Multiculturalisme

Le multiculturalisme et sa haine de toute identité nationale détruit la Grande-Bretagne

Traduction par Annie Lessard, Marc Lebuis

Le Génie québécois : turbulences annoncées


Dans 20 ans, entre un quart et un tiers de la population britannique sera née à l’étranger, et au moins un cinquième de la population de souche aura émigré. La population est en cours de remplacement accéléré. L’anxiété liée à ces changements démographiques sans précédent ne peut être exprimée ouvertement (c’est du « lepénisme »). Les intellectuels multiculturalistes de l’école « haine de soi » se félicitent de la destruction de l’identité nationale. Les immigrants n’ont aucun sentiment d’allégeance à leur pays d’adoption. - Theodore Dalrymple
L’analyse de Theodore Dalrymple rejoint à maints égards celle du torontois Salim Mansur pour qui « le multiculturalisme est devenu une voie à sens unique où l’Occident fait des concessions et les non-Occidentaux, des demandes. C’est intenable. L’Occident est maintenant exposé au paradoxe de la perte d’identité culturelle autogénérée qui est un affaiblissement politique dans un village planétaire. La tâche qui nous attend est de guérir de l’illusion multiculturelle en réaffirmant une fois de plus les valeurs qui ont rendu l’Occident fort et attrayant pour le reste du monde ».
L’analyse de Dalrymple est particulièrement pertinente dans le contexte des discussions autour du rapport de la commission Bouchard-Taylor. Comme le souligne le jeune doctorant en sociologie Mathieu Bock-Côté, « le rapport de la commission Bouchard-Taylor repose ainsi sur le postulat que l’affirmation de la culture nationale majoritaire, celle du Québec historique, serait une affirmation illégitime et antidémocratique. Mais doit-on vraiment le rappeler, il n’y a pourtant rien d’antidémocratique à placer au centre d’une société sa culture fondatrice. La culture nationale ne doit pas consentir à sa liquidation. La société québécoise est traversée par une histoire qu’elle devrait tout simplement assumer sans complexe. Ce rapport, loin de résoudre les problèmes actuels du Québec sur le plan identitaire, ne contribue qu’à les amplifier en disqualifiant les préoccupations populaires et en s’acharnant dans la sacralisation d’une idéologie multiculturelle basculant silencieusement vers une forme faussement vertueuse d’autoritarisme ». (Source : [Un texte très inquiétant->13709], par Mathieu Bock-Côté, La Presse, le 29 mai 2008)
Theodore Dalrymple est le nom de plume de Anthony Daniels. Psychiatre, il a pratiqué la médecine au Zimbabwe et en Tanzanie avant de retourner en Grande-Bretagne, son pays de naissance, où il a exercé comme médecin dans des prisons. Il est maintenant l’un des rédacteurs en chef de City Journal, et Fellow de l’Institut Dietrich Weismann de Manhattan.
[Traduction de : A Confusion of Tongues, par Theodore Dalrymple, City Journal, Spring 2008, vol. 18, no. 2->13699]
Agissant récemment comme témoin expert dans un procès pour meurtre, j’ai pris conscience d’un petit problème juridique causé par la nature de plus en plus multiculturelle de notre société. Selon le droit anglais, un homme est coupable de meurtre s’il tue quelqu’un avec l’intention de tuer ou de blesser gravement. Mais il se rend coupable du crime moins grave d’homicide involontaire coupable s’il a été suffisamment provoqué ou si son état d’esprit à l’époque était suffisamment anormal pour réduire sa responsabilité.
Le critère juridique consiste en une comparaison avec le soi-disant homme ordinaire - l’homme du Clapham omnibus, selon le cliché juridique. Est-ce que cet « homme ordinaire » se sentirait provoqué dans des circonstances similaires ? Est-ce que l’état d’esprit de l’accusé au moment du meurtre était très différent de celui d’un homme moyen ?
Mais qui est cet homme ordinaire de nos jours, maintenant qu’il pourrait provenir d’une centaine de pays ? L’accusé dans le présent cas était un sikh né à l’étranger qui avait épousé, et tué, une femme de la même minorité, née au pays. La défense a fait valoir - sans succès – qu’un homme ordinaire partageant la culture traditionnelle du défendeur aurait trouvé les infidélités répétées de la femme particulièrement blessantes et aurait donc agi de la même manière.
