Introduction
Dans son éditorial électronique du 17 juin 2011 publié dans Cyberpresse, André Pratte, le champion de l’intelligentsia fédéraliste francophone au Québec, révèle certains des fondements de sa pensée et explique pourquoi il croit que le Québec ne devrait pas faire l’indépendance; il prétend que la popularité de l'indépendance est surtout tributaire d’une crise ou d’une insatisfaction envers le fédéral et non de sa valeur propre. Il se surprend donc de la dissidence au PQ et ailleurs dans le mouvement indépendantiste, dissidence qui ne se contente plus de l’attentisme ou de la gouvernance souverainiste.
Ce texte est une réponse à son propos, réponse qui est construite en s’appuyant sur la pensée politique et historique de Maurice Séguin (1918-1984), un intellectuel éminent de la Révolution tranquille; intellectuel malheureusement moins connu aujourd’hui qu’alors, à l'heure où il est justement nécessaire de structurer le discours indépendantiste. Séguin est l’auteur de L’Histoire des nationalismes au Canada et il a également été le professeur d’histoire de nombreux militants et acteurs indépendantistes. La grande qualité de Maurice Séguin aura été de détailler la structure de la relation entre les Canadiens français minoritaires et les Canadians majoritaires (pour le reste de ce texte nous parlerons des Canadiens anglais comme des Canadians, pour éviter toute confusion avec les Québécois, l’identité canadienne-française et le groupe sociologique qui correspond aux Canadiens anglais). Plus on comprend Séguin, plus on constate que la vision de Pratte n’est cohérente que si l’on accepte sa vision politique provincialisée et son portrait incomplet de la réalité québécoise contemporaine. En communiquant une vision juste et en montrant les vices dans la fondation de la pensée de Pratte, l'idée de l'indépendance s'impose naturellement. C'est donc la lucidité de Séguin et ses concepts qui permettent cet exercice, cet texte est donc à la fois une initiation à la pensée de Séguin, une déconstruction de la pensée fédéraliste de Pratte et un argumentaire indépendantiste.
Pour Pratte, il y a des différences évidentes entre la nation québécoise et les autres nations et ces différences suffisent à rendre caduque l’idée de l’indépendance :
Les souverainistes soulignent souvent que de nouveaux pays naissent chaque année, ce qui démontrerait que l’indépendance du Québec s’inscrit dans la marche normale de l’histoire. Pourtant, il y a une différence fondamentale entre ces pays neufs et le Québec. Les peuples qui ont fait leur indépendance depuis les années 1960 l’ont fait pour se libérer de l’oppression coloniale ou pour sortir du maelstrom de l’écroulement de l’Union soviétique.
Agir par soi-même
Qu’est-ce que l’oppression? Séguin, lui, distingue deux types d’oppression. L’oppression essentielle et l’oppression accidentelle, mais avant de comprendre le concept même d’oppression, il faut citer le postulat essentiel de Séguin : Vivre c’est agir et comprendre également ce qu’il entend par les concepts de nation et d’agir par soi et pour le concept d'agir. Pour Pratte, il est évident que les Québécois ne sont pas opprimés et la notion même de nation est secondaire :
Chez nous, l’argumentaire indépendantiste était plus solide dans les années 1950, alors que les Canadiens français étaient victimes de discrimination systématique, notamment dans le domaine économique, et que la langue française semblait vouée à la disparition. Rien de cela ne subsiste, malgré la persistance d’inquiétudes normales et légitimes pour toute minorité. L’appartenance à la fédération canadienne provoque certes des frictions et des frustrations, mais les Québécois peuvent seulement constater que sous ce régime, ils jouissent d’une qualité de vie que leur envient les citoyens de la plupart des pays souverains de la planète.
Pratte reconnait donc un territoire (chez nous) et un peuple (les Québécois) qui serait une minorité. Il semble donc logique d’observer la situation de cette minorité, de comprendre les rapports qu’elle entretient avec la majorité et de tirer les conclusions qui s’imposent. Pour Pratte, il est clair que cette minorité n’est pas opprimée, mais qu’est-ce que l’oppression? Si pour Séguin vivre c’est agir, alors l’oppression est le résultat d’une situation ou l’agir d’un individu, d’un groupe, d’une société est limité, circonscrit, restreint. Il y a donc un sens général au mot nation, c’est-à-dire un groupe qui arrive à se reconnaitre distinct, pour de multiples raisons variables : une commune origine, une langue, un territoire, un impératif géographique, etc. Cette définition est proche de la nation au sens culturel ou sociologique c’est-à-dire un groupe distinct, différent et dont le milieu culturel imprègne, caractérise l'individu. Dans cette définition, on insiste sur l'unité (et la valeur) de la culture distincte et différente de la communauté. Souvent, on admet la nécessité d'une économie nationale, mais sans trop s'interroger sur les rapports avec le politique.
