La Nation filtrée

Chronique d'André Savard

Loin de montrer le Québec comme une nation avec les nécessités de droit et les responsabilités que cela entraîne, la Constitution du Québec en devenir décrit une province qui s’endort. On peut même craindre que la “province” ne se réveille plus.
Il n’y a rien qui y parle de l’être du Québec comme nation. Les rédacteurs entreprennent le compte rendu d’un encadrement adéquat du Québec par le Fédéral. On s’attend d’une Constitution qu’elle traduise l’essentiel, ce qu’on est. Or l’unique souci d’exactitude concerne la tutelle, les pouvoirs et responsabilités du Fédéral sur le Québec, les règles que le Fédéral s’est fixé. Avec les fédéralistes au clavier, la Constitution de Québec est en forme de requête pour que le Fédéral ne déborde pas le cadre qu’il s’est lui-même prescrit.
La nation québécoise est sans corps et, si l’on en croit sa Constitution en projet, elle n’est capable de parler que du cadre sur lequel elle s’appuie. Dans cette longue enfance inaboutie qui est celle du Québec, on a appris à penser que l’essence du pouvoir relève du Fédéral. Il était donc prévisible qu’un projet de Constitution s’apparente à un contrat de fiduciaire visant à se prémunir contre les abus d’une tutelle.
Nation dénudée de structure nationale conséquente et qui lui soit propre, c’est le Fédéral qui lui donne son corps et son regard. La Constitution québécoise demande au Fédéral d’être complètement là et de ne pas enregistrer des actions déplacées. Ceci se réfère aux compétences partagées et exclusives. Les autonomistes discuteront sur la pertinence pour la province d’avoir un espace tout entier à elle, peut-être en éducation ou dans une autre juridiction.
Comme la Constitution décrit une nation québécoise créée à l’intérieur du Canada et appartenant au monde de ce dernier, elle s’évertue à vouloir donner des précisions sur la manière d’entrer dans sa danse et dans son jeu. Pourtant, chez une nation qui se respecte, la Constitution représente le bastion du code de l’éthique. Cela implique que le critère de son existence propre serve de base. Pour atteindre cela, il faudrait que la nation se questionne sur le cadre propice pour manifester son être. De l’existence nationale du Québec, on disait avant, qu’il valait mieux qu’elle soit tue. Elle n’avait pas besoin de reconnaissance et d’ailleurs, assurait-on avec l’air d’en savoir beaucoup, ce n’était pas par indigence mais par sagesse.
Le projet de Constitution conserve le même réflexe. Il importe que beaucoup de choses soient tues. Habituée à exister dans le corps national d’une autre nation, la nation québécoise est élusive dans ses documents officiels et, l’oeil vif, sans jamais ravaler la moindre humiliation, attendez-vous à ce que les rédacteurs jurent leurs grands dieux que leur discrétion n’est qu’apparente. Ils vont témoigner qu’au contraire, ils ne se méfiaient pas du flux. Ils raconteront que l’identité québécoise, ses “privilèges”, son “autodétermination” nagent entre les mots. Dans le cas québécois, dira-t-on, il faut qu’on sente que ce cas en dit beaucoup plus qu’il n’en dit. Généralement, cela est désigné comme le « génie politique québécois ».
Comme la nation québécoise compte parmi celles qui a été les plus systématiquement sermonnée sur les droits de l’homme au cours des décennies, on comprend qu’elle ne veuille pas suggérer que l’énoncé de son identité puisse susciter quelque préjudice à la planète entière.
Les règles parlementaires de ladite Assemblée nationale ont déjà poussé très loin la courtoisie en obligeant les députés à prêter serment sur une Constitution québécoise qui n’existait pas. On comprend pourquoi le lieutenant-gouverneur acceptait de poser sa signature sur un serment évoquant une Constitution québécoise inexistante. Le geste signifie: « Au commencement il n’y avait rien et c’est pour cela qu’il y a unité complète ».
On veut juste remplir cette maxime muette avec une Constitution écrite qui réitère des balises prévenant le Fédéral de ne pas tout prendre en charge par son pouvoir de dépenser. Autant que possible, on somme le Fédéral de veiller à ce que les juridictions provinciales ne soient pas un verre à moitié plein.
Il y a fort à parier que dans cette veine d’inspiration, Jean Charest finisse par soumettre son projet de Constitution lors de l’Assemblée des premiers ministres provinciaux. Si quelques autres provinces se montrent curieuses et expriment leur intention de se doter d’une Constitution semblable, Jean Charest reviendra au Québec en vantant son “leadership”. Encore une fois, par son projet de Constitution audacieux, le Québec aura été un “guide” et un “modèle” pour les autres provinces.