Pour l’instant, les tribunaux ont rejeté cette argumentation. L’affaire a toutefois eu lieu, par hasard, durant la semaine où l’archevêque de Canterbury, Rowan Williams, a suggéré que l’intégration d’une partie de la charia dans le droit britannique « semble inévitable », et que les gens dans une société multiculturelle comme la Grande-Bretagne devraient être en mesure de choisir le régime juridique auquel ils veulent être assujettis.
Contrairement à ces points de vue, c’était encourageant de voir dans le jury un homme d’un autre groupe minoritaire traditionnellement hostile à celui de l’accusé. Le droit de refuser un candidat juré sans fournir de raison, qui autrefois aurait disqualifié cet homme, a été réduit ces dernières années en raison d’une pénurie de jurés. C’est tout aussi bien, étant donné que le droit de refuser un candidat juré sape la justification même du système de jury, à savoir que les hommes ordinaires, quels que soient leurs antécédents, peuvent suspendre leurs préjugés et juger leurs pairs sur la seule base de la preuve présentée.
Perte de tout caractère distinctif de la Grande-Bretagne
Les problèmes d’interprétation des lois ne sont pas les seuls - ni même le plus important - qui se posent dans une société de plus en plus diversifiée. Un sentiment de malaise est très répandu, même parmi les immigrants de longue date, du fait que la Grande-Bretagne a perdu son caractère distinctif : ou plutôt, la perte de tout caractère distinctif est aujourd’hui son caractère le plus distinctif.
Le pays que ces immigrants ont choisi n’existe plus. Il a changé au-delà de toute reconnaissance, bien au-delà et plus radicalement que les changements inévitables qui ont accompagné l’existence humaine depuis l’aube de la civilisation. Un sentiment de continuité a été perdu, ce qui est déconcertant dans un pays avec une constitution non écrite fondée sur la continuité.
Londres est maintenant la ville la plus ethniquement diversifiée du monde –plus que New York, selon les rapports de l’ONU. Et il ne s’agit pas seulement de la présence de quelques personnes de toutes les races et nations, ou de la fructification de l’effet culturel des étrangers (une culture fermée sur l’extérieur est morte, mais ce n’est peut-être pas la seule manière de tuer une culture).
Déambulez dans certaines rues de Londres et vous rencontrerez une tour de Babel des langues. Si une personne aveugle n’avait que la parole des passants comme point de repère, elle serait perdue, même si l’absence même d’une langue prédominante pourrait lui donner un indice. (Cette promiscuité ne veut pas dire qu’il n’y a pas aussi des ghettos monoculturels d’étrangers en Grande-Bretagne).
Une population en cours de remplacement accéléré
Un tiers des résidents de Londres est né en dehors de la Grande-Bretagne, un pourcentage plus élevé que dans toute autre ville au monde à l’exception de Miami, et le pourcentage continue d’augmenter. De même, les chiffres sur les migrations pour l’ensemble du pays - émigration et immigration - donnent à penser que sa population est en cours de remplacement accéléré. Beaucoup des nouveaux arrivants proviennent du Pakistan, de l’Inde et de l’Afrique, d’autres viennent d’Europe de l’Est et de la Chine.
Si les tendances actuelles se maintiennent, les experts prévoient que dans 20 ans, entre un quart et un tiers de la population britannique sera née à l’étranger, et au moins un cinquième de la population de souche aura émigré. La Grande-Bretagne a toujours eu des immigrants - des Huguenots français après la révocation de l’Edit de Nantes aux Allemands qui ont fui la répression Prusse, des Juifs fuyant l’oppression tsariste aux Italiens faits prisonniers de guerre qui sont restés après la Seconde Guerre mondiale - et elle les a absorbés. Mais jamais en aussi grand nombre, ou si rapidement.
Le peuple veut une réduction dramatique de l’immigration
Concernant l’anxiété liée à ces changements démographiques sans précédent - une grande majorité du public, lorsqu’on lui pose la question, dit qu’il veut une réduction dramatique de l’immigration - on peut ajouter une réticence à s’exprimer ouvertement. Cette réticence est induite par les intellectuels de l’école « haine de soi » qui se félicitent de la destruction de l’identité nationale et qui soutiennent – en partie à juste titre - que l’identité de chaque personne est multiple, que cette identité peut et doit évoluer au fil du temps et qu’un accent trop fort sur l’identité nationale par le passé a conduit à la barbarie.