L’autre définition importante est celle de nation intégrale, la nation au sens intégral, c'est quand l'agir collectif d’une nation (au sens général, culturel ou sociologique) est possible dans toutes les sphères de la vie collective et peut s'étendre à tous les domaines, à l'intérieur comme à l'extérieur :
En politique : commander sa propre vie, posséder son autonomie interne et externe, jouir de la pleine autodétermination politique, avoir le «self-governement» complet. En économie : gérer sa propre vie économique. Au culturel : gérer sa propre vie culturelle.
La nation au sens intégral ne peut donc se réduire à un seul aspect, à l'autodétermination politique ou à la possession de son économie ou à la maitrise de sa culture. Une nation, au sens intégral, doit posséder la capacité d’agir dans les trois domaines. Et par possible, cela ne veut pas dire que cela se vérifie sans exception chez chaque nation, mais du moins qu'une nation pourrait le faire. Ainsi, au sens intégral, pour une nation, l'agir par soi collectif est nécessaire dans ces trois domaines, directement ou indirectement.
Directement, parce que la maitrise de sa vie politique intérieure et extérieure est un bien en soi pour une nation, il est bon pour une nation d'avoir ses organismes et ministères et de poser elle-même les gestes nécessaires à l'intérieur (planifier, organiser, gérer) comme à l'extérieur (protéger, défendre, soutenir, coopérer, négocier). La maitrise de sa vie économique est un bien en soi pour une nation, il est bon pour une nation d'avoir édifié elle-même sa vie économique (industries primaires, secondaires, commerce, finance) en fonction de ses spécificités. La maitrise de sa vie culturelle est un bien en soi, il est bon de dominer sa culture, d'assimiler et d'intégrer les influences extérieures, de gérer, de créer ses propres organismes culturels, d'être un foyer vivant de culture.
Et indirectement, parce que dans une nation, tous ces facteurs sont interreliés, on peut donc observer, dans une nation au sens intégral une interaction des facteurs.
En politique, la pleine maitrise de la vie politique est nécessaire à la vigueur de sa vie économique et culturelle. En économie, la pleine maitrise de la vie économique est nécessaire à la vigueur de sa vie politique et culturelle. Dans la culture, la pleine maitrise de la vie culturelle (attention, pas seulement les spectacles, mais le système d'éducation, d'institutionnalisation et de transmission des savoirs, des arts et des sciences, les bibliothèques, etc.) est nécessaire à la vigueur et à la plénitude de sa vie politique et économique.
La structure des relations entre les nations
Au Canada, la nation canadian est une nation au sens général, sociologique ou culturel, mais c’est aussi la nation au sens INTÉGRAL. Même avec une politique de multiculturalisme et un visage multiethnique, le Canada intègre très majoritairement les immigrants à la culture et aux valeurs de la nation canadian, lesquels immigrants la consolident d’autant plus que cela minorise les Premières Nations et les Québécois. Pour les nouveaux arrivants, la participation à l’agir politique et économique du pays passe donc d’abord par l’assimilation culturelle à la nation canadian, condition première à la participation économique et à l’intégration. Et qu’elle est cette nation exactement? Il s’agit de la descendance des colons anglais (puis irlandais et écossais) arrivés lors de la conquête puis de la descendance des vagues d’immigration subséquentes à l’Acte constitutionnel de 1791, de l’Acte d’Union du Canada-uni ou de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Cette intégration, cette assimilation est-elle un mal en soi? Certainement pas, tous les pays la pratiquent, qu’il s’agisse de former des citoyens nés au pays, des immigrants ou des enfants d’immigrants, toutes les nations intégrales cherchent à transmettre leurs valeurs à leurs membres et à se perpétuer, cet arrivée de sang neuf permet d’ailleurs à ladite nation d’évoluer, de progresser. Le problème n’est donc pas que la nation canadian croisse par le biais de l’immigration et de l’intégration des immigrations, mais qu’elle dispose pour ce faire des moyens de la nation intégrale, pendant que la nation québécoise se contente d’être une nation uniquement au sens sociologique, avec des moyens réduits. Le dénominateur commun canadian est d’autant plus fort face au petit dénominateur québécois, que le Canada octroie à tous ses citoyens une identité forte : un passeport, une armée, une équipe de hockey, une place à l’ONU.
