Église du Très-Saint-Nom-de-Jésus

Le symptôme d'un manque de vision

Patrimoine Québec


Phyllis Lambert et Serge Joyal - Un quartier, une ville — surtout si elle prétend au titre de métropole culturelle du Québec — ne peuvent s'improviser un avenir en «courant les chats de ruelle...». La manière dont est abordé l'avenir de l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, au sein des hautes sphères de l'administration publique, est symptomatique d'un manque de vision. Cette approche est risquée, voire dangereuse pour le raffermissement de l'identité de la ville, et surtout quelque peu méprisante de la population de ce quartier populaire.
C'est le sort réservé à l'orgue de l'église qui a alerté l'opinion: personne ne doute de sa qualité ni du fait qu'avant de concevoir qu'il quitte les lieux pour Toronto, comme autrefois les objets d'art du culte partaient pour les États-Unis, tout devrait être tenté pour le conserver ici. Nous nous le devons à nous-mêmes. Cet instrument de musique sacrée est rattaché à un édifice religieux dont le sort est encore plus incertain. L'état de sa conservation, si rien n'est entrepris, le condamnera à la disparition dans un proche avenir.
Lorsque les autorités publiques furent alertées, la première réaction en fût une d'agacement, sinon de répéter que là n'était pas la priorité, que beaucoup d'investissements avaient déjà été consentis pour le patrimoine religieux, ailleurs, et que finalement, ça n'entrait pas dans les objectifs des programmes en place.
Ancrée dans le quartier
Or, le sort de l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus (TSNJ) est indissociable de la trame du quartier Hochelaga-Maisonneuve, le plus intéressant et typique quartier de Montréal qui, jusqu'ici, a conservé son intégrité institutionnelle enracinée dans l'aménagement et l'histoire de ses édifices patrimoniaux, aussi bien civils, que religieux, institutionnels et privés.
Ce lieu rassemblait à l'intérieur de ses frontières toute la vie canadienne-française de son époque: ses classes laborieuses dans les rues latérales, son élite professionnelle et bourgeoise sur la rue Adam, au sud du boulevard Pie IX et sur la rue Lafontaine, son ancrage religieux dans les presbytères, couvents, jardins d'enfance, écoles et églises, et sa base industrielle le long de la rue Notre-Dame, du port, et près de l'ancienne voie ferrée de la rue Ontario, son poumon commercial.
Ce quartier n'a pas évolué dans la désorganisation et l'improvisation: ses fondateurs, les frères Marius et Oscar Dufresne, voulaient qu'il soit une ville modèle, avec des bains publics, un marché qui ramenait la campagne à la ville, des parcs et des avenues, des terrains de jeux et des aires de repos. Eux-mêmes, fort riches, avaient élu domicile dans leur «château» en haut du quartier plutôt qu'à Outremont, comme la bourgeoisie francophone de l'époque.
Palmarès d'architectes
Même plus, la majorité des édifices civils ou religieux du quartier Hochelaga-Maisonneuve ont été construits par des architectes de renom, la plupart canadiens-français:
- Marius Dufresne (marché Maisonneuve, bain Morgan, caserne des pompiers de la rue Letourneux, et le «château» de la famille)
- Joseph Perrault (ancien bureau de poste d'Hochelaga)
- Cajetan L. Dufort (hôtel de ville)
- Albert Mesnard et Charles-Aimé Reeves (église du TSNJ)
- Dalbé Viau et Alphonse Venne (église de la Nativité)
- Joseph Venne (église de Saint-Clément de Viauville)
- Donat-Arthur Gascon et Louis Parent (église du Très-Saint-Rédempteur)
- Joseph-Pierre-Edmond Dussault et Émile-Georges Rousseau (église de Saint-Émile)
- Emmanuel Doucet et Emmanuel Briffa (ancien théâtre Granada, maintenant théâtre Denise-Pelletier)
- Onésime Généreux (ancien couvent Hochelaga, détruit par l'élargissement de la rue Notre-Dame)
C'est l'un des palmarès d'architectes francophones les plus représentatifs de l'époque en un espace urbain, somme toute, à taille humaine. Parce que ce quartier et ses édiles, voire son élite, ne craignaient pas d'affirmer leur confiance en l'avenir en construisant de beaux et prestigieux édifices qui n'étaient ni banals, encore moins quelconques, comme nos gouvernements en construisent malheureusement trop souvent aujourd'hui. Ses dirigeants avaient d'ailleurs un grand respect de la population ouvrière qui trimait dur dans les biscuiteries de Viau, les chantiers navals de la Vickers, la sucrerie St. Lawrence, les shops Angus, les manufactures de fil, les chaussures Corbeil, les tabacs McDonald, etc.
Approche globale
Cet urbanisme rendait sa population fière d'y appartenir. La preuve en est que bien que locataire à 80 %, elle déménageait toujours à l'intérieur même des frontières du quartier sans jamais vouloir le quitter.
Il est important de préciser que ce quartier trouve son identité et ses racines historiques dans tous ces édifices publics, commerciaux et industriels (banques), qui survivent au temps et donnent à Montréal une identité patrimoniale unique.
Ce qui est inacceptable, actuellement, c'est qu'en haut lieu on se lave les mains de l'avenir de l'église comme si celle-ci était une «verrue» du tissu urbain, reliquat encombrant d'un passé révolu.
Nous plaidons pour une approche globale à l'égard de l'avenir des édifices emblématiques du quartier Hochelaga-Maisonneuve. C'est l'ensemble de ce quartier que l'on doit pouvoir apprécier dans son identité historique et pérenne, avant d'autoriser le démembrement ou la disparition de l'un ou l'autre de ses points de repères et d'ancrage dans son histoire.
Concertation essentielle
La Ville de Montréal doit revoir la manière dont elle aborde la planification et le développement de ce quartier unique à Montréal. La ministre de la Culture doit modifier les paramètres d'appréciation de son rôle et de son mandat. Il faut resituer l'évaluation de cette église dans la trame humaine et culturelle de ce quartier unique. Monseigneur Jean-Claude Turcotte, de son côté, ne peut ignorer sa responsabilité à l'égard de la mémoire des fidèles dont les contributions, souvent modestes, ont servi à édifier ces temples.
Il est temps que les responsables se concertent pour sortir des cadres d'appréciation actuels, qui sont trop étroits et insuffisants pour tenir compte de l'effet de désintégration que ne manquerait pas de provoquer une approche de cas par cas insensible à l'impact global sur l'intégrité de ce territoire urbain. Ce milieu dynamique, appelé à demeurer un des quartiers les plus pittoresques de la ville où sont réunis et vivent dans un équilibre réel des groupes de toutes fortunes et d'activités diverses, a toujours su s'adapter aux changements sans se renier.
L'avenir de la ville est entre les mains de ceux et celles qui y vivent. Au moment où la population de Montréal se diversifie, à un rythme accéléré, l'importance de maintenir les points de repère de notre identité historique s'impose d'autant plus afin d'assurer que notre avenir ne soit pas en rupture avec nos racines culturelles.
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Phyllis Lambert - Directrice de 1973 à 1986 du Groupe de recherche sur les bâtiments en pierre grise de Montréal (recension du patrimoine bâti du quartier Hochelaga-Maisonneuve)
Serge Joyal - Sénateur, ancien député d'Hochelaga-Maisonneuve (1974-1984), l'auteur a été éduqué dans le quartier Maisonneuve et a fréquenté avec son école l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus au milieu des années 50


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