Le monde a-t-il changé?

11 septembre 2001


«Le monde a changé.» «Un monde sans le 11-Septembre serait complètement différent aujourd'hui.» Voilà ce que nous répètent médias et spécialistes depuis quelques années, et plus particulièrement depuis quelques jours... Est-ce vrai?

Pour un certain nombre de détails -- y compris de détails importants -- le 11-Septembre a indéniablement modifié le cours des choses.
En politique intérieure américaine, la réélection du président aurait été plus difficile sans l'extraordinaire alibi des attentats, qui ont permis un ralliement patriotique savamment exploité.
On peut, sans trop risquer de se tromper, supputer que des proches de George Bush, dans la foulée immédiate de la tragédie, se soient exclamés de façon très perverse : « Hourra ! Voilà notre chance ! Nous allons pouvoir faire la peau à Saddam, et par la même occasion à nos adversaires démocrates !» En fait, on sait même, très précisément, que des experts de la Maison-Blanche ont reçu, dès le 12 ou le 13 septembre, l'instruction d'accumuler des preuves pour relier l'Irak aux attentats.
Sans la tragédie, l'invasion de l'Irak aurait été plus difficile à «vendre». Mais cet objectif mobilisait déjà des lobbies importants. Et aujourd'hui, alors que se voit définitivement confirmée la non-implication de Saddam Hussein avec al-Qaïda, Washington continue, comme si de rien n'était, de défendre le bien-fondé de l'invasion, sans égard aux excuses inventées que furent ce lien avec al-Qaïda, et les fameuses «armes de destruction massive».
Sans le 11-Septembre, il n'y aurait pas eu d'intervention militaire en Afghanistan... ce qui certes, vu d'Ottawa, change quelque peu le destin !

Mais est-ce qu'un monde sans 11-Septembre aurait, d'abord, été un monde sans attentats terroristes, y compris sur le territoire américain ? Pas forcément, et probablement pas... Il y avait peut-être fatalité d'un tel épisode au début du XXIe siècle. Et par exemple, le 11 mars 2004 à Madrid aurait sans doute eu lieu de toute manière.
Plus profondément, le 11-Septembre a-t-il changé les données fondamentales, par exemple, de l'affrontement israélo-arabe ? Ou des guerres en Afrique ? Ou du pouvoir russe ? Non. Quant au fossé d'incompréhension entre Occident et monde musulman, préexistait-il au 11-Septembre ? Oui. Est-il toujours là aujourd'hui ? Oui.
La montée en flèche de la Chine et le déclin concomitant des États-Unis auraient-ils été affectés sans le 11-Septembre ? On peut faire valoir que l'Irak aura eu comme effet d'affaiblir Washington sur la scène internationale... et donc d'accélérer marginalement une telle tendance. Mais pas de changer cette tendance.
***
«Théorie du complot» : une expression dont le sens a été passablement détourné au fil des ans. En entendant aujourd'hui cette expression devenue à 100 % péjorative, on ne veut comprendre que les affabulations qui voient, par exemple, quatre tireurs embusqués sur Dealey Plaza, le 22 novembre 1963, pour assassiner Kennedy. Ou encore, qui voient des bombes à l'intérieur du Pentagone, plutôt que le détournement du vol 77 d'American Airlines...
Pourtant, sur le 11-Septembre, il y a une «théorie du complot» qui est la bonne : car «complot» il y a forcément eu, pour mener à bien, avec une précision d'horloger, cette extraordinaire opération meurtrière à multiples volets simultanés...
Et ce complot, on le connaît dans ses grandes lignes, à défaut d'en savoir tous les détails. Mohammed Atta, Hamza Al-Ghamdi et les 17 autres auteurs du crime, existaient vraiment. Ils étaient vraiment à bord des avions. Leurs actions étaient manifestement préparées, mûries, concertées. À travers de nombreux méandres, ces hommes avaient transité par des circuits terroristes, entre Arabie saoudite et Afghanistan.
Al-Qaïda existait vraiment, et avait vraiment des bases dans ce dernier pays. Et non seulement le leader Oussama ben Laden, ainsi que ses acolytes, existaient vraiment eux aussi -- et pour la plupart, existent toujours -- mais ils ont explicitement revendiqué, à plusieurs reprises et encore tout récemment, leur responsabilité directe dans ces événements, et leur fierté d'avoir frappé les États-Unis au coeur.
Le complot est bien là, éclatant et limpide. Que veulent de plus les tenants obstinés des théories alternatives ?
C'est qu'à l'ère du soupçon, d'Internet et du mensonge d'État -- mensonge qui, indéniablement, existe parfois -- on refuse instinctivement les explications trop simples, surtout si elles viennent d'en haut. Et continuent donc de voler les folles théories, qui détournent des vraies questions...
Le vrai débat n'est pas sur l'explication «technique» du 11-Septembre, et sur les responsabilités immédiates dans les attentats, choses sur lesquelles nous voyons assez clair.
Le vrai débat, c'est sur l'explication profonde des causes de cette haine, de ce fossé toujours grandissant entre Occident et monde arabo-musulman. Et sur leurs conséquences, alors que les fractures qui préexistaient au 11-Septembre sont toujours là, menaçantes et accentuées.
Le 11-Septembre ? Un révélateur, un reflet, peut-être un accélérateur du siècle nouveau... Mais un changement de cap fondamental ? Non.
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.

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