Ainsi, si l’on observe les relations entre la nation québécoise et la nation canadian, on est obligé d’admettre que les pouvoirs de la nation québécoise sont limités. Peut-être sont-ils plus élevés que les pouvoirs de certaines nations au sens général qui ne sont pas des nations intégrales, mais le Québec à moins de pouvoir que plus de 100 nations intégrales (ou plus) à travers le monde, bien qu’il soit vrai que son niveau de vie est certainement parmi les meilleurs. À proprement parler, la nation québécoise ne possède qu’une autonomie limitée en contrôlant uniquement son gouvernement provincial, lequel est privé d’environ 50% des recettes fiscales potentielles du territoire et de la population l’occupant et ne contrôle que l’aspect intérieur de l’économie, de la politique ou du culturel le concernant. Le reste du pouvoir est régi par le fédéral, régime dans lequel la nation québécoise n’envoie que 75 députés, alors que la nation canadian en envoie 233. Les 75 députés du Québec ont-ils un rapport de force suffisant pour influencer les 233 autres? Les 75 députés mènent-ils les 233 autres? Poser la question c’est y répondre. Indépendamment des bonnes volontés, le fédéral, le gouvernement de la nation canadian est un gouvernement non seulement puissant, mais il est le gouvernement naturel de la nation intégrale; les Québécois, eux, ne jouissent que d’un gouvernement provincial. On aura beau dire qu’ils peuvent participer au gouvernement fédéral, à 75 contre 233, leur pouvoir est infiniment moindre, que le pouvoir des Canadians, lesquels peuvent agir par eux-mêmes, décider, acquérir de l’expérience, prendre des initiatives, là ou les Québécois n’ont d’autres choix que de subir. Même s’il gère des compétences couteuses, le gouvernement provincial demeure un ordre gouvernemental mineur et cela génère énormément de difficulté pour les Québécois qui, pour agir le plus possible par eux-mêmes, sans collectivité interposée, doivent mettre en place des mesures, voter des lois, bâtir des programmes, créer des ministères et résoudre des problèmes sans les moyens d’une nation intégrale, alors que les Canadians, eux, disposent d’un gouvernement national pour le faire. Cette situation génère énormément de frustration et d’irritants, puisque minoritaires, les Québécois ne peuvent recevoir des services et des programmes du fédéral sans que ceux-ci soient perçus comme des invasions. Cette situation n’est d’ailleurs pas un caprice, puisque si l’on reconnait qu’il y a plusieurs nations, leurs besoins et les manières d’y répondre seront forcément différents. C’est donc cette contrainte d’être coincés avec un gouvernement trop restreint pour leurs ambitions, qui force les Québécois à réclamer des pouvoirs ou des subsides pour faire malgré tout fonctionner leur gouvernement provincial, comme s’il s’agissait d’un gouvernement national. Les Québécois se perçoivent donc comme des quémandeurs éternellement insatisfaits et sont également vus de cette façon dans le ROC. Les Québécois ont donc intériorisé la norme selon laquelle l’administration d’une province est la limite de leur compétence et ils ne développent pas le réflexe d’agir comme une nation intégrale. On peut donc facilement déterminer qu’en regard de l’agir collectif, les Québécois ne peuvent pas agir à l’intérieur comme les canadians peuvent le faire et ils peuvent encore moins agir à l’extérieur. À titre d’exemple, c’est un ministre fédéral qui donne l’ordre à l’armée d’intervenir lors d’inondation et c’est le Premier ministre provincial qui demande de l’aide, et c’est encore le ministre fédéral qui détermine la mission de l’armée, là où le peuple québécois ou ses représentants ne peuvent que vociférer si cette mission n’est pas à leur gout.
L'armée, un exemple clair
Ainsi, Pratte aura beau écrire que les Québécois ne sont pas opprimés :
Une armée québécoise au secours des inondés ? En quoi cette armée serait-elle différente des soldats basés à Valcartier, commandés par des Canadiens français, qui sont venus prêter main-forte aux sinistrés de la Montérégie ?