Ils ont insinué un sentiment de culpabilité dans l’esprit de tous, de sorte que le simple fait de mettre en doute la sagesse ou la viabilité d’une société composée d’une myriade de groupes ethniques et religieux sans sympathie mutuelle (et souvent mutuellement antagonistes) est soupçonné d’entraîner un glissement vers l’extrême nationalisme ou le fascisme. Le fait de douter de la sagesse ou de la viabilité d’une société dans laquelle chacun se sent lui-même partie d’une minorité opprimée vous place dans la même catégorie que Jean-Marie Le Pen, ou pire.
Cette anxiété inhibe la discussion de la question culturelle. Compte tenu de l’Europe du XXe siècle, cette inhibition est compréhensible. L’une de ses conséquences, toutefois, est que peu d’efforts ont été déployés pour mettre en cause l’attachement qu’ont les immigrants en Grande-Bretagne pour les traditions et les institutions de leur nouvelle patrie.
Outre cette réticence que les intellectuels ont réussi à m’inculquer, j’admets éprouver une certaine ambivalence au sujet de la diversité sans précédent de la société britannique. Il est vrai que l’on ressent une certaine exaltation de voir des personnes de tant d’origines différentes vaquer à leurs affaires dans une paix apparente.
Vous trouvez des magasins spécialisés en produits polonais. Des jeunes femmes en costumes somaliens parlent l’anglais avec des accents régionaux prononcés. La musique populaire de nombreuses régions du monde - beaucoup moins horrible que son équivalent américain ou britannique - émerge de boutiques vendant des produits exotiques. Ce mélange pacifique confirme que notre société est en effet ouverte, souple et tolérante. Quels que soient les autres effets de l’afflux de personnes de tous les coins du monde, il a considérablement amélioré la qualité des aliments disponibles en Grande-Bretagne.
En outre, l’histoire de ma famille empêche une dénonciation trop radicale de l’immigration. Je suis le fils et le petit-fils de réfugiés qui ont connu exactement les mêmes arguments contre l’immigration que ceux d’aujourd’hui, et il serait inconvenant que je refuse maintenant à autrui les immenses avantages dont j’ai joui. En tout état de cause, il est clairement possible, et même commun, pour les immigrants et leurs descendants de devenir profondément attachés à la culture et aux institutions du pays qui les a protégés contre un sort terrible.
Quand je regarde mon propre cercle social, je découvre une étonnante variété d’origines (bien que les Américains ne trouveraient sans doute pas cela étonnant). Récemment, ma femme et moi avons reçu une invitation à un déjeuner. J’ai déjà mentionné mes propres origines. Les grands-parents paternels de mon épouse étaient des Grecs de Smyrne qui ont eu la chance d’avoir trouvé refuge en France alors que la population grecque de la ville a été soit tuée ou a dû partir en raison de la guerre entre la Grèce et la Turquie en 1920.
Notre hôte était un médecin sikh qui était en service dans un hôpital de Delhi lorsque le corps d’Indira Gandhi a été amené après qu’elle ait été assassinée par son garde du corps sikh. Le médecin a dû fuir le pays pour se protéger de foules en furie assassinant des sikhs. Sa femme était une Chypriote grecque qui, durant son enfance, a fui l’invasion turque au cours de laquelle ses parents ont tout perdu avant de venir en Angleterre.
Ainsi nous tous, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de proches parents, connaissions les horreurs auxquelles peuvent mener un attachement trop exclusif à la nationalité ou à l’identité religieuse. Et aucun d’entre nous n’avait de doutes sur le mal consistant à déshumaniser ceux qui ne partagent pas votre identité nationale, culturelle ou religieuse.
Loyauté et sens de l’identité
Mais nous n’avons pas conclu qu’il était alors préférable de n’avoir aucune identité nationale, religieuse ou culturelle. Les institutions qui permettent de vivre dans la paix, la liberté et la sécurité exigent la loyauté (pas nécessairement aveugle), et la loyauté exige en retour un sens de l’identité. Dans un monde où la souveraineté doit exister, l’identification avec cette souveraineté est également nécessaire. Une identité nationale trop rigide a ses dangers, mais il en va de même d’une identité trop faible. La première entraîne l’agression d’autrui et son dénigrement. La deuxième entraîne la désintégration de la société de l’intérieur, ce qui peut provoquer des tentatives autoritaires pour y remédier.
