Le parc jurassique

Anglicisation du Québec



Pourquoi cette chasse aux anglo-dinosaures de Montréal qui ne parlent pas français? a demandé mon collègue Don MacPherson, de la Gazette, dans sa dernière chronique. Après tout, a-t-il fait valoir, la loi 101 ne visait pas plus que la Loi sur les langues officielles à imposer le bilinguisme individuel.
Il s'en est pris à l'émission du matin de la CBC Daybreak, lui reprochant d'avoir stigmatisé deux unilingues du Mile-End, qui représenteraient une nouvelle — et inquiétante — tendance chez les jeunes anglophones, puis à Jean-François Lisée, pour avoir demandé aux lecteurs de son blogue qui auraient constaté le phénomène d'en témoigner.
Inutile de se donner tant de mal, selon Don. Il suffit de consulter les chiffres du recensement de 2006 pour constater qu'en dépit d'un taux de bilinguisme remarquablement élevé (68,6 %) dans la communauté anglophone, il y avait encore 262 810 personnes qui parlaient l'anglais, mais pas le français, dans le Montréal métropolitain.
On peut sans doute s'indigner de la mauvaise volonté, du manque de curiosité intellectuelle, voire de l'arrogance de gens qui vivent au Québec depuis des années sans avoir fait l'effort d'apprendre le français.
On peut aussi considérer la question sous un autre angle. La nature humaine étant ce qu'elle est, la vertu et le goût de l'effort ont parfois besoin d'être stimulés par la nécessité. Comment expliquer qu'après 34 ans de loi 101 autant de gens peuvent encore gagner leur vie uniquement en anglais à Montréal sans subir le moindre inconvénient?
Est-ce leur faute ou la nôtre? Comment se fait-il que nous soyons collectivement incapables ou que nous n'ayons pas le courage de faire en sorte que cela ne soit plus possible? Les dinosaures ont disparu de la surface de la terre parce que les conditions qui y régnaient ne leur permettaient plus d'y vivre. S'il y a encore un parc jurassique à Montréal, c'est qu'on assure son entretien.
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Il y a un moment où l'indulgence devient coupable. Il est indécent de voir dix cadres supérieurs de la filiale immobilière de la Caisse de dépôt, Ivanhoé Cambridge, débarquer à La Presse pour défendre son président de l'exploitation, Kim McKinnis, qui est incapable de parler français même si cela fait dix ans qu'on lui paie des cours.
C'est que McKinnis ne s'y présentait pas, préférant y envoyer ses secrétaires. Elles non plus ne parlaient pas français? «C'était sporadique parce qu'il devait conjuguer les cours avec ses déplacements d'affaires à l'étranger», a expliqué l'ineffable porte-parole de la Caisse, Maxime Chagnon. Depuis qu'il a déménagé à Montréal, il y a deux ans, «les cours sont un peu plus réguliers», mais il est toujours incapable de répondre à une question en français. Décidément, le pauvre homme n'est pas doué. Heureusement, on ne lui a imposé aucun échéancier.
«Je ne ferai pas de chasse à l'Anglais à la banque», a déclaré de son côté le président et chef de la direction de la Banque Nationale, Louis Vachon, en réplique au tollé soulevé par l'unilinguisme du premier vice-président aux technologies de l'information, John B. Cieslak.
Pour attirer la clientèle, M. Vachon est toujours prêt à vanter les racines québécoises de sa banque, mais on souhaiterait qu'il mette autant d'énergie à y faire la promotion du français qu'il en a mis à empêcher la Bourse de Londres d'acquérir le Groupe TMX.
Personne ne lui a demandé de bannir l'anglais, ni les anglophones. Tout le monde reconnaît que, dans une entreprise qui brasse des affaires partout dans le monde, certaines fonctions exigent la connaissance de l'anglais. M. Vachon pourrait-il simplement avoir les mêmes exigences de bilinguisme pour M. Cieslak qu'il aurait pour n'importe quel francophone qui occuperait le même poste?
Certes, M. Cieslak a personnellement le droit de bouder le français et les banques ne sont pas assujetties à la Charte de la langue française. À partir du moment où son unilinguisme force des francophones à travailler en anglais ou à se trouver un autre emploi, il devient cependant légitime de le montrer du doigt et de faire en sorte que son employeur en arrive à la conclusion qu'il devient un boulet pour l'entreprise.
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La force d'attraction de l'anglais est telle qu'il faut être vraiment très persuasif pour convaincre les nouveaux arrivants qu'ils ont intérêt à se mettre au français dans un pays qui est officiellement bilingue et multiculturel.
Encore faudrait-il s'assurer que la réalité ne vienne pas contredire le message. À quoi servirait-il de multiplier les budgets consacrés à l'intégration des immigrants s'il est démontré qu'on peut obtenir des postes du plus haut niveau sans qu'il soit nécessaire de parler français?
Le Mouvement Québec français a cependant raison: il est bien difficile d'exiger que la Caisse de dépôt ou a fortiori la Banque Nationale se conforment aux exigences de la francisation si le gouvernement du Québec persiste lui-même à entretenir le parc jurassique en communiquant avec les entreprises en anglais.


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