Mario Dumont affirmera que le mérite de ce “leadership” lui revient principalement car sans la nouvelle culture autonomiste insufflée par son parti, jamais ce projet n’eut vu le jour.
L’initiative sera également saluée par le premier ministre canadien, grand praticien du fédéralisme d’ouverture. Son discours aura probablement lieu au Musée National des Droits de la Personne à Winnipeg. Le premier ministre dira que le projet de Constitution québécoise, de même que la Constitution déjà existante de la Colombie-Britannique, illustre bien le modèle de tolérance pluriethnique qui a cours au Canada.
Le plus prodigieux dans le Canada, dira le premier ministre, c’est son grand pouvoir de métamorphose car on réchappe toujours des périodes plus anciennes en adoptant une vue plus large. Ainsi on évite bien des drames, des brisures. Le commentaire résonnera bien dans l’enceinte du musée, entre une reproduction de la colombe de Picasso et des photos des victimes de la Shoah.
Le premier ministre canadien pourra saluer le caractère éminemment pratique de la Constitution québécoise qui veut assurer que le palier gouvernemental québécois tire le meilleur parti de ses juridictions. Le premier ministre ajoutera que cela ne va pas sans le souci constant de rendre son économie saine.
À cet égard, il citera en exemple l’initiative du partenariat public-privé qui a présidé à la fondation du Musée national des droits de la personne. Il rappellera ce qu’il écrivait lors de l’annonce le 20 avril 2007: “Une collaboration de cette ampleur en vue de la mise sur pied d’un musée national est sans précédent mais s’il n’y a jamais eu une institution culturelle appropriée pour un partenariat entre le secteur privé et le secteur public, c’est bien celle-ci, car les droits de la personne ne peuvent jamais être l’apanage exclusif de l’Etat.”
On apprendra que ce Musée qui veut “souligner l’évolution des droits de la personne” au Canada parlera notamment de l’éveil progressif du Québec aux droits de la personne et aux bienfaits de l’économie de marché, assise des libertés. L’univers constitutionnel du Canada et l’entreprise privée étant les piliers des droits de la personne, ses représentants sont en droit de dire qu’il n’y a pas d’idée plus neuve que la liberté elle-même. “Sans la liberté nous ne sommes pas libres”... disent n’importe quel premier ministre canadien et n’importe quel président du lobby du patronat. Celui qui parle au nom de la liberté et des droits de la personne parle au nom de la vie vivante. Se trouver confronté à un tel porte-parole renverse les apparences contre soi. On ne peut que témoigner d’un univers insuffisant et ne demander qu’à être corrigé.
Identifier le partenariat public-privé aux droits fondamentaux montre à quel point on manipule systématiquement le cadre des droits de la personne. On en a plein la bouche du mot “liberté” et du “droit de la personne”, comme jadis du mot “Dieu”. Les plus forts se promeuvent propriétaires de son poids symbolique. Le marchand y est à son comptoir, le juge vissé sur son siège, tous aux services du droit de la personne.
La Constitution québécoise se met en place sans rien bousculer. La nation québécoise, si elle ose jamais pointer le nez dans sa propre Constitution, ne doit surtout pas tricher la Constitution canadienne qui passe pour un prototype d’une vérité universelle selon l’âme et le coeur. Un petit mot de trop et il y aura des cycles de conférences au musée des droits de la personne. On dira que le Québec est comme le geôlier dans sa tour.
L’actuel projet de Constitution québécoise n’est pas une déclaration de vie. Il est tellement facile pour les adversaires du Québec d’agiter le menuet des soupçons qu’on préfère ne rien y dire : pas de pays à soi, pas de volonté souveraine, pas d’attachement outrecuidant à son identité propre. Notre existence prête trop à double sens et on ne peut pas être selon son cœur. On préfère faire à la place une déclaration d’amour au cadre canadien avec son cheminement, ses étapes, ses arrêts. C’est la Constitution d’une nation filtrée.
André Savard


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    28 avril 2007

    Je voudrais simplement demander à l'auteur de cet article s'il parle du projet de constitution élaboré par Deaniel Turp?