Lachute -- Le premier ministre Jean Charest a assuré hier que le renvoi du gouvernement fédéral sur la question de la réglementation des valeurs mobilières n'allait rien changer à la stratégie québécoise, mais son ancien ministre Benoît Pelletier n'en est pas si sûr.
M. Pelletier, qui est redevenu professeur de droit constitutionnel à l'Université d'Ottawa, a soutenu hier qu'une éventuelle défaite du Québec devant le plus haut tribunal du pays pourrait mener à une entente entre les deux capitales.
«Si jamais Québec perd sa cause, alors le gouvernement essaiera probablement de maintenir son propre système [l'Autorité des marchés financiers], mais après un certain temps, à mon avis, ça ne sera pas faisable», a-t-il déclaré au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse canadienne. Le Québec pourrait alors juger qu'il vaut mieux négocier avec Ottawa sur cette question épineuse. Un compromis sur la participation du Québec à un futur système pancanadien «serait possible dans la mesure où Québec demanderait le respect de quelques conditions pour préserver son autonomie», a estimé M. Pelletier.
Parmi ces conditions, l'ancien ministre des Affaires intergouvernementales a évoqué le maintien de certains pouvoirs exclusifs à l'AMF.
Le ministre fédéral de la Justice, Rob Nicholson, a annoncé vendredi qu'il allait demander à la Cour suprême si Ottawa a les coudées franches pour mettre sur pied un organisme pancanadien de réglementation des valeurs mobilières. À l'heure actuelle, ce domaine est une chasse gardée des provinces.
Hier, lors d'un point de presse à Lachute, où il participait à l'inauguration de l'agrandissement d'une usine de Cascades, Jean Charest a soutenu que la position de son gouvernement n'avait pas changé. «Le renvoi à la Cour suprême ne change rien pour nous. Toute la question de la commission des valeurs mobilières, [...] c'est une compétence qui relève du gouvernement du Québec et nous allons la défendre.»
Le gouvernement Charest a déjà demandé à la Cour d'appel du Québec de se pencher sur la question, cet été. Le gouvernement fédéral ne cherche-t-il pas à court-circuiter Québec en lançant son propre renvoi devant la Cour suprême, qui a le dernier mot sur les questions constitutionnelles au Canada? «Ils vont essayer de défendre leur point de vue, mais nous avons déjà annoncé nos couleurs en décidant de faire un renvoi à la Cour d'appel du Québec», a simplement répondu M. Charest, en rappelant que l'existence d'un organisme fédéral de réglementation, aux États-Unis, n'a pas empêché de vastes fraudes, comme celle orchestrée par Bernard Madoff.
Abandonner le renvoi?
Benoît Pelletier, qui appuie la position québécoise dans ce dossier, s'attend à ce que le gouvernement Charest retire son renvoi devant la Cour d'appel ou à ce que cette dernière refuse de l'entendre en raison de la démarche d'Ottawa devant la Cour suprême.
Québec n'a pas l'intention de retirer cette requête, a indiqué hier une porte-parole du ministre des Finances, Raymond Bachand.
Avec son propre renvoi à la Cour suprême, le gouvernement fédéral gagne l'avantage de formuler lui-même les questions qu'il posera au tribunal, a souligné M. Pelletier. Tel n'aurait pas été le cas si Ottawa avait simplement porté en appel l'avis que doit rendre la Cour d'appel dans le cadre du renvoi lancé par Québec. «La décision de demander un avis à la Cour [suprême] est quelque chose de juste et équitable, à mon avis», a commenté le constitutionnaliste.
Outre le Québec, l'Alberta et le Manitoba s'opposent à la création d'un organisme national de réglementation des valeurs mobilières, fut-il «volontaire», comme le présente Ottawa.
Au Canada anglais, plusieurs experts croient qu'Ottawa possède la compétence constitutionnelle de réglementer les valeurs mobilières. «La question est de savoir si le gouvernement fédéral détient cette compétence en vertu de ses pouvoirs en matière de trafic et de commerce, peut-être pas à l'exclusion des provinces, mais en complémentarité avec elles», a relevé hier Anita Anand, professeure de droit à l'Université de Toronto, au cours d'un entretien téléphonique.
Vu la complexité du dossier, les tribunaux ne se prononceront pas sur les renvois avant l'année prochaine, au plus tôt.
Commission des valeurs mobilières
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