L’amour de mon pays n’a jamais impliqué pour moi une méconnaissance de ses insuffisances ou une haine des autres nations. J’ai vécu heureux à l’étranger une bonne partie de ma vie et j’ai vu des vertus dans chacun des pays où j’ai vécu, certaines absentes de mon propre pays. Je me sens beaucoup plus à l’aise avec des étrangers cultivés qu’avec beaucoup de natifs du pays de ma naissance. Ces étrangers ont généralement une bien meilleure appréciation de ce qu’il y a de meilleur dans la culture britannique que de nombreux britanniques de souche. Si vous voulez entendre un très bel anglais parlé ces jours-ci, recherchez des Indiens ou des Africains instruits.
Mais personne ne peut nier, si l’on est honnête (et cela est vrai de tous les pays d’Europe occidentale), que plusieurs immigrants parmi cet afflux sans précédent, souvent peu instruits, ont peu d’intérêt ou d’appréciation pour la société où ils sont venus. Plusieurs n’apprennent pas à parler l’anglais ou le parlent mal, et les mariages forcés et autres pratiques étrangères à la loi et aux coutumes britanniques demeurent fréquents. Un rapport du gouvernement constatait il y a plusieurs années que les blancs et les minorités ethniques de Grande-Bretagne menaient des vies radicalement séparées, sans aucun sentiment de nationalité partagée.
Des jeunes qui n’ont aucune allégeance au pays
Et comme c’est maintenant bien connu, un nombre inquiétant de musulmans britanniques se sont révélés sensibles à l’idéologie islamiste. Une récente enquête a révélé que 40% des musulmans britanniques de moins de 24 ans voulaient vivre sous la charia et que 36% appuient la peine de mort pour apostasie. De manière significative, les chiffres pour les musulmans plus âgés sont considérablement plus faibles. Un autre sondage a révélé qu’un cinquième de tous les musulmans britanniques avaient de la sympathie pour « les sentiments et les motivations » des kamikazes de Londres. Seulement un tiers des musulmans britanniques, selon ce qu’a révélé une enquête du Guardian, veulent une plus grande intégration dans la culture britannique.
La doctrine du multiculturalisme a émergé, au moins aux Pays-Bas, comme une réponse à l’afflux d’immigration qu’on croyait initialement être temporaire. Le but initial du multiculturalisme était de préserver la culture des « travailleurs invités » de sorte que lorsqu’ils retourneraient chez eux après avoir complété leur contrat de travail, ils ne se sentiraient pas disloqués par leur séjour à l’étranger. La doctrine est devenue une Shibboleth de la gauche - un outil efficace de démantèlement culturel - seulement après que le regroupement familial pour des motifs humanitaires soit devenu une politique normale dans les années 1960 et que les travailleurs se soient transformés en résidents permanents.
Vivant dans deux pays, la France et la Grande-Bretagne, j’ai trouvé intéressant de comparer la façon dont chacun a accueilli (si tel est le mot que je cherche) ces immigrants. Chacun a fait des choses bonnes et mauvaises, mais la situation française, avec les violences urbaines qui ont éclaté en 2005 chez la « jeunesse » musulmane, est plus facile à redresser, du moins en théorie.
Grande-Bretagne et France : une comparaison
La France a peut-être la tâche la plus facile, parce que c’est un État idéologique, ou au moins philosophique, tandis que la Grande-Bretagne est un État organique. L’Etat français, contrairement à l’ancien pays qu’il gouverne, est une État nouveau, un État qui est né de nouveau. Il a un mythe fondateur, celui de la Révolution française, qui a inauguré l’ère de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Il importe peu de savoir si la France a jamais atteint l’un de ces desiderata dans la pratique (quel idéal politique a jamais été atteint, au moins sans équivoque ?), ou que la prise de la Bastille a été en réalité plus sordide que glorieuse. Les termes « égalité républicaine » et « élitisme républicain » (le 2e étant l’atteinte d’un statut par le biais de l’effort et du talent, un prolongement du 1er), signifient quelque chose dans les faits, et ils exercent une attraction magnétique sur presque chaque esprit avec lequel ils entrent en contact.
Et l’exaltation de ce mythe, qui suppose que Liberté, Egalité et Fraternité sont le droit de naissance de chaque homme et que la France est un phare dont la lumière de la raison éclaire le monde, signifie que (en théorie) toute personne qui fait de la France sa patrie devient un Français tout court - pas un Arménien-Français ou un Malien-Français, mais seulement un Français.
