La planète tourne, c’est un fait. Reste à voir si, en ces semaines de contestation dans les rues de plusieurs pays arabes, elle tourne aussi vite qu’on le croit. La chute des dictatures entraînera-t-elle l’Islam à plus de modération ou, au contraire, les forces religieuses voudront-elles en découdre activement avec la démocratie, dans l’intention de mener un exorcisme total des terres musulmanes?
Bien des imams croient que l’espace religieux et l’espace civique doivent être un parfait miroir. Ils vous diront que c’est un précepte du Coran. Est-ce qu’une religion peut gagner en puissance sans système religieux autoritaire qui déploie ses assises sur toute la société? Bien de imams vous répondront par la négative. La bulle électronique, Facebook et Twitter, pourra peut-être aider le monde arabe à franchir des étapes. Il ne faut pas croire pour autant qu’il n’y aura pas une ligne de fracture et de nombreuses secousses sismiques.
La planète tourne et retourne avec ces variantes locales d’une différence éblouissante. Les systèmes politiques intégrés en veulent plus et cherchent à être surintégrés. L’islam pourra réagir avec la violence d’un système immunologique s’il se sent menacé. Non, la planète n’a pas fini de tourner en hoquetant.
***
Il se prépare des hoquets, de différentes magnitudes. Ici, chez nous, ce sera quoi le prochain hoquet? Il s’en prépare un de petite magnitude. Monsieur François Legault prépare un texte. Le rideau de scène s’ouvrira bientôt.
Le chef de l’action démocratique, Gérard Deltell n’a pas nié que des tractations ont lieu entre son parti et François Legault. Deltell s’est montré très embarrassé quand les journalistes lui ont demandé s’il allait partager la tribune quand François Legault les convoquerait en vue d’une conférence de presse. On peut présumer que les deux hommes ne se disent “non”, loin de là.
Dans son désir de rassembler des forces politiques autour de lui et de mettre à jour une société québécoise dynamisée par des élites économiques libérées du débat national, François Legault, en dépit de son immense talent, se dirige vers le même cul-de-sac que l’Action démocratique. Contester la prééminence des gouvernements au nom de la sagesse infuse des hommes d’affaires trahit un aveuglement volontaire évident au Québec.
Au chapitre de l’offre de services, le parti Libéral se définit lui-même comme une formation au service d’intérêts économiques. Il prône la trêve constitutionnelle sous prétexte que les temps ne sont pas mûrs. On ne voit d’ailleurs pas ce qui doit mûrir dans cette optique car le parti Libéral affirme que les ententes à la pièce, les accommodements administratifs, donnent l’oxygène voulu au gouvernement national des Québécois.
L’Action Démocratique n’est pas née de l’idée que protéger le gouvernement national des Québécois accusait un sérieux retard sur les préoccupations politiques légitimes. Ce fut tout à fait l’inverse. Il y a eu changement de cap semble-t-il. En entrevue à l’émission de Mario Dumont, Gérard Deltell affirmait que la population québécoise devait articuler son débat politique différemment car le véritable enjeu se définissait comme suit: “plus ou moins d’Etat”.
Ce détachement par rapport au sort du gouvernement national n’entraîne pas nécessairement les mêmes conséquences pour la nation québécoise que pour d’autres nations. Gérard Deltell oublie que la nation américaine, berceau du parti Républicain, compte plus de cinquante gouvernements régionaux et un gouvernement fédéral qui constitue encore aujourd’hui le plus puissant gouvernement du monde. La nation canadienne compte plus de dix gouvernements régionaux si on compte les administrations territoriales et un gouvernement central dont tout l’appareil est voué à maintenir la profondeur stratégique du Canada.
En comparaison, la protection institutionnelle de la nation québécoise ne se résume à presque rien. Il y a bien un gouvernement qui se dit “gouvernement national des Québécois” mais qui ne se définit que comme une législature provinciale. Il est pour le moins déconnecté que de vouloir négocier la diminution du poids d’un demi-Etat.
