Le rocher de Sisyphe

Le ministre de la Défense, Gordon O'Connor, est vraiment d'un optimisme délirant.

17. Actualité archives 2007


Il y a des progrès en Afghanistan, déclarait-il l'autre jour à Montréal. Imaginez! À Kandahar, il y a quelques embouteillages, des panneaux publicitaires et même une couple de guichets bancaires électroniques! Le commerce va, donc tout va!
Le gouvernement, poursuit le ministre, «soutiendra la mission jusqu'à ce que les progrès en Afghanistan soient irréversibles».
Irréversibles? Cela veut dire, à toutes fins utiles, que le Canada devrait rester en Afghanistan jusqu'à la fin du siècle! Car où diable sont les progrès, dans ce qui apparaît de plus en plus comme un gouffre sans fond?
Même le général Rick Hillier, grand champion de l'intervention, le confirme : les talibans ont refait leurs forces durant l'accalmie hivernale et vont bientôt multiplier les attaques, les embuscades et les attentats suicide.
Cette guerre larvée ressemble de plus en plus au rocher de Sisyphe, qui redévale la pente aussitôt qu'on a réussi à le hisser au sommet. Une tâche toujours à recommencer. L'absurde, disait Camus.
On reconstruit une école, elle est bombardée le lendemain. On apprivoise la population locale, et voilà qu'un convoi est victime d'une embuscade; les soldats tirent, des civils sont tués, tout est à recommencer. On met en place un gouvernement soi-disant démocratique, il s'avère au contraire corrompu, proche des chefs de clan qui s'enrichissent dans le commerce de l'opium. Entre Karzaï, maintenu au pouvoir par des armées étrangères, et la mouvance talibane, issue du peuple, que choisit l'Afghan moyen?
Pour chaque taliban abattu, il y a un ado misérable qui ramasse sa grenade, et il y a un, deux ou 10 autres qui arrivent du Pakistan, à travers la frontière poreuse qui permet aux talibans d'aller refaire leurs forces en lieu sûr.
Pire, alors que l'Occident se bat pour éradiquer le terrorisme en Afghanistan, des rapports indiquent qu'Al-Qaeda est en train de reconstruire ses camps d'entraînement terroristes au-delà de la frontière, dans les zones montagneuses du Waziristan, qui échappent au contrôle d'une armée pakistanaise dont plusieurs éléments sont de mèche avec les extrémistes islamistes
On connaît déjà le double jeu du président pakistanais Pervez Musharraf. Peut-on davantage se fier au président Karzaï? Ce dernier vient de négocier la libération d'un reporter italien en échange de cinq prisonniers talibans - dont l'un, Abdul Latif Hakimi, était l'un des rares chefs talibans pakistanais que le gouvernement Musharraf, sous la pression de l'Ouest, avait arrêté pour le remettre aux autorités de Kaboul.
Le message de Karzaï est double. Aux terroristes, il dit que le fait de prendre en otages des humanitaires et des journalistes étrangers leur ouvre des horizons faramineux. Au gouvernement pakistanais, il dit que cela ne vaut guère la peine de sévir contre les talibans qui se trouvent sur son sol, puisque Kaboul peut les libérer à la première occasion.
Dernière nouvelle, l'un des policiers afghans qui ont mené l'enquête sur l'assassinat du diplomate canadien Glyn Berry vient de demander l'asile politique au Canada parce qu'il a reçu des menaces de mort! C'est le théâtre de l'absurde : le Canada envoie ses jeunes soldats à la boucherie en Afghanistan et recevra en échange des policiers afghans qui veulent sauver leur peau!
Jusqu'à quand les Canadiens seront-ils les seuls, avec les Britanniques et les Américains, à affronter les pires dangers? L'Europe a beau claironner qu'elle veut constituer un contrepoids aux États-Unis, les actes ne suivent pas les paroles.
Les contingents que les pays européens ont envoyés en Afghanistan sont non seulement petits, mais bardés de défenses. Les uns ont ordre de ne pas combattre la nuit, d'autres de ne pas mettre leurs hommes en danger, bref ils ne participent à aucune mission périlleuse et se cantonnent dans les zones pacifiées.
Le Canada a tenté de faire pression sur ses alliés de l'OTAN pour que les risques soient plus également répartis, mais ce fut peine perdue même si cela contrevient brutalement au principe fondamental de l'OTAN, qui exige une indéfectible entraide entre ses membres.
Au lieu de s'engager aveuglément à rester en Afghanistan jusqu'en février 2009 - voire jusqu'à ce que l'Afghanistan soit devenu aussi paisible que la Saskatchewan - le Canada devrait, comme on dit, «mettre son pied à terre» et exiger de l'OTAN et de ses alliés que la chair à canon ne vienne pas toujours des mêmes pays.


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