un séjour récent en France. Tout ce qu'il nous manque c'est encore un peu plus de volonté de la part de l'ensemble de nos compatriotes.
    Nous avons des complexes à résoudre, des hésitations à combattre, des peurs à surmonter, surtout dans certaines parties de la population. Mais des progrès incontestables ont été réalisés, malgré les revers que nous avons connus. Nous avons aussi parfois des doutes sur le bien-fondé de ce projet. Tout cela est bien normal sans doute.La ligne droite n'existe pas dans ce domaine. Il ne faut donc pas lâcher, jamais lâcher.
    La recherche d'une plus grande liberté est inscrite dans le coeur des êtres humains. Les peuples aussi aspirent toujours à plus de liberté. Il faut toujours tenter de lui donner libre cours mais d'une façon positive, constructive.
    Quand on a compris cela, ça nous paraît évident. Mais il ne faut pas oublier que le développement des consciences ça prend du temps.C'est la raison pour laquelle il ne faut jamais cesser, d'informer, d'instruire, de montrer, d'expliquer bref de tenter d'éduquer, c'est-à-dire de faire grandir les êtres humains. On se grandit soi-même en le faisant.
    Le livre de Dubuc nous en donne l'occasion. Profitons-en au lieu de nous en scandaliser, au lieu de chercher des boucs émissaires.

  • Archives de Vigile Répondre

    13 mai 2008

    Du grand Alain Dubuc ! Jamais ne rendrai les armes de mon vivant monsieur Dubuc. L'Indépendance du Québec m'a toujours habité; à la vie à la mort.

  • Réal Ouellet Répondre

    13 mai 2008

    Il est certain que quand on est à genoux on ne peut que demander aux autres de baisser les bras!

  • Archives de Vigile Répondre

    12 mai 2008

    Pourquoi j'ai l'impression qu'on va beaucoup entendre parler de ce livre sur radio-canne?

  • Archives de Vigile Répondre

    12 mai 2008

    Encore une prose qui donne la nausée...