Depuis de nombreuses années on accuse les Québécois de ne pas s’ouvrir suffisamment aux idées de droite. On en tient responsables des rationalisations qui auraient vampirisé les esprits. Il y a un petit détail que l’on oublie quand on prône le « désengagement de l’Etat ». La droite au Québec n’est pas dans la situation de la droite au Canada ou aux Etats-Unis. Là-bas on a institutionnalisé les devoirs de l’Etat national et ses prérogatives.
On voit des gens comme Maxime Bernier agrandir le libertarisme pour lui faire toucher le domaine linguistique. Les libertariens anglo-saxons n’ont jamais encouragé la libre concurrence des langues pourtant. Ils sont les premiers à s’offusquer d’entendre l’hymne américain chanter en espagnol.
On trouve sans arrêt des articles blâmant l’hostilité trop grande d’une partie de l’opinion publique québécoise envers le libertarisme. On insinue que cette hostilité est attribuable à une maladie de notre intelligence collective. Par compensation, vous trouvez nombre de politiciens québécois qui vous diront que la nation existe toute seule et qu’il n’est pas socialement utile de la promouvoir. Sous prétexte que la richesse des individus décide du poids politique d’une nation, la droite, à quelques exceptions près, passe littéralement son tour en qui touche la question nationale.
François Legault répondrait qu’il n’a rien à voir avec Maxime Bernier. François Legault se nourrit sûrement de bien meilleures intentions. Mais le Canada est un système politique intégré qui cherche à se surintégrer au Québec. Accusant l’ethnocentrisme, le racisme, le repli sur soi, le système politique canadien s’est défendu du nationalisme québécois comme on traite des virus irrationnels qui troublent le parfait univers de la générosité. Si on met en veilleuse la question nationale au Québec, le Canada, lui, ne mettra pas son système politique entre parenthèses.
Alors quelle sera la substance du texte de Legault? Fatalement Legault ne pourra qu’écrire en considérant la nation québécoise d’un point de vue social restreint. Il s’assigne comme base la mise au rancart des revendications nationales, ce qui délimite les possibilités de développement. « La sollicitude de l’Etat s’est consacrée aux pauvres au lieu de les responsabiliser » sera une prémisse de sa réflexion afin de tendre le voile de l’oubli sur la question nationale. Désormais cette sollicitude devrait aller aux classes moyennes et aux créateurs de richesses, y lira-t-on.
L’économiste John Kenneth Galbraith rangeait cette nouvelle sollicitude parmi les politiques officielles de l’Etat américain. “Le Président Nixon a dit clairement, écrivait Galbraith, que l’Etat s’intéressait à ceux qui ont su poser et résoudre le problème de s’aider eux-mêmes, ceux dont les ancêtres ont résolu le problème pour eux, et à quelques-uns qui sont sur la bonne voie”. Aux États-Unis, on ne se gêne pas pour dire que l’on défend la ploutocratie locale. Au Canada, on dit que l’on défend les classes moyennes et les créateurs de richesses, ce qui fait que les Canadiens, toute allégeances politiques confondues, se font une gloire d’avoir le cœur qui penche du bon côté. Seulement, ils blâment les Québécois, « the province » comme ils disent, d’exagérer dans cette voie.
Y aurait-il quelqu’un dans le nouvel entourage de Legault pour lui rappeler qu’un gouvernement national doit se demander s’il est une instance de décision et de contrôle efficace non seulement par rapport aux tendances économiques mais aussi par rapport au devenir national global? Claude Morin en appelle à une commission parlementaire pour définir une Constitution et le développement d’une expertise pour mieux défendre le gouvernement national des Québécois en tant qu'institution. Louis Bernard écrit un article encourageant le gouvernement québécois à faire respecter la loi 101. Le chercheur Charles Castonguay titre son plus récent article “Le Français dégringole” et démontre que le transfert linguistique en faveur de l’anglais connaît une accélération inquiétante.
Étrangement, ceux qui plaident en faveur de la droite au Québec semblent vouloir se dissocier de cette réalité. Tous les facteurs nationaux habituels laisseraient passer l’essentiel qui revient à permettre aux foyers les plus dynamiques de notre société de s’activer grâce à une politique fiscale adéquate, à la déréglementation et à une diminution planifiée de la taille de l’Etat québécois.
