Si jamais Jean Charest se lassait de la politique, il pourrait facilement se recycler en prestidigitateur. Pendant cette campagne, ce talent lui a permis de faire disparaître de la mémoire collective des pans entiers de l'histoire politique récente du Québec.
Ainsi, si quelqu'un rentrait au Québec, ces jours-ci, après six ans d'absence, il croirait sans doute que Pauline Marois a été au pouvoir pendant tout ce temps, et que la campagne électorale se fait sur le bilan de son gouvernement.
Sur le dos du PQ
Il ne se passe pas une journée sans que Jean Charest n'attribue l'ensemble des problèmes du réseau de la santé aux mises à la retraite anticipée de médecins et d'infirmières lors de la lutte au déficit de la fin des années 90. Il y a trois premiers ministres et quatre campagnes électorales de cela...
Pauline Marois a été fort maladroite de ne pas reconnaître, il y a quelques jours, que ces mises à la retraite furent une erreur. Et cette erreur a encore des conséquences aujourd'hui.
Sauf qu'on ne peut parler de cette période sans tenir compte de la lutte au déficit, à un moment où le fédéral réduisait ses transferts aux provinces et où les agences de crédit menaçaient d'abaisser la cote du Québec.
Mais si les mises à la retraite ont été une erreur qu'on peut imputer au gouvernement de Lucien Bouchard, on ne peut certainement pas accuser le PQ — comme le fait régulièrement M. Charest — d'être responsable de la baisse des inscriptions en médecine.
Pendant les années 90, pas seulement au Québec, mais un peu partout au Canada, on disait volontiers qu'il y avait un surplus de médecins. On prétendait aussi que l'un des meilleurs moyens de freiner la hausse des coûts de la santé était de limiter le nombre de médecins, parce que « les médecins produisent leur propre demande ».
Cela avait commencé sous le gouvernement libéral, du temps de Robert Bourassa et de Marc-Yvan Côté. Et ça s'est poursuivi jusqu'à l'atteinte du déficit zéro quand le gouvernement péquiste puis le gouvernement de M. Charest ont graduellement augmenté le nombre d'inscriptions.
Mais vous n'entendrez pas M. Charest parler de cette situation.
Jean Charest, en 2003
Le premier ministre ne se souvient pas non plus de ses propres tactiques de campagne. En 2003, une bonne part de ses critiques du gouvernement en place, lors de la campagne électorale, avait porté sur les pertes de 13 milliards de dollars de la Caisse de dépôt et placement. Des pertes qu'il imputait au gouvernement du temps. « Le pire désastre financier de l'histoire du Québec », tonnait alors M. Charest.
Une partie des pertes était due à des interventions du gouvernement, qui avait dicté certains investissements à la Caisse. Mais les pertes venaient aussi d'une baisse mondiale des cours boursiers, ce qu'on avait appelé à l'époque l'éclatement de la « bulle technologique ». Toutes les caisses de retraite du monde avaient été touchées, comme c'est le cas maintenant.
Aujourd'hui, M. Charest refuse la demande de Mario Dumont pour que la Caisse publie maintenant les chiffres de ses pertes. Et il est bien évident qu'il serait farfelu d'imputer au gouvernement les effets d'une crise mondiale sur le bas de laine des Québécois.
Mais force est de constater qu'en 2003, M. Charest ne s'est pas embarrassé de telles nuances. À l'époque, tout était dans le même sac, autant la baisse mondiale des cours boursiers que des investissements hautement contestables — et qui ont fini par coûter très cher —, comme celui qui avait permis à Quebecor de mettre la main sur Videotron et TVA.
M. Charest a changé la gouvernance de la Caisse pour faire en sorte que sa préoccupation première soit le rendement et pour la mettre à l'abri des pressions politiques du gouvernement. Une politique que l'on peut aimer ou ne pas aimer, mais qui est légitime. Mais ça n'enlève en rien la polémique qu'il avait engagée à l'époque, et dont il voudrait bien qu'on ne se souvienne plus aujourd'hui.
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