Le mur de la peur

De la peur? Pourquoi pas simplement le "mur du refus"?



Jean-Pierre Blackburn a avalé son café de travers, hier matin, quand il a vu notre sondage le plaçant deuxième dans Jonquière-Alma, 10 points derrière le Bloc québécois.
«Une nouvelle comme ça, c'est tout un choc, a-t-il admis lors d'un entretien téléphonique. Ce n'est pas ça que je sens sur le terrain, mais c'est sûr que je suis dans une région très nationaliste. Je vais travailler, je ne tiens rien pour acquis.»
Le ministre de Développement économique Canada pour le Québec ne veut pas croire les chiffres, mais il ne prendra toutefois pas de risque d'ici le 14 octobre.
«Le national voulait m'envoyer un peu partout en région, mais c'est fini, je les ai appelés ce matin pour leur dire que je reste ici pour le reste de la campagne. Ce n'est pas vrai que je vais perdre Jonquière-Alma comme ça, j'ai amené 247 millions$ dans ma région en deux ans, ce n'est pas le Bloc qui pourrait faire ça.»
Dire que l'on sentait comme un souffle d'inquiétude dans la voix de Jean-Pierre Blackburn relèverait de l'euphémisme.
Comme ses collègues de partout au Québec, M. Blackburn vient de constater douloureusement qu'un mur de la peur sépare toujours son parti des électeurs québécois.
Même chose pour Michael Fortier, le ministre non élu du gouvernement Harper responsable de la région de Montréal. Malgré deux ans de campagne dans Vaudreuil-Soulanges, malgré l'ouverture d'un bureau, malgré les annonces d'investissements, M. Fortier traîne toujours loin derrière le Bloc québécois.
Les conservateurs savaient que cette circonscription était loin d'être gagnée, mais ils refusent de croire qu'ils sont si loin derrière.
Les affaires de M. Harper ne vont guère mieux dans Rivière-des-Mille-Îles, où le candidat «vedette», le maire de Saint-Eustache, Claude Carignan, accuse lui aussi un retard de 10 points sur Luc Desnoyers du Bloc.
Sans surprise, les conservateurs tiennent toujours des rôles de figurants dans Marc-Aurèle-Fortin (la circonscription du bloquiste Serge Ménard, à Laval), Outremont, Papineau, Jeanne-Le Ber. Bref Montréal et sa région immédiate restent imprenables pour les conservateurs.
Plus blessant encore pour les conservateurs, qui ont lancé une grande campagne publicitaire dénonçant le faible rapport coût-bénéfice du Bloc: le taux de satisfaction des électeurs envers les députés souverainistes. Dans toutes les circonscriptions sondées, les électeurs accordent de très honorables notes à leur député bloquiste sortant.
Contrairement aux conservateurs, les électeurs ne pensent que les députés du Bloc coûtent très cher pour rien.
Ébranlés par une vague de mauvais sondages au Québec, les conservateurs joints depuis deux jours admettent que les politiques de leur parti en culture et en justice leur ont fait mal. En fait, pas tant leurs politiques, que la façon dont elles ont été lancées.
Réflexe normal dans les circonstances: les conservateurs accusent leurs détracteurs et le Bloc québécois de sombrer dans la démagogie pour diaboliser Stephen Harper.
«En ce qui concerne les jeunes contrevenants, explique Jean-Pierre Blackburn, les gens n'ont pas compris les nuances et le Bloc, évidemment, fait de la démagogie. Gilles Duceppe continue de dire que l'on veut envoyer des enfants de 14 ans en prison, alors qu'au Québec, il sait très bien que l'âge minimum est de 16 ans et que cette disposition existe déjà, à la discrétion du juge.»
Il est vrai que Gilles Duceppe en met beaucoup ces jours-ci, vraisemblablement requinqué par les sondages positifs. Au risque, lui aussi, d'en mettre trop. Hier, il a étiré l'élastique en affirmant que Stephen Harper veut recriminaliser l'avortement (ce qui est faux). M. Duceppe devra se méfier, un dérapage est si vite arrivé.
Autre épine au pied des conservateurs au Québec: les compressions en culture. La frustration des bleus démontre bien que le mouvement de protestation a fait mouche.
«On ne peut pas donner tout à tout le monde, cet argent vient de vos poches! lance M. Blackburn. Le soir des Gémeaux, je n'ai entendu personne plaindre les gens des régions qui perdent leur job en foresterie. Ce n'est pas juste perdre son billet d'avion pour aller en Europe, ces gens-là perdent leur job!»
Déçus, mais pas abattus, les conservateurs tentaient hier de garder le moral. «Il reste deux semaines de campagne et un débat en français, dit un proche de Stephen Harper. Les gens vont comprendre que, quoi qu'il advienne, on prendra le pouvoir. Minoritaire ou majoritaire, on prend le pouvoir, reste à savoir s'ils veulent avoir des députés au pouvoir ou dans l'opposition.»
Les conservateurs du Québec peuvent accuser leurs adversaires bloquistes de démagogie. Ou s'en prendre aux médias, ce dont ils ne se privent pas.
Cela ne changera pas le fait que leur chef mène une mauvaise campagne, sans inspiration ni plan précis, et qu'il a lui-même réveillé les craintes des Québécois.
Difficile de croire que Stephen Harper ait gaffé involontairement, sans savoir qu'il jouait avec le feu en parlant de culture et de répression des jeunes criminels. Bien sûr, il voulait mobiliser la base conservatrice québécoise, fragmenter le vote, comme disent les spécialistes du marketing politique. Mais à force de trop insister, son message s'est retourné contre lui.
De deux choses l'une: ou bien M. Harper n'a pas vu venir le boomerang, ce qui démontre qu'il connaît mal le Québec; ou bien il a agi sciemment, faisant le pari que ses politiques seraient rentables en Ontario.
À vous de juger, mais une chose est sûre: un gouvernement majoritaire avec un caucus québécois faiblard et peu populeux, c'est le rêve de tout premier ministre canadien.


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