J'ai déjà mentionné [dans un article->9309] l'image gauchie de notre passé
religieux, surtout par ceux qui ne l'ont pas vécu; on peut difficilement,
au regard de l'histoire réelle, nier le rôle positif d'une bonne part du
bas-clergé. Cependant, pour beaucoup d'autres, leur vision relève
d'expériences personnelles traumatisantes.
Comment voulez-vous, par exemple, qu'une mère de nombreux enfants ayant
été, dans les années cinquante, nommément désignée et condamnée en chaire
parce qu'elle n'en voulait pas un de plus, conserve un souvenir attendri de
son Église et que ses enfants aient envie d'applaudir Mgr Ouellet? Des
faits similaires se sont produits à des centaines d'exemplaires encore dans
les années quarante et cinquante, et j'en ai à l'occasion été témoin; je
n'habitais pas une région éloignée et désolée mais Montréal...
Pendant les
"retraites" des premiers jours de l'année scolaire, au primaire, nous nous
rendions chaque jour à l'église subir des sermons dont nous sortions avec
le soupçon d'être damnés, ce qui a valu à beaucoup des cauchemars et de
l'angoisse: à sept ou huit ans! Je me souviens aussi de petits commerçants
locaux qui exigeaient des postulants à un emploi un certificat de moralité
signé par un prêtre, et d'un curé qui prévenait les employeurs contre les
postulants dont la pratique religieuse ne lui agréait pas. Aussi de ce
prêtre qui, avant chaque élection provinciale, du moins en 1952 et 1956,
troussait ses sermons d'une rhétorique manipulatrice décourageant ses
ouailles de voter autrement que pour l'Union nationale. De cet autre, qui
circonvenait des paroissiennes pas toujours futées, accouchant neuf mois
plus tard d'enfants qui finissaient par lui ressembler de manière
troublante, jusqu'au jour où il fut transféré dans une autre paroisse —
mais non pas interdit de ministère — après qu'un mari moins naïf et moins
craintif de l'enfer que d'autres lui eut administré une solide correction.
Des exceptions? Oui, mais plus nombreuses qu'on veut bien l'admettre
aujourd'hui dans le milieu ecclésiastique.
Pendant des décennies, l'Église québécoise a culpabilisé de très nombreux
fidèles, notamment en matière sexuelle, au point d'en faire des névrosés ou
des révoltés quasi-désespérés. On a durement mené un peuple de surcroît
colonisé, on lui a prêché la résignation devant les injustices et la
fidélité au monarque «représentant légitime de Dieu dans les affaires
temporelles». Le clergé n'a pas créé la mentalité d'assiégés mais y a
souvent ajouté le fardeau d'un joug divin colérique et capricieux.
Doit-on
attribuer les reliquats de tout cela au produit de «notre mentalité de
colonisés»? Si le clergé n'a pas créé cette mentalité, il faut bien dire
qu'il y a ajouté en prêtant également la main au colonisateur, si vous
connaissez bien notre histoire en ce qui concerne au moins le XIXième
siècle. C'était "l'esprit du temps"? Oui, pour une part. Et non, pour
une autre part, parce que le haut-clergé, surtout, ne défendait pas que ses
ouailles, il protégeait son statut en pactisant avec l'occupant jusque dans
le confessionnal. Il a fallu combien d'années, par exemple, avant qu'on
accepte de lever l'excommunication et l'interdiction de sépulture en terre
bénie prononcées contre les Patriotes? Au XXième siècle, l'Église s'était
modernisée: elle prêchait la sainte obéissance aux patrons et le respect de
nos rois-nègres Taschereau et Duplessis. Et le seul qui ait publiquement
refusé de réciter cette litanie, Mgr Charbonneau, a été exilé en
Colombie-Britannique, où il est mort de chagrin.
***
En principe et en pratique, cela n'a rien à voir avec le comportement du
clergé contemporain, mais il a encore à voir avec les aberrations toujours
actuelles de Rome, et même le plus compréhensif des clercs ne pourra
amender les apparatchiks intégristes et bornés du Vatican. Ainsi,
l'avortement demeure officiellement interdit même en cas de viol, sauf
lorsqu'il s'agit de religieuses (mais cela, on ne le crie pas sur les
toits), les homosexuels demeurent toujours des «malades» et des «pervers»
et les fidèles divorcés sont interdits de communion.
Sans doute aurions-nous tort de nier ou de renier notre culture religieuse
pour autant puisqu'on ne juge pas d'une religion à ses sous-produits, mais,
de grâce, n'allons pas, au nom de la mesure, chapitrer inconsidérément ceux
qui ont psychologiquement et moralement souffert au moins autant et même
davantage par la faute de l'Église que par le fait du colonisateur et de
ses rejetons.
Raymond Poulin
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