Il passe sous silence l’essentiel, ces soldats sont de notre nation, la base est sur notre territoire, nous payons leur solde, MAIS NOUS NE DONNONS PAS LES ORDRES! Il y a donc une nation qui jouit de l’exercice de décider, d’agir, de tirer profit des expériences et d’intégrer ces enseignements à son bagage culturel, lesquels sauront en temps et lieu constituer une réserve d’expérience et pendant ce temps, l’autre nation est passive et ne jouit pas des apprentissages, du sens des responsabilités et des avantages de décider. Ce sont les ministres fédéraux et des fonctionnaires gérant l’armée qui tireront des avantages au passage de l’armée en Montérégie. Cette expérience servira peut-être au Manitoba ou dans des missions à l’international. Bien sûr un ou des officiers québécois de l’armée s’enrichiront peut-être à titre personnel de cette expérience, mais collectivement, le Québec ne retire une fraction de ce que retire le Canada de cette aventure. Donc pour répondre à Pratte, une armée québécoise ferait toute la différence du monde puisque toute activité de l’armée québécoise serait un enrichissement collectif pour les Québécois.
Par exemple, en intégrant l’armée aux Cégeps, pour les futurs militaires, les leçons à tirer de cette expérience seraient intégrées et enseignées dans le corpus et le curriculum de nos différentes formations, l’armée et la population connaitraient mieux le territoire, il y aurait une meilleure cohésion entre l’armée et la société civile et le capital de sympathie de l’armée en serait d’autant plus augmenté. Et comme certains le savent, il y a un arrimage au Cégep entre la formation générale et la formation spécifique, les besoins des militaires dans de pareilles missions seraient écoutés et des entrepreneurs d’ici pourraient créer des entreprises fournissant des biens et des services pour faciliter les interventions lors des inondations, de la botte en caoutchouc au filtre à osmose.
La question que pose Pratte, lequel est pourtant un intellectuel et l’éditorialiste d’un journal important, est la preuve que même chez nos élites nous avons intégré inconsciemment la minorisation, la provincialisation, la vision diminuée de nous-mêmes que la conquête a provoquée. Il vaut la peine de la répéter : « Une armée québécoise au secours des inondés ? En quoi cette armée serait-elle différente?»
Premièrement notre armée serait française, il ne s’agirait donc pas d’un régiment, mais de l’intégralité de notre armée qui fonctionnerait en français (avec une place pour l’anglais dans le cas des missions multilatérales, comme pour tous les pays de l’OTAN) et cette armée serait LA NÔTRE, avec les avantages et les responsabilités que cela implique, et la reconnaissance internationale et les retombées économiques qui accompagnent cette responsabilité si nous faisons bien les choses. Concrètement, il nous faut une marine, où sera-t-elle postée?À Gaspé, Sept-Îles, Québec? Il nous faut une armée de l’air, Mirabel semble tout indiquée... Et bien sûr différentes bases pour l’armée de terre.
« En quoi cette armée serait-elle différente? », Pratte ne voit-il pas que tous ces investissements et infrastructures se feraient au Québec? Quelle part du PIB le Québec consacre-t-il à l’armée canadienne? Quelle part du PIB le Québec consacre-t-il pour les équipements canadiens futurs? Que l’on compare avec des pays sensiblement comme le Québec, les pays scandinaves, par exemples et que l’on ajuste d’une manière raisonnable... De quels genres d’avions voulons-nous nous équiper? Pouvons-nous consacrer la part que le Québec aurait payée pour les F-35 de manière à équiper le Québec d’une flotte aérienne qui soit une dépense moins abyssale que ce que l’évaluation des F-35 laisse entrevoir? Pouvons-nous concevoir un appel d’offres susceptible de maximiser les retombées locales? Voilà ce que fait la nation canadian pour elle-même, elle utilise les moyens de la nation intégrale, le fédéral, pour se développer, politiquement, économiquement et culturellement. Harper ne fait pas autre chose, il veut changer la culture militaire du Canada, il change sa politique étrangère, le rôle de l’armée et pour cela a engagé des dépenses importantes pour arriver à ses fins. Le Québec participe aux dépenses, mais en quoi jouit-il véritablement de ces changements, des effets? C’est le Canada, son armée, et les différents acteurs canadians de cette volte-face qui profitent des retombées, pas le peuple québécois. Une armée québécoise, francophone aurait peut-être des partenaires comme les écoles de théâtre, les conservatoires de musique et de danse du Québec lors des missions de reconstruction. Voilà nos valeurs culturelles, mais je doute qu’un officier de Calgary ait les mêmes. Même si c’est une dépense substantielle, une armée joue un rôle très structurant pour une nation. Réponse à Pratte : une armée québécoise nous permettrait d’AGIR d’une manière considérable, à l’intérieur comme à l’extérieur, et consoliderait l’économie, la politique et la culture québécoise d’une manière insoupçonnée.
