Une comédie des ombres

Le mystère Coventree

Que diable la Caisse faisait-elle dans cette galère ?

Chronique de Richard Le Hir

Dans toute la saga des pertes phénoménales subies par la Caisse lors de la crise financière de 2008, il est une question qui ne cesse de s’imposer de plus en plus fort au fur et à mesure qu’on avance dans l’étude du dossier. Que faisait donc la CDP dans le capital de Coventree, étant allée, à une certaine époque, à détenir près de 30 % de ses actions ?
Il faut se rappeler que Coventree, c’est cette entreprise qui se spécialisait dans la mise en marché de papier commercial adossé à des actifs (PCAA). Pour les non-initiés, il s’agit d’instruments financiers à structure complexe qui étaient à l’origine conçus pour répartir le risque inhérent à certains placements, mais qui, dans le contexte de la surchauffe du marché immobilier américain rendu possible par une politique de crédit trop laxiste de la Federal Reserve Bank des États-Unis dans les années 1998 à 2008, ont eu exactement l’effet contraire et ont plutôt propagé à toute l’économie mondiale l’éclatement de la bulle spéculative.
Coventree, c’était une toute petite entreprise sans passé autre que celui de ses dirigeants, sans historique de résultats, et c’est exactement le genre d’entreprise à laquelle on n’aurait jamais pu penser qu’une grande institution comme la Caisse de dépôt ait pu être associée, d’abord comme investisseur, et ensuite comme client, allant même jusqu’à acheter auprès d’elle pour 12,8 milliards $ de PCAA non bancaire, soit la forme la plus risquée de ce genre d’instrument, alors que Standard & Poor et Moody, ces deux agences de notation dont on sait maintenant qu’elles n’ont pas été toujours très regardantes, avaient refuser de noter ces produits, laissant l’agence canadienne DBRS seule à le faire.
Ce seul fait aurait dû inciter la CDP à se tenir loin de Coventree . À ce sujet, la Caisse, d’abord par la voix de son dirigeant précédent, Henri-Paul Rousseau, puis par la voix de son nouveau dirigeant, Michael Sabia, refuse de répondre, avec la bénédiction du gouvernement libéral actuel. Pourtant, Coventree est sous enquête de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, En effet, le 13 mai dernier, Radio-canada diffusait l’information suivante :
« Au moment où plusieurs institutions financières sont la cible d’enquêtes aux États-Unis, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) s’intéresse au rôle de l’entreprise Coventree dans la débâcle des papiers commerciaux au Canada en 2007. » « La CVMO a entrepris mercredi une série d’audiences de quatre jours afin de déterminer si l’émetteur canadien de titres financiers aurait induit des investisseurs en erreur au sujet du papier commercial adossé à des actifs.
Au moment de l’effondrement de ce marché en 2007, Coventree avait émis la moitié des 35 milliards de dollars de papier commercial en circulation au pays. »
Les documents officiels présentés par la CVMO au début de ces audiences précisent que l’enquête cible surtout l’ancien chef de la direction de Coventree, Dean Tai, et l’ancien président Geoffrey Cornish.
La commission des valeurs mobilières de l’Ontario tente de déterminer s’ils ont menti aux investisseurs quant à la nature des titres financiers qu’ils achetaient. Ces papiers commerciaux auraient peut-être contenu une plus grande part de créances immobilières américaines risquées que ce qui était présenté aux investisseurs.
S’ils sont reconnus coupables de ces méfaits, les patrons de Coventree, de même que l’entreprise, s’exposent à des amendes de plusieurs millions de dollars.
Cette possibilité inquiète les investisseurs, qui attendent l’assemblée annuelle de Coventree en juin pour toucher les 80 millions de dollars promis par l’entreprise pour indemniser ses actionnaires. Une pénalité imposée par la CVMO pourrait réduire les sommes à recevoir.
En décembre dernier, les grandes banques canadiennes se sont entendues pour payer des amendes totalisant 139 millions de dollars pour leur rôle dans l’effondrement du marché des papiers commerciaux. »

http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Economie/2010/05/13/009-coventree-cvmo.shtml
En commission parlementaire la semaine dernière, interrogé par un député à savoir si la Caisse avait délégué un représentant aux audiences de la CVMO dans l’affaire Coventree, Michael Sabia a répondu par la négative et déclaré qu’il s’agissait d’une affaire du passé. On comprend son empressement à vouloir oublier – ou faudrait-il plutôt dire nous faire oublier - un passé si peu reluisant, mais il reste que les Québécois, vu ce que cette affaire leur a coûté, auraient bien droit à quelques réponses, ne serait-ce que pour savoir s’ils peuvent encore faire confiance à la Caisse et à ses dirigeants, et leur confier leur sécurité financière pour l’avenir.
Plus on creuse ce dossier, plus on retrouve des signes de très graves dysfonctionnements à la Caisse, et plus celle-ci et le gouvernement s’obstinent à refuser de donner les explications qui s’imposent dans les circonstances, plus on acquière la conviction que des intérêts particuliers ont pris le dessus sur les intérêts collectifs des Québécois.
Au rythme où se multiplient les dossiers d’embrouilles, le gouvernement qui remplacera éventuellement le gouvernement Charest devra se consacrer exclusivement à la tenue d’enquêtes sur les malversations de son prédécesseur.
Au moment où j’envoie ce texte à Vigile, la nouvelle suivante tombe sur le fil de la Presse canadienne : « Le premier vice-président de la Caisse quitte son poste - La Caisse de dépôt et placement du Québec a annoncé lundi le départ de son premier vice-président et chef de la direction financière, Ghyslain Parent.
Le gestionnaire de fonds institutionnel compte nommer bientôt un remplaçant à ce poste, mais entre-temps, le président et chef de la direction, Michael Sabia, assumera les fonctions de M. Parent par intérim. » Et après ça on viendra nous dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes à la Caisse de dépôt.
Richard Le Hir


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3 commentaires

  • Pierre Schneider Répondre

    2 juin 2010

    Merci de nous rappeler le rôle troublant de Coventree, dont les manipulations ont été documentées et dénoncées avec moultes détails par Me Pierre Cloutier.
    Il serait temps que l'ensemble de la population québécoise soit informée sur ce qui s'est vraiment passé en cette périodes de transactions douteuses qui ont enrichi impunément quelques intouchables patentés pendant que notre bas de laine était grignoté par des rats cravatés.

  • Archives de Vigile Répondre

    1 juin 2010

    Merci beaucoup Monsieur Le Hir de nous tenir au courant. Pour répondre à votre commentaire Monsieur Thomas, avec tous les risques présents, je ne sais pas ce qu'on attend pour exiger que nos prélèvements pour nos fonds privés et pour la régie des rentes soient investis dans un fond à part d'investissements propres dans tous les sens du terme. On doit exiger qu'une ligne soit tracée dans le temps pour réduire les risques jusqu'à ce que toute la lumière soit faite. Quand le navire coûle, il faut sortir les chaloupes !

  • Archives de Vigile Répondre

    1 juin 2010

    Alors les banques nous volent et doivent 139 millions de dollars de pénalités au trésor publiques...et en échanges ont les asperges de 200 milliards de dollars pour qu'elle continuent à fonctionner.WOW
    Qu'en pensez-vous cher/ère lecteurs/trices.