Le processus est étanche, dit Charest

Hamad affirme n'avoir appris qu'au jour de la décision que sa femme était nommée juge

L'affaire Bellemare - la crise politique



Robert Dutrisac , Kathleen Lévesque - Québec — Quand il s'agit de nommer un juge, les règles de confidentialité seraient à ce point strictes au sein du gouvernement Charest que même un ministre, dont la conjointe est sur le point d'être nommée juge, ne saurait même pas qu'elle figure sur la courte liste des candidats.
C'est le cas de Sam Hamad, qui soutient dur comme fer qu'il n'était pas au courant que sa conjointe serait nommée juge jusqu'à ce qu'il mette les pieds à la réunion du Conseil des ministres du 25 mars 2009. Il ne savait pas non plus qu'elle était sur la liste des quelques candidats qui s'étaient qualifiés, a-t-on avancé.
Ce n'est que «sur place qu'il a constaté qu'un membre de sa famille était concerné», a affirmé hier l'attaché de presse du ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Alexandre Boucher. Ce dernier a ajouté que «personne ne sait qui sont les candidats sur la short list parce que c'est confidentiel».
Or, selon les informations obtenues par Le Devoir, il arrive pourtant que des candidats à un poste de la magistrature aux accointances libérales soient mis au courant qu'ils sont parmi les finalistes.
Entre le moment où des avocats postulent à un poste de juge et traversent les étapes techniques de vérification de leurs connaissances et la dernière étape qui est strictement politique, il se passe des mois et parfois plus d'une année. Dans le cas de la conjointe du ministre Hamad, Marie-Claude Gilbert, le processus s'est étendu de décembre 2007 à mars 2009.
Hier, au cabinet du ministre Hamad, on martelait que le ministre n'était jamais intervenu dans le dossier de sa conjointe. On précisait également que M. Hamad s'est retiré des délibérations ministérielles concernant la recommandation de nommer Marie-Claude Gilbert au poste de juge de la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale. Avant d'être nommée juge, Marie-Claude Gilbert était procureure en chef et secrétaire générale du Directeur des poursuites criminelles et pénales.
Du côté du cabinet de la ministre de la Justice, Kathleen Weil, on soulignait que «le parcours de Mme Gilbert est remarquable» et que c'est «pour ses compétences professionnelles» qu'elle a été choisie. «Jamais la ministre n'accepterait de subir de pression», a soutenu son attachée de presse, Sarah Pilote-Henry.
À l'Assemblée nationale, le premier ministre Jean Charest a été l'objet de vives attaques de la part de l'opposition relativement à la nomination des juges.
Jean Charest a soutenu que le Conseil des ministres n'avait pas accès à la liste des candidats au poste de juges contrairement à l'information fournie mercredi par le cabinet de la ministre Weil. Mais la chef du Parti québécois, Pauline Marois, a accusé le premier ministre de dire des demi-vérités: la liste des candidats peut ne pas circuler mais les noms qu'elle contient, eux, peuvent être connus des ministres.
Talonné lors de la période de questions, Jean Charest a affirmé que les règles et le processus de nomination des juges n'avaient pas changé depuis l'élection de son gouvernement en 2003. «Il y a une seule candidature qui est suggérée au Conseil des ministres et la liste des candidats n'est pas circulée [sic] parmi les membres du Conseil des ministres», a déclaré M. Charest.
«On joue sur les mots», a lancé Véronique Hivon, la députée de Joliette et porte-parole de l'opposition officielle en matière de justice. «La liste ne circule peut-être pas, mais les noms sont connus.»
«S'il n'y a pas de liste qui circule, comment se fait-il que des donateurs du Parti libéral sachent, eux, qui est admissible à des postes de juge?» a demandé Pauline Marois, qui faisait référence à certaines allégations de Marc Bellemare. L'ancien ministre de la Justice a avancé que d'importants collecteurs de fonds du PLQ l'ont incité à recommander la nomination d'au moins deux juges contre son gré.
Pour l'opposition, le fait que les ministres puissent connaître l'identité des candidats mine l'indépendance et l'intégrité du système judiciaire. «On vient soumettre la nomination des juges aux considérations les plus partisanes», a souligné Véronique Hivon. Seule la ministre de la Justice doit savoir qui sont les candidats: le rôle du Conseil des ministres, c'est d'entériner ou de rejeter la recommandation du ministre, sans que les élus puissent débattre des mérites relatifs des différents candidats.
Mercredi, l'attachée de presse de Kathleen Weil, sur la foi d'une information qu'elle avait obtenue d'un membre du personnel du cabinet, a affirmé au Devoir que «la ministre recommande une personne sauf que la liste est connue du Conseil des ministres». L'attachée de presse a refusé de dire qui au cabinet lui avait fourni cette réponse. Jean Charest a préféré jeter le blâme sur l'employé subalterne. «La personne qui a donné cette information-là a erré», a-t-il dit.
Au bureau du sous-ministre de la Justice, la porte-parole Joanne Marceau a fait valoir que la confidentialité touchant la nomination des juges est pleinement assurée. Le comité tripartite qui s'occupe de dresser une liste de candidats est soumis à des règles strictes de confidentialité et seules deux personnes au ministère, la coordonnatrice à la sélection des juges, Andrée Giguère, et sa secrétaire connaissent l'identité des candidats et le choix de la ministre avant qu'il soit présenté au Conseil des ministres. Les indiscrétions ne peuvent venir du comité de sélection ou du ministère, a soutenu Mme Marceau. Reste le personnel politique, sur lequel le ministère n'a aucune prise.
Le ministre délégué aux Transports, Norman McMillan, a indiqué hier qu'il ne savait pas que Me Marc Bisson, le fils de son ami et collecteur de fonds Guy Bisson, figurait sur la courte liste des candidats aptes à devenir juges.
Mercredi, il a affirmé à journaliste du Droit: «Je ne suis jamais intervenu de quelque façon que ce soit pour que le fils de M. Bisson soit nommé juge.» Hier, il a changé sa version, admettant qu'il avait parlé au ministre de la Justice de l'époque, Marc Bellemare, de la candidature de Me Bisson, nommé juge par la suite. «Quand quelqu'un me parle de quelque chose, qu'il a postulé pour un poste, que ce soit comme juge ou que ce soit pour un emploi au ministère des Transports [...], je fais juste le message», a avancé M. McMillan.
Pour l'ex-juge Andrée Ruffo, il est clair que le processus de nomination des juges au Québec est marqué par le favoritisme. En entrevue à la station radiophonique 98,5, Mme Ruffo a affirmé qu'il ne faut pas verser dans «l'angélisme». «Ce qui fait que tu es nommé, c'est parce que quelqu'un dit ton nom, porte ton nom. C'est comme ça que ça se passe», a-t-elle affirmé. Cette dernière ajoute qu'une nomination, au-delà des qualifications des candidats, ne constitue ni plus ni moins qu'une récompense. «Moi, j'ai été nommée [en 1986] parce que je connaissais bien le chef de cabinet du ministre qui était là à l'époque.»
En outre, Le Journal de Montréal rapportait hier qu'un autre collecteur de fonds libéral de la région de Québec, le comptable Charles Rondeau, a reconnu avoir parlé d'un candidat à la magistrature dans les rangs gouvernementaux, «peut-être à Bellemare». M. Rondeau estime toutefois n'avoir jamais exercé une influence indue pour que telle ou telle personne devienne juge.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->