Nous nous sommes servis dans cet exemple que de l’armée et les avantages semblent considérables, il est difficile d’imaginer les variantes semblables et le potentiel de croissance qui échappe aux Québécois combien d’autres domaines d’exercice du pouvoir permettraient aux Québécois de s’épanouir et de développer de l’expertise, de l’expérience, un savoir-faire, d’innover, d’être responsables : les pêcheries, les banques, le commerce international, le transport international et national (le train, les ports, les ponts, les aéroports, la marine), l’énergie nucléaire, les postes, les lois sur les Amérindiens, la citoyenneté, etc.
La désertion des centres de décisions et la perte d'opportunités
Ce faisant, le Québec manque des opportunités en ne prenant pas part à certaines organisations, à certains centres de décisions comme l’ALÉNA, la ZLÉA, le TPI, le PAM, la Banque mondiale, le FMI, l’OCDE, l’OMS, l’UNESCO, l’OTAN, l’ONU, G-20, etc. Tous les représentants que nous enverrions seraient exclusivement québécois, quel retour alors nous aurions de la part de nos délégués, et de quelle ouverture sur le monde, sur les enjeux, et dans une perspective proprement québécoise, pourrions-nous enfin bénéficier!
Quand c’est un représentant canadien originaire de l’Ouest et membre d’un gouvernement conservateur qui siège au G-20, n’oublions pas qu’en plus de ne pas représenter nos valeurs et de ne pas défendre nos intérêts, c’est avant tout un Canadian qui va nous représenter, en soi, c’est donc une perte de représentation, une perte d’expérience, une perte de possibilité d’agir et une perte pour les Québécois qui ne pourront comprendre le fonctionnement de la diplomatie, ni les avantages qu’ils auraient à jouer un rôle et encore moins la fierté d’en jouer un. Au G20, la France parle-t-elle au nom de l’Allemagne, la Chine au nom de la Russie, les États-Unis au nom de l’Angleterre? Non, il s’agit de nations au sens intégral, lesquelles refuseraient cette perte de souveraineté. Le Québec, en acceptant que le Canada parle à sa place dans ces forums, accepte d’être subordonné et donc d’occuper un rôle diminué et de second rang dans les grands jeux que se livrent les nations. Le Québec peine à s’affirmer face au Canada, auquel il est subordonné, comment pourrait-il alors, participer, négocier, dialoguer ou même mener, à l’occasion. d’autres nations à travers les enjeux petits ou grands de la coopération et de la compétition internationale? Le Canada n’a-t-il pas été déçu de ne pas obtenir de siège au Conseil de sécurité de l’ONU? N’est-ce pas une perte? Imaginez les pertes continuelles que vivent les Québécois en n’étant pas, contrairement au Canada et à la nation canadian, libres d’agir à l’international.
L'oppression et l'assimilation
Le remplacement, voilà donc ce qui constitue la nature de l’oppression de la nation canadian à l’encontre de la nation québécoise. Alors Pratte a tort lorsqu’il affirme que la démonstration selon laquelle l’indépendance n’est qu’une lubie de nationalistes :
Face à cette situation, les souverainistes doivent démontrer que la vie serait encore meilleure dans un Québec indépendant. Or, cette démonstration est impossible à faire ... Un très grand nombre de Québécois continuent de croire en l’indépendance, pour des raisons culturelles, par sentiment nationaliste. Mais pour les autres, les arguments des souverainistes sont de moins en moins convaincants.