Bizarre, trop bizarre, que de voir des gens en appeler à la responsabilisation des individus et qui, du même souffle, appuient leur démonstration sur une fuite par rapport aux responsabilités du politique.
André Savard
Le projet limité de François Legault
Contester la prééminence des gouvernements au nom de la sagesse infuse des hommes d’affaires trahit un aveuglement volontaire évident au Québec.
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5 commentaires
Archives de Vigile Répondre
19 février 2011Très intéressant votre analyse. Il est curieux de réaliser que parfois les gens de droite sont gauches. Je continue à croire que M. Legault n'attirera pas grand monde dans son giron. Tout au plus il plaira à l'ADQ qui se cherche un chef charismatique et quelques libéraux déçus de monsieur Charest comme Charles Sirois. Et monsieur Legault en repoussant la souveraineté, ne fera pas grand dommage`au Parti Québécois car les vrais souverainistes resteront dans les rangs d'un parti offrant cette option. Je lui suggérerait un autre nom pour son parti plutôt que celui de Coalition pour l'Avenir du Québec. Pourquoi ne pas s'appeler l'Action Libérale du Québec?
Gilles Bousquet Répondre
16 février 2011Me Jean Lapierre déclare que M. Legault va sortir son manifeste la semaine prochaine. Une autre source radiophonique nous informe, qu'à l'instar de l'ADQ, il va recommander la disparition d nos commissions scolaires.
J'attends le reste avec grand intérêt pour voir s'il désire ou non former un parti politique et, selon ses probables nouvelles options constitutionnelles ou son absence de choix, à qui il devrait nuire ou aider.
Archives de Vigile Répondre
16 février 2011L’erreur des Québécois(es) seraient de prendre le prochain scrutin à la légère, comme en 2008. Avec les révélations sur la gouvernance du Québec depuis quelques années, le prochain scrutin sera déterminant pour l’avenir de la seule nation francophone en Amérique et de son développement économique selon ses priorités.
D’ici là, le vrai défi réside dans la livraison d’un message percutant à l’électorat. Un beau et grand défi !
A Forgues, Lévis
Archives de Vigile Répondre
14 février 2011À force de sacrifier l'essentiel à l'urgence, on finit par oublier l'urgence de l'essentiel.
je n'ai pas de mérite je l'ai lu. C'est d'Edgar Morin cité par Guillebaud dans «La force de conviction».
Revenons donc à l'essentiel qui urge. C'est mon avis aussi de penser que c'est le bât qui blesse la position de monsieur Legault. Au nom d'une certaine urgence, il se débarasse de l'esentiel. Peut-être que l'essentiel le dépasse...
Archives de Vigile Répondre
14 février 2011M. Savard, j’apprécie votre analyse. M. Legault, à mon avis, commet une erreur en choisissant de reléguer au second plan la question nationale. Cette question est fondamentale pour la survie de notre nation et pour la place que nous devons occuper dans l’espace mondial compte tenu des changements qui s’annoncent. Lorsqu’il était au pouvoir , cet homme n’a pas réussi à réaliser les changements nécessaires pour faire évoluer notre nation vers la création du pays Québec. Il n’en fera pas davantage avec un nouveau parti. En plus, la création de richesse dont il parle a pour objectif d’enrichir une minorité d’individus et d’appauvrir un gouvernement dont les marges de manœuvre sont minces. Qui donc paiera pour l’enrichissement d’une minorité ? La majorité des citoyens, à l’évidence. Legault, pour moi, en s’attaquant à l’état qui devrait en principe me représenter et travailler à procurer à mes concitoyens une qualité de vie, choisi de s’attaquer au peuple en prétextant des motifs de lucidité, d’enrichissement collectif et autres thèmes associés. Il fait parti des nombreux politiciens aveugles et ignorants qui flottent dans l’univers politique québécois, canadian et mondial. L’ego de Legault n’apportera rien de bon pour l’avenir du peuple québécois et la naissance de notre pays. Du temps et de l’énergie encore une fois perdus.