Québec - Le Parti québécois faite fausse route en projetant de tenir un référendum sur la souveraineté avant d'assurer la souveraineté populaire par l'adoption d'une constitution, l'instauration de la proportionnelle et l'introduction de référendums d'initiative populaire. Non seulement le PQ d'aujourd'hui s'est-il éloigné des principes défendus par René Lévesque, mais il nuit au projet souverainiste en refusant de donner plus de pouvoir aux citoyens.
C'est du moins l'avis d'André Larocque, cet ancien sous-ministre responsable de la réforme démocratique sous le gouvernement Lévesque et un des membres de la première heure de la formation politique. «Ça n'existe plus, le PQ, ça fait longtemps. C'est juste le nom qui reste», juge-t-il. Le parti fondé par René Lévesque est devenu un parti de pouvoir, selon lui.
André Larocque vient de publier un livre, intitulé Au pouvoir, citoyens! Mettre fin à l'usurpation des partis politiques, dans lequel il dénonce le régime politique actuel. «Je dis ce que les Québécois disent depuis toujours: le gouvernement est au-dessus de nos têtes, les députés n'ont pas de pouvoir, le système parlementaire, c'est du théâtre. Je n'invente rien. Il n'y a pas de monde meilleur là-dedans», commente-t-il au cours d'un entretien.
Un plan en dix points
Se qualifiant de «lévêquiste de stricte observance», André Larocque rappelle que René Lévesque avait un plan en dix points pour réformer les institutions démocratiques au Québec. Il n'a réalisé que cinq de ces points: le contrôle du financement des partis politiques, la refonte de la loi électorale, la consultation populaire (le référendum), la carte électorale et l'accès à l'information. Les cinq autres sont restés lettre morte: les référendums d'initiative populaire, la réforme du mode de scrutin par l'introduction de la proportionnelle, les élections à date fixe, la décentralisation en faveur des régions et la véritable séparation des pouvoirs législatif et exécutif.
À la fin des années 1990, André Larocque est passé à l'Action démocratique du Québec pour défendre une réforme en profondeur des institutions démocratiques. Il a quitté ce parti en 2002 à la suite du virage à droite de la formation de Mario Dumont. Il redevient sous-ministre alors que Jean-Pierre Charbonneau, en tant que ministre responsable de la réforme des institutions démocratiques, fait appel à lui. Au moment du départ de René Lévesque en 1985, il déchire sa carte de membre du PQ. Mais il a appuyé, aux côtés des anciens directeurs de cabinet de Lévesque, Jean-Roch Boivin et Michel Carpentier, la candidature de Louis Bernard à la direction du PQ, sans pour autant reprendre sa carte de membre du parti. Il est aujourd'hui vice-président du Mouvement démocratie et citoyenneté du Québec, présidé par Claude Béland, qui fait la promotion de la démocratie.
Dans son livre, André Larocque relate la colère qu'avait faite René Lévesque à cause d'un texte, émanant du PQ, contre la réforme du scrutin, qui affirmait: «L'important, c'est de faire l'indépendance. Après, il sera toujours temps de s'occuper de réforme démocratique.» Pour Lévesque, cette affirmation était une hérésie. Cette phrase est pourtant devenue le leitmotiv des dirigeants actuels du PQ, fait observer André Larocque.
«Un parti politique qui vise la souveraineté de l'État sans l'assujettir à la souveraineté populaire ne fait pas oeuvre démocratique et ne mérite pas qu'on lui confie la responsabilité de cet État», écrit-il.
La position dominante au PQ à l'heure actuelle, c'est qu'on reporte les changements au mode de scrutin après l'accession à l'indépendance, souligne-t-il. Même chose pour l'adoption d'une constitution pour le Québec qui établirait que tout pouvoir procède du peuple. «Ce n'est pas le PQ de Lévesque. Il n'a aucun "agenda" démocratique», avance André Larocque.
Citant une fois encore René Lévesque, André Larocque constate que le gouvernement, dans le système parlementaire britannique qui est celui de l'État québécois, fait «partie intégrante d'un parlement soi-disant souverain, mais en réalité ficelé par la ligne de parti et asservi à toutes fins utiles à la dictature effective du cabinet [du premier ministre] et de son entourage [...]. C'est la dictature conjointe des cabinets et des technocrates [...]».
L'Assemblée nationale, c'est «une assemblée de plantes vertes. Il n'y a pas de pouvoir là», juge André Larocque. Quant au mode de scrutin uninominal à un tour, il est «démocratiquement infect», pour reprendre l'expression de Lévesque. Il donne au parti gagnant une part des sièges bien supérieure au nombre de votes obtenus.
Il défavorise les petites formations politiques. En 2003, rappelle André Larocque, le Parti libéral a obtenu 46 % des votes, mais 61 % des sièges. L'ADQ, qui a récolté 18 % des votes, n'a élu que 3 % des 125 députés de l'Assemblée nationale.
Au cours de la récente histoire du Québec, plusieurs partis ont pris le pouvoir avec moins de vote que le parti de l'opposition officielle: c'est le cas de l'Union nationale de Maurice Duplessis en 1944, de l'Union nationale de Daniel Johnson en 1966 et du PQ de Lucien Bouchard en 1998.
L'adoption d'un mode scrutin proportionnel, «c'est mieux que rien» mais «c'est rendre l'impuissance proportionnelle», met en garde André Larocque. «On s'amuse depuis 35 ans à chercher à rendre plus représentative une assemblée sans pouvoir.»
L'auteur fait remarquer que le système parlementaire britannique, tout comme le mode de scrutin dont il est le cousin, repose sur l'affrontement permanent. «La seule raison qui peut expliquer que le PQ maintienne son adhésion à deux systèmes qui fractionnent le pays au lieu de l'unir, c'est qu'il y trouve l'avantage du pouvoir», estime-t-il.
Or, les péquistes devraient se rendre compte que le plus grand frein à l'obtention d'une majorité lors d'un référendum sur la souveraineté, c'est ce système politique basé sur l'affrontement.
«Point de souveraineté hors de la proportionnelle», soutient André Larocque. «Alors que la proportionnelle incite à la coalition en vue du plus grand rassemblement possible, le mode de scrutin actuel fait exactement l'inverse: il déforme le vote populaire, laisse une grande partie de la population, parfois même la majorité, sans représentation légitime et oblige les partis à se combattre sans quartier, y compris sur des futilités.»
«L'élection, dans notre système, est conflictuelle. À l'inverse, la victoire référendaire est nécessairement consensuelle, unificatrice, rassembleuse», poursuit-il.
Quand il est au pouvoir, «le PQ se voit aux portes de l'indépendance du fait de sa force parlementaire artificiellement gonflée, mais sa vraie force populaire est bien en deçà, ce qui le condamne donc à attendre des "conditions gagnantes"», fait observer l'auteur.
Pour l'heure, les péquistes devraient prendre garde de se montrer triomphalistes, prévient-t-il. «On a oublié que Jean Charest a battu Lucien Bouchard [le PLQ a récolté la pluralité des voix en 1998]. Quatre ans plus tard, il a ramené Bernard Landry à 33 % du vote. Et là, tu lui offres André Boisclair sur un plateau. Il doit trouver ça comique quelque chose de rare. Les libéraux dégoulinent de plaisir et ils ont très, très hâte» aux prochaines élections, avance André Larocque.
Entrevue avec André Larocque, ancien sous-ministre péquiste
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