Il faut faire une distinction entre l’agir individuel et l’agir collectif et il est certain que pour une infirmière, un chauffeur d’autobus ou une enseignante, le passage de l’état de nation culturelle à celui de nation intégrale ne ferait pas de différences à court terme, mais les chances de succès d’un individu dépendent énormément du milieu dans lequel il évolue et du dynamisme de ce milieu. Parlant de la société québécoise, cette dernière étant de plus en plus capable d’agir, ce sont de plus en plus d’opportunité et de responsabilités qui s’offriraient aux Québécois. Pratte a tort de dire que cette démonstration est impossible à faire puisque que le Canada fait la démonstration inverse : comme nation, plus le Canada est indépendant et s’affirme, plus sa situation politique, culturelle et économique s’améliore. Toutefois ce dynamisme s’est fait à l’encontre des Canadiens français, lesquels sont passés de 31%, avant que le Canada ne soit un Dominion, à 21% alors que le Canada est désormais un pays pleinement indépendant. Même le Québec n’est pas épargné par ce phénomène, le poids des Québéois francophones (la nation culturelle) étant passé de 83%, avant le rapatriement de la constitution par Trudeau et en dépit de la loi 101, à 79%. Le confort auquel convie Pratte est donc celui de l’assimilation, pas celui du dynamisme ou de la performance. Pourtant, si on peut croire que les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets, est-ce qu’avec les moyens d’une nation intégrale, les Québécois ne pourraient pas voir le propre poids politique, économique et culturel augmenter, à l’intérieur, comme à l’extérieur? Est-ce que seuls les nationalistes et ceux qui aiment le Canada pour des raisons culturelles tiennent au Canada? Ne sont-ils pas 50 000 à s’être déplacés d’aussi loin que de Vancouver pour nous dire de ne pas le séparer? Est-ce que le rôle d’un chef d’État canadian n’est pas de facto de défendre l’intégrité, la souveraineté et l’unité du Canada? Est-ce que cela n’indique pas que naturellement, le rôle d’un leader de la nation québécoise devrait être clair? Obtenir ce que le Canada et tous les autres pays à l’ONU préservent, l’indépendance.
Pratte répondra que nous pouvons jouir de notre identité canadian, d’en faire une fierté canadienne, mais il ne s’agit pas de la même culture entre le Canadian et le Québécois, la langue, l’histoire (la perspective du minoritaire est quelque chose de très différent que la fierté et la victoire du majoritaire), la géographie, la philosophie, les arts et les lettres et tutti quanti nous distinguent. Comment jouir de cette fierté si, au niveau fédéral, nous ne pourrons jamais maitriser le gouvernement central et si nous n’obtiendrons jamais la prépondérance? Au conseil exécutif fédéral, c’est nécessairement un rapport de 3 ou 4 contre 1 et dans les négociations provinciales, ce sera toujours, en terme de nation 9 contre 1. La nation majoritaire a à son service les gouvernements locaux et le gouvernement central. La nation minoritaire, le Québec, n’a que son gouvernement provincial, un état local et est donc provincialisée, assujettie, infériorisée, toujours condamnée à quémander selon le bon vouloir de la nation majoritaire.
Comme notre premier ministre qui demande au ministre fédéral l’intervention de l’armée. Pratte voudrait que nous travaillions avec le Canada, pour l’améliorer. Pratte pense qui si nous travaillons ensemble, nous pouvons faire du Canada un meilleur pays pour les deux nations. Pourquoi cette démonstration selon laquelle il vaut mieux être minoritaires dans un grand pays que majoritaires, mais souverains et libres d’agir, dans un plus petit pays, serait plus facile à faire? Pourtant, le fédéralisme fonctionne, ce n’est pas comme si nous étions en crise comme en Belgique? Alors comment explique-t-il le déclin démographique des Canadiens français, des Québécois au Canada. Comment explique-t-il l’augmentation du poids de l’anglais? Comment explique-t-il que nous ayons si bien intégré la norme de l’infériorisation, de la provincialisation que son journal milite même pour empêcher que des Québécois prennent des moyens pour protéger leur langue? Comment explique-t-il qu’il ne faille plus être bilingues, mais désormais «parfaits bilingues». Comment explique-t-il notre paralysie politique, les deux CHU à Montréal, le financement des institutions anglophones d’enseignement supérieur atteigne 30 % du budget de l’éducation supérieure alors que le poids démographique de la minorité anglophone est plutôt de 8 %?
La seule explication me semble résider dans le fait qu’une part non négligeable des médias a pris parti contre l’indépendance et qu’une part importante d’intellectuels francophones entretiennent, contre toute logique, l’idée que l’indépendance nous soit défavorable. Cette influence a probablement joué un rôle crucial en 1995 et continue dans la situation politique actuelle à dévaloriser l’idée de l’indépendance. Pratte et ses pairs prétendent que la population ne veut plus entendre parler d’indépendance, mais ils ne font que ça, en parler en mal.
