Le réveil de la momie

L’autonomiste pense que tout est possible à condition de ne pas faire de bruit

Chronique d'André Savard


Quand on veut renverser les citadelles ou qu’on veut secouer une vieille servitude, il arrive que l’on réveille la momie à la place. On pense ouvrir un trésor de possibilités et on ouvre un tombeau.
On comprend que bien des Québécois ont voté pour Dumont parce qu’il croyait voter pour la distance moderne, l’invention et la passion. Ce serait bien le comble que, dans l’intention de suivre, au nom du bouleversement des générations, on s’en prenne à l’article un du programme. On n’aura plus qu’à ranger les idées qui se présentent et de ne prendre que celles qui vont dans le sac à utilités.
Comment s’adapter? Ne pas rester pris entre deux paroles, déployer le message indépendantiste, le focaliser? Louis Bernard notait que les gens avaient besoin de savoir comment cela allait se faire. Ce sont les enjeux de notre travail. Les indépendantistes ont eu du mal à démontrer ce qui ne peut se penser pleinement. On doit au contraire être plus précis, donner le temps de sentir, éprouver et penser à ceux qui veulent entendre.
Le mouvement indépendantiste est soumis depuis le début à des conflits. Souvent les conflits ont mauvaise presse. Les ambitieux s’en servent pour se grandir eux-mêmes. Par tempérament, certains se prennent au jeu. Les groupes d’opposants deviennent des petites machines où chacun redouble les fanfaronnades. Ah! Celui-là, m’as-tu vu, je ne lui ai pas mâché mes mots.
Dans une période de désarroi, même les frontières anciennes entre puristes et mous se troublent grandement. Les chevaliers aguerris tombent dans les comportements les plus erratiques. On connaît par exemple le thème des « conditions gagnantes ». Il vient d’engendrer un petit monstre qui, paradoxalement, a été porté avec le plus de force par beaucoup de ceux qui l’ont le plus désavoué dans le passé.
Tous ceux qui ont voté pour l’Action Démocratique dans l’espoir d’un sursaut patriotique au lendemain d’une rebuffade venant du Canada ont poussé jusqu’à l’extrême la stratégie des « conditions gagnantes ». Ils y ont tenu au point d’oublier que la plateforme constitutionnelle de Mario Dumont tenait plus d’un simple parti pris esthétique que d’un ordre du jour planifié.
L’observateur qui aime les raccourcis dira que ce sont de vaines querelles, des escarmouches d’arrière-garde. Il se dira « tanné des vieilles chicanes », celles qui n’ont pas de but, une querelle qui n’est qu’elle-même et qui n’a de but qu’en elle-même. Pour le moment, la grogne chez les indépendantistes est perçue par la population comme une dispute de première fraîcheur qui prolonge à perpète les querelles anciennes.
L’observateur entendra d’ailleurs malencontreusement confirmer ses jugements distraits de la bouche de certains indépendantistes qui lui diront que si tous les indépendantistes étaient pourvus du don visionnaire, ces querelles disparaîtraient. Le vent social serait remplacé par le souffle de la connaissance et l’optique indépendantiste délivrée de ses impuretés gagnerait enfin les adeptes qui lui manquent.
Cessons de rêver. L’indépendantisme n’est pas une idéologie officielle ou un objet d’enseignement systématique. La solution ne réside pas dans des enseignements dispensés dans des académies et des appartements privés. Les faits ne sont pas à découvrir. Ils se déroulent sous nos yeux.
Il est clair que le Québec est une province inféodée. Il est clair que le français est une langue étrangère au Canada. Fraser, commissaire aux langues officielles, l’a écrit en toutes lettres. Il est clair que le concept même de nation québécoise n’est pas reconnu par la nation canadienne. Le sondage d’hier le démontrait et celui de la semaine dernière aussi. Si l’oreille gauche n’a pas intérêt à entendre ce qu'entend l’oreille droite, elle n’entendra rien.
Au cours de la campagne électorale, Charest a dit que le territoire québécois est divisible. Dumont a promis de ne pas ouvrir le fourneau constitutionnel pour rien. André Boisclair faisait une bonne campagne mais finalement ce fut au citoyen de mesurer le danger réel relié à l’indépendance du Québec. Le discours sur l’indépendance comporte trop de lettres trouées.
Dans les faits, le désarroi est tangible depuis longtemps. Les indépendantistes ne se sont jamais ralliés que momentanément et partiellement derrière une formule d’accession à l’indépendance. Ils s’accusent réciproquement de penser la stratégie à partir d’une seule et unique catégorie. Pour certains, la clef de voûte réside dans un référendum, pour d’autres, c’est au cours d’une élection.
