Il y a une vingtaine d’années, la publication de l’essai Le syndrome de Pinocchio d’André Pratte avait provoqué un intéressant débat sur le mensonge en politique qui n’a rien perdu de sa pertinence, comme en témoignent les explications chaque jour plus emberlificotées de Pierre Karl Péladeau sur l’utilisation des paradis fiscaux par Québecor.
Une expression utilisée par Thomas Mulcair, alors député libéral de Chomedey, avait inspiré le titre de ce livre. Dans un entretien avec l’auteur, M. Mulcair l’avait reconnu d’emblée : « Malheureusement, de manière générale en politique, le calcul c’est : est-ce que je vais me faire pogner ? Sinon, les gens se sentent assez libres de manipuler les journalistes et de dire n’importe quoi ».
Encore faut-il se montrer habile et s’assurer de ne pas être contredit par les faits. Dans le cas qui nous occupe, M. Péladeau n’a malheureusement fait ni l’un ni l’autre. Au cours de la dernière année, on a pu constater sa maladresse et son manque de jugement politique, mais il n’y avait pas de raison de douter de sa parole. On ne peut plus faire autrement.
On avait qualifié André Pratte de naïf parce qu’il exigeait que les politiciens disent toujours la vérité. L’intérêt public ne commandait-il pas de taire certaines choses ? Chez les commentateurs, le consensus semblait indiquer que la restriction mentale pouvait parfois être acceptable, voire même nécessaire, mais qu’on ne devait pas affirmer ce qu’on savait être faux.
Quand il s’est lancé dans la course à la chefferie du PQ, M. Péladeau a assumé pleinement son passé en matière de relations de travail. Ne pouvant nier des faits connus de tous, il a plaidé le fait que la survie de ses entreprises exigeait qu’il ait recours au lockout. Malgré leur préjugé favorable envers les syndicats, les militants péquistes ont accepté de passer l’éponge au nom de la cause sacrée de l’indépendance.
Dès le départ, il aurait très bien pu reconnaître que Quebecor World, que contrôlait Québecor, avait utilisé les paradis fiscaux pour payer moins d’impôt, comme toutes les multinationales le font en toute légalité. Pouvait-on exiger que ce fleuron de Québec inc. compromette sa compétitivité pour démontrer son sens civique ? D’ailleurs, peu de gens y voyaient un problème éthique à l’époque.
Le problème n’est pas que Québecor utilisait des paradis fiscaux, mais qu’il s’entête à dire qu’il n’y était pour rien ou encore qu’il s’en est rendu compte tout récemment, comme il l’a affirmé à Paul Arcand. Son insistance à jouer sur les mots ne fait que renforcer la suspicion. Il a beau répéter que lui-même n’a pas créé de filiales dans des paradis fiscaux, il savait parfaitement qu’il en existait dans son empire. S’il a donné l’instruction qu’il n’y ait pas de « structures fiscales exotiques » au sein de Québecor, comme il affirme l’avoir fait, cela a bien dû laisser des traces écrites quelque part.
Comment croire qu’un homme qui exerçait un contrôle aussi étroit sur ses entreprises ait pu ignorer ce que faisaient ses adjoints ou que ceux-ci aient pris le risque de désobéir à ses ordres ? Il ne pouvait tout de même pas lui échapper que son empire avait des filiales dans des pays où il n’exerçait aucune activité.
Coup sur coup, deux enquêtes journalistiques en sont arrivées à la même conclusion, et on peut être certain que les avocats de La Presse et ceux de Radio-Canada ont passé les reportages au crible avant de donner le feu vert. M. Péladeau peut multiplier les mises en demeure ou les poursuites autant qu’il le voudra, le mal est fait. Si, aux yeux du PQ, le premier ministre Couillard n’avait pas la crédibilité pour lutter contre les paradis fiscaux, sous prétexte qu’il a déjà eu un compte en banque à Jersey, qu’en est-il aujourd’hui de M. Péladeau ?
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