Le rôle des fédéralistes et le marasme actuel
Même sans être un nationaliste, pour le Québécois préoccupé par le marasme actuel (de la corruption à la dette), l’indépendance est une façon de sortir de l’impasse dans laquelle le fédéralisme coince le Québec, à savoir, pour survivre comme minorité légitime, les Québécois doivent agir, mais le pouvoir est structurellement détenu par une autre nation. Les Québecois doivent donc agir avec des moyens limités, ceux d’une province pendant que les Canadians agissent avec des moyens équivalents PLUS celui d’un gouvernement central et national fort. Les Québécois sont donc non seulement confrontés à la médiocrité que leur attribue de facto leur maigre poids démographique, mais ils doivent constamment souffrir de la comparaison province/pays, laquelle s’ajoute à toutes les humiliations refoulées depuis 1763, alors que le rôle qu’ils font jouer à leur gouvernement provincial le pousse à la limite et plombe ses finances (et par là l'agir de la nation). L’indépendance est un moyen de changer radicalement cette structure et de sortir le Québec d’un carcan qui le paralyse, qu’il s’agisse de l’oppression essentielle selon laquelle la nation québécoise n’est pas libre d’agir, parce que remplacée par la nation canadian, ou des oppressions accidentelles qui en découlent, lesquelles vont du déni, au manque d’écoute, à l’incompréhension, à la mauvaise administration ou à l’incompétence. L’embrouillamini autour du pont Champlain, les problèmes sur le rôle de l’armée en Montérégie, le Québec, la lutte dans l’harmonisation des deux taxes, la garantie de prêt par le fédéral d’un câble hydroélectrique dans les maritimes ou le non remboursement des dégâts lié au verglas de 1998 ne sont que les exemples actuels des irritants permanents générés par une organisation politique défavorable pour le Québec. Et qui sont les artisans du statu quo et de cette médiocrité? Les indépendantistes qui veulent doter le Québec des moyens susceptibles de lui permettre de relever les défis auquel il est confronté ou alors les ténors fédéralistes qui ne trouvent rien de mieux à faire que de critiquer et dévaloriser l’indépendance? Que font les fédéralistes pour le Québec? Construisent-ils effectivement les ponts avec le Canada pour que l’autonomie intérieure soit de plus en plus grande et qu’elle permette enfin au Québec d’avoir également une autonomie extérieure? Ils me semblent qu’ils soient au contraire plutôt prompts à dénoncer toute affirmation québécoise, qu’il s’agisse d’encourager l’odieuse loi 103 ou de dénoncer l’assujettissement des cégeps à la loi 101, les fédéralistes sont des artisans de l’assimilation; ils sont absolument muets sur le caractère urgent de la situation préoccupante du français, mais ils ne se gênent pas pour dénoncer les radicaux qui, eux, s’en préoccupent. Les fédéralistes vont même jusqu’à soutenir la monarchie en critiquant les acteurs politiques qui ont l’intelligence de dénoncer cette institution archaïque et son instrumentalisation, les fédéralistes seraient donc devenus des loyalistes?. Ces actions, ou plutôt ces inactions sont pourtant contraires à ce qu’écrit Pratte lorsqu’il prétend que la persistance d’inquiétudes sont] normales et légitimes pour toute minorité. Pourquoi ne se fait-il pas le porte-voix de cette minorité? Peut-être parce que mieux que personne, Pratte sait que [Benoit Pelletier, l'autre champion fédéraliste nationaliste, a indiqué à quel point le statu quo était préjudiciable pour le Québec :
Quand on est une minorité francophone au Canada, a fortiori en Amérique du Nord, on a le devoir de se préoccuper de son destin politique et constitutionnel, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada. [...] La Constitution est devenue un sujet tabou et ce n'est pas sain. Un pays qui refuse d'envisager la possibilité de réformer sa Constitution est un pays qui refuse d'innover. En ce moment, le pays met son avenir entre les main des juges, des non-élus.
Et on sait de quel côté ces non-élus penchent, ils sont à majorité des Canadians...
Conclusion
Le but de ce texte n’est pas de convaincre Pratte et ses amis fédéralistes de changer leur fusil d’épaule, mais de donner un exemple de la rigueur et du soin que devraient prendre les indépendantistes À CHAQUE OCCASION pour critiquer à la fois le régime canadien et faire une éducation populaire sur l’indépendance. En 1995, un débardeur a voté « non » car il croyait qu’il perdrait son emploi. Il ne comprenait pas que le fédéral allait être remplacé par un «national» québécois.