Ce mythe a en fait guidé la politique culturelle française. Que la France, à la suite de la Révolution, ait longtemps été un Etat laïc de droit, plutôt que simplement de facto comme l’est la Grande-Bretagne (où la tolérance religieuse est issue de la coutume et non de la loi), lui a permis d’interdire le foulard islamique dans les écoles publiques sans encourir l’opprobre des bigots antimusulmans. L’interdiction est simplement en accord avec la philosophie fondatrice laïque de l’État. Un multiculturalisme qui, en fait, n’est pas compatible avec le mythe fondateur des Lumières. L’objectif est l’assimilation et non l’intégration. Tout le monde apprend la même histoire en France, et « nos ancêtres les gaulois » en viennent à exprimer non pas une vérité biologique mais une vérité culturelle facile à comprendre.
Absence de mythe fondateur en Grande-Bretagne
La situation de la Grande-Bretagne est très différente. Ce n’est pas un État idéologique. Il n’a pas de mythe fondateur auquel on peut facilement s’identifier. La Bataille de Hastings est trop ancienne et éloignée psychologiquement pour avoir une résonance aujourd’hui. La Révolution Glorieuse de 1688 a été une affaire trop tempérée, pas franchement sanglante ou assez héroïque. En ce qui concerne la guerre civile anglaise, son sens moral est trop équivoque. Comme WC Sellars et RJ Yeatman l’ont écrit dans 1066 and All That, les Roundheads avaient raison mais ils étaient répugnants, tandis que les Cavaliers avaient tort mais ils étaient romantiques.
L’Etat français a commencé avec un big-bang philosophique. L’État britannique a évolué. L’Etat français prescrivait, l’État britannique n’interdisait pas. Les traditions de l’État britannique étaient donc beaucoup plus favorables au multiculturalisme, ayant toujours permis aux gens de former des associations pour leurs propres fins librement choisies. Ce manque de direction centrale a bien servi la société alors que les différences entre les groupes étaient relativement mineures et que le nombre d’immigrants était réduit. À partir du moment où il y a eu tellement de groupes différents qui n’ont rien en commun - chacun avec un nombre suffisant pour former un ghetto - et pire encore, certains d’entre eux étant activement hostiles à l’ordre prédominant de la société britannique – l’approche du laissez-faire était alors destinée à rencontrer des difficultés. Il est difficile de s’opposer à une idéologie par une tradition.
Même en l’absence de doctrinalisme multiculturel, il n’aurait pas été facile d’expliquer les avantages et les fondements philosophiques de l’État Burkean non idéologique aux paysans nouvellement arrivés, disons, du Pendjab pakistanais et du Bangladesh. Les avantages et les fondements sont comme les règles du cricket : on peut les apprendre avec application et dévouement, mais il est beaucoup plus facile de les assumer comme partie de votre cadre mental et de votre patrimoine culturel, d’être né dedans. Que pourriez-vous donner à lire aux immigrants pour leur expliquer la tradition politique britannique ? Les Réflexions sur la Révolution en France, peut-être, ou Rationalism in Politics, de Michael Oakeshott ? Liberté, Egalité et Fraternité est un slogan, et c’est beaucoup plus facile à enseigner et à apprendre.
L’industrie de l’antiracisme
Ce qui aggrave la situation en Grande-Bretagne, c’est que le multiculturalisme est devenu une opportunité de carrière et une source de clientélisme politique. Des soi-disant experts sur la sensibilité culturelle et l’égalité des chances - en général des personnes dont les ambitions dépassent de loin leur talent, sauf dans les intrigues bureaucratiques – se bâtissent de petits empires dont l’existence dépend de la permanence de la discrimination raciale et d’autres divisions dans la société.
L’hôpital où j’ai déjà travaillé a envoyé récemment un questionnaire à son personnel, leur demandant de fournir les renseignements sur leur race (17 catégories), leur orientation sexuelle (6 catégories), leur statut matrimonial (6 catégories), et leur religion (7 catégories), de sorte que la discrimination basée sur l’une quelconque des 4284 catégories possibles en résultant puisse être éliminée. Il est clair qu’il n’y aura jamais de fin au travail des bureaucrates de l’égalité des chances.
Il n’est peut-être pas si surprenant, alors, que les immigrants musulmans français soient mieux intégrés culturellement que les britanniques. Une recherche du Pew Center montre que six fois plus de musulmans en France qu’en Grande-Bretagne considèrent leur identité nationale plus importante que leur identité religieuse (42% contre 7%). (Cette différence pourrait ne pas résulter uniquement de la politique culturelle, car les musulmans d’Afrique du Nord, d’où arrivent la plupart des immigrés musulmans français, sont beaucoup plus enclins à croire que l’islam est compatible avec la citoyenneté occidentale).