Les indépendantistes ne s’entendent non plus pas sur les étapes, la tenue d’un référendum avant ou après une négociation. Ils redoutent la dépendance du processus par rapport au bon vouloir du Fédéral. Même si on minimise les conflits pour bien paraître, la cendre chauffe toujours sous le tapis.
Dans le fond de leur cœur, les indépendantistes savent que leur mode d’accès préféré à la souveraineté a ses points lumineux mais que les ombres s’étirent d’un côté ou de l’autre. En politique, il n’y a pas de solution idéale, seulement la loi des probabilités. S’il y a un Mouvement pour une Élection sur la Souveraineté, la tangente de L’Action Nationale versus celle de Louis Bernard, le Rassemblement pour l’Indépendance nationale, les partisans des « conditions gagnantes, ce n’est pas parce que l’un ou l’autre de ses groupes se veut traître à la cause.
Il y a un trait commun entre ces camps opposés. Les tenants du référendum, de l’élection pour la souveraineté, ceux qui espèrent la soudaineté des conditions gagnantes, basent tous leur optique sur un point déclencheur quelconque. Tout à coup, le Québec sort des parenthèses et suscite l’intérêt. Tout à coup, les indépendantistes sont en phase, en pleine période d’écoute privilégiée, un temps de réceptivité générale qui concernerait spécifiquement le devenir national du Québec.
D’autres allèguent : « N’attendez ni une élection, ni un référendum, ni un événement révélateur qui obligerait les Québécois à tirer le fin mot de leur aventure d’annexion au sein de l’ensemble canadien. Il faut pourvoir le Québec d’une structure possédant ses propres règles d’ordre. »
Une république par exemple adoptant le scrutin proportionnel pourrait faire l’affaire. Des coalitions pourraient se former en s’émancipant de l’affiliation aux partis politiques propres au système parlementaire anglais qui est le nôtre. En ce moment, nous sommes gouvernés par un parti politique qui cherche à faire l’unité de tous les Québécois autour des intérêts de ses clientèles électorales, nommément des affairistes et des bastions anglophones. Vous en avez un autre, dans l’opposition celui-là, qui cherche à faire l’unité des Québécois autour des intérêts de la classe moyenne et qui confond l’âme du Québec avec l’esprit entrepreneurial beauceron.
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Si le Québec commençait à se doter d’une structure autonome basée sur son être propre plutôt que de se voir représenter par un Etat dont la fonction est d’être une courroie de transmission dans la vaste interaction canadienne, la volonté populaire s’adapterait à cette nouvelle logique. Au fur et à mesure, la volonté populaire défendrait ce nouveau modèle d’ordre plus authentiquement québécois.
Est-ce possible? Nous sommes en pleine période de spéculations et ce n’est qu’un début. Il faudra laisser place à des compléments ultérieurs et se cramponner. L’autonomiste pense que tout est possible à condition de ne pas faire de bruit. Si on doit tenter de sortir du modèle provincial de gouvernement avant même de dessiner une voie d’accès à la souveraineté, ce n’est pas sur les initiatives des autonomistes qu’il faut principalement compter.
Il faut que les indépendantistes adoptent un plan d’action tout en espérant que des autonomistes les appuient au tournant. Il est certain que, sur le terrain de l’autonomisme, on est comme des enfants qui jouent à jouer, jouer à « jusqu’où peut-on aller? »
L’autonomisme s’inscrit sur le terrain des interrelations canadiennes. Au lieu d’avoir comme code de conduite un désir national québécois qui coule de source, on propose et le Fédéral dispose. Le réalisme de la négociation, si jamais elle s’ouvre, oblige à se soumettre aux propriétés structurales dictées par le modèle provincial. La présence des paliers politiques, le jeu des forces, la concertation constante des provinces et du Fédéral où tout est dans tout et réciproquement, fait que n’importe quel négociateur ne sait plus à la fin s’il parle pour le Québec ou pour que le système marche.
Dans l’opposition, le rôle du Parti Québécois est de faire sortir ses adversaires des sentiers battus de la prudence officielle. On devra accuser Dumont de rester sur la réserve à propos du statut de notre gouvernement national. Il se comporte comme s’il s’agissait d’un secret d’Etat.
Avec Charest, le gouvernement québécois veut être un modèle imitable pour toutes les provinces. Avec Dumont, le gouvernement québécois est un phénomène négociable dans certaines conditions gagnantes. C’est une question de bons offices entre gouvernants de bonne volonté, au tournant, à la va-vite, avant qu’un changement de garde à Ottawa ferme la boucle et que les oreilles recommencent à s’entre-ignorer.
André Savard


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