Dans cette perspective, tant que le Parti Québécois ne se consacrera pas corps et âme à cet exercice, il perdra du soutien, car VIVRE C’EST AGIR et c’est parce qu’ils ne comprennent pas encore ce postulat que Pratte et ses pairs diffusent des idées néfastes, lesquelles sont basées sur une vision forcément incomplète de ce qu’est le Québec et de ce que pourrait être le Québec dans le monde. En participant à la provincialisation, c’est sûr qu’ils ne rendent pas les Québécois plus sûrs d’eux-mêmes et plus matures, ils créent donc une tautologie, en convainquant d’abord les Québécois qu’ils sont incapables d’avoir un pays, ils leur rappellent qu’ils sont médiocres et parce qu’ils sont médiocres, ils ne prendront pas de risque. Mais ce n’est donc pas la perception de l’indépendance qui soit problématique, mais bien la perception diminuée des Québécois que Pratte et cie leur offrent tous les jours. Sans s’en rendre compte, Pratte et cie sont la part visible de la médiocrité et du déclin de la pensée québécoise, partie visible d’une décadence culturelle qu’accompagne le remplacement politique et économique d’une nation par une autre. Pratte, comme manifestation de la haine de soi d’un peuple colonisé. S’en rend-il seulement compte?
Il n’y a qu’un seul remède à tout le cancer de cette pensée fédéraliste, il faut enseigner Séguin et immuniser ainsi la population, non seulement contre les discours fédéralistes réducteurs, mais pour que la population saisisse sa valeur et la chance qui lui est offerte de passer de état de nation culturelle à l'état de nation intégrale, indépendante, avec les opportunités, les défis et les responsabilités que cela suppose.
Bonne Saint-Jean!
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3 commentaires
Jean-Claude Pomerleau Répondre
22 juin 2011Maurice Séguin était historien et aussi géographe. Quand on croise les deux on s'approche de la géopolitique. C'est ce qui fait que son décodage de notre situation (annexée) est si probante. Il ne lui manquait qu'un élément pour que sa lecture devienne un doctrine politique claire: L'État.
Quand il affirme, qu'agir par soi,c'est sortir de l'aliénation : La provincialisation des esprits (Pratte). Il faut savoir que seul l'État agit avec envergure (M Sauvé. plus haut).
Nous avons un État, quoiqu'un demi État depuis l'annexion de 1760, il nous faut un plein État.
JCPomerleau
Archives de Vigile Répondre
22 juin 2011Pratte n'est pas un intellectuel. Un intellectuel, c'est quelqu'un qui écrit contre lui-même. Nietzsche même n'a pas prétendu à ce titre. Pourtant, il a bien créé les esprits libres. Pratte n'a pas un esprit libre. Jamais il ne se libérera de ses paradigmes et de ses déterminismes. Comment peut-il alors parlé de liberté d'action? Chaque individu doit se donner les moyens de cette liberté. Les « Canadians » ne sont pas plus libres que les Québécois, mais leurs chaînes sont fabriquées avec un alliage anglo-saxon!
André Meloche
Archives de Vigile Répondre
22 juin 2011La nation n'est ni une idée, une théorie ou un ensemble
d'idéologies.
La nation est une société territoriale et dans le cas
du Québec,un fait accompli au terme de 400 ans d'investissements dans un territoire périphérique, rude,
quasi inhabitable à l'état sauvage, au nord-est des
Amérique.
La nation québécoise s'est réalisée lorsque Britanniques
et Américains se sont retrouvés en guerre. Les Anglais
furent obligés de composer avec les colons du Saint-
Laurent qui en profitèrent pour obtenir des concessions
majeures qu'ils sont su exploiter à leur avantage.
Une circonstance favorable mejeure s'est produite lorsque
les Britanniques déplacèrent leur centre de gravité des
basses terres du Saint Laurent ves les basses terres
des grands Lacs, entre 1860 et 1960. La Nation et l'État
du Québec naquirent è la faveur de ces événements.
Il ne manque finalement au Québec que la pleine
reconnaissance du statut de Nation et d'État.
Ce ne sont pas des idées mais faits accomplis
à reconnaître.
René Marcel Sauvé, géographe et auteur de
Géopolitique et avenir du Québec.