Les musulmans en France se distinguent beaucoup moins du reste de la population par leur façon de s’habiller que c’est le cas pour leurs homologues en Grande-Bretagne. Dans les zones musulmanes en France, vous pouvez remarquer quelque chose de différent chez les personnes, mais vous ne pensez pas, comme on le fait de plus en plus en Grande-Bretagne, que la population de la Frontière Nord-Ouest (Pakistan) a émigré massivement. Et cette plus grande assimilation culturelle se vérifie en dépit du fait que les zones musulmanes en France, contrairement à celles de Grande-Bretagne, sont aussi physiquement séparées de plusieurs villes et cités que l’étaient les quartiers noirs dans les villes blanches de l’Afrique du Sud.
Contexte proprice à l’entreprenariat
Il y a une autre différence majeure entre les secteurs musulmans de France et de Grande-Bretagne, cette fois cependant à l’avantage de la Grande-Bretagne. La relative facilité de démarrage d’une entreprise en Grande-Bretagne par comparaison avec la France fortement réglementée signifie que les petites entreprises dominent les quartiers musulmans de Grande-Bretagne, alors que tel n’est pas le cas dans les banlieues de France - à moins de compter le trafic de drogues comme une entreprise. (C’est l’une des raisons pour lesquelles Londres est désormais la septième plus grande ville francophone au monde. De nombreux jeunes Français ambitieux, musulmans inclus, s’y installent pour fonder des entreprises). Et comme bon nombre des entreprises dans les zones musulmanes de Grande-Bretagne sont des restaurants préférés par des clients non-musulmans, l’isolement des musulmans de la population générale n’est pas aussi grand qu’en France.
L’idéologie, et non la marginalisation, explique le terrorisme
Toutefois, l’augmentation des contacts entre les personnes n’amène pas nécessairement une augmentation de la sympathie mutuelle. Une grande partie des musulmans terroristes arrêtés en Grande-Bretagne sont des enfants d’hommes d’affaires ayant de petites entreprises prospères, qui ont été à l’université et dont les perspectives d’avenir auraient été bonnes s’ils avaient choisi de suivre une carrière normale. La dislocation culturelle, la volonté de propager une idéologie de haine qui semble répondre à leurs besoins personnels d’une identité définie qui met fin à la confusion culturelle, et un revenu - c’est cela, et non la pauvreté – qui explique le terrorisme.
En France, les enfants des immigrants musulmans ne sont pas aussi éloignés de la culture dominante que ceux de Grande-Bretagne. Mais la rigidité du marché du travail en France se traduit par un chômage de longue durée qui les rend amers. En Grande-Bretagne, en revanche, la relative réussite économique n’a pas conduit à l’intégration culturelle. Vous avez donc des émeutes en France et du terrorisme en Grande-Bretagne.
La solution
La solution (pour laquelle il pourrait maintenant être trop tard, malgré les génuflexions consécutives aux attentats de Londres de la part de l’ancien Premier Ministre Tony Blair, puis du chancelier de l’Échiquier Gordon Brown, devant les valeurs nationales qu’ils avaient précédemment tout fait pour saper) serait une combinaison de robustesse culturelle à la française et de la flexibilité économique britannique : en fait, quelque chose comme l’idéal américain du melting pot reposait (et, dans une certaine mesure, repose encore) sur une idée claire de ce que signifie être Américain, combinée avec l’ouverture économique.
La notion britannique que des opportunités économiques sans une culture commune se traduira par une société en plein essor n’est que sifflement du vent, tandis que l’idée française qu’il suffit d’enseigner Liberté, Egalité et Fraternité tout en faisant obstacle aux possibilités réelles de promotion économique, c’est chercher des problèmes.
Conscient des sondages sur l’immigration, le gouvernement travailliste Brown vient de prendre des mesures timides mais raisonnables, mettant les aspirants citoyens britanniques en « probation » pour montrer qu’ils peuvent parler l’anglais, payer des impôts, et éviter la prison avant de leur accorder la citoyenneté. La Grande-Bretagne et la France, cependant, n’ont jamais été très bonnes à apprendre l’une de l’autre. La Manche pourrait aussi bien être un océan.
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samedi 31 mai 2008, par Annie Lessard, Marc Lebuis


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