Le modèle agricole québécois a fait l'objet de critiques multiples dès la première journée des audiences nationales de la Commission sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois (CAAAQ) qui ont débuté hier à Québec. Les reproches sont venus sans surprise de la part d'organismes comme l'Union paysanne et Solidarité rurale, mais les remarques les plus inattendues ont été celles du Barreau du Québec, lequel a fait valoir que le régime juridique spécifique à ces secteurs d'activité et prenant la forme de mesures d'exceptions entrait en contradiction avec certains des principes fondamentaux se rattachant au développement durable.
«Ce régime, tant sous l'angle juridique que sous l'angle économique, ne semble pas préparer l'agriculture québécoise adéquatement à faire face à la mondialisation accélérée des marchés. Ce régime semble réduire la capacité du monde agricole à se doter d'une nouvelle génération d'agriculteurs, à demeurer solidement compétitif dans un marché qui évolue de plus en plus rapidement tout en respectant les exigences nouvelles mais incontournables du développement durable», lit-on dans le mémoire déposé par le Barreau devant la CAAAQ.
En outre, après avoir souligné que l'Union des producteurs agricoles (UPA) joue un rôle important et essentiel dans le développement et la protection de l'Agriculture au Québec, le Barreau ajoute ceci: «Cependant, le monopole de représentation qui prévaut dans le monde agricole québécois, doit, à bon droit, être l'objet d'un sérieux questionnement.» En fait, le Barreau avance que les intérêts et le point de vue de l'UPA ne coïncident pas nécessairement avec ceux de tous les agriculteurs. Il affirme aussi que «le statut juridique privilégié de l'organisme tend à le placer au même niveau et sur un pied d'égalité avec des organismes publics dirigés par des personnes élues par la population et chargés d'appliquer la loi».
Le dernier coup de massue du Barreau sur le dos de l'UPA se lit comme suit: «Est-il encore souhaitable que l'ensemble du monde agricole québécois ne puisse parler que d'une seule voix? Est-il sage de forcer au maintien de ce monopole de représentation par voie législative? Un régime à interlocuteur unique permet-il vraiment l'épanouissement de toutes les forces créatrices et innovatrices dans le monde agricole et agroalimentaire québécois? Quels sont désormais les véritables pouvoirs d'une municipalité rurale en zone agricole? Ne s'y trouve-t-il pas un sérieux déficit juridique de la collectivité au bénéfice du désormais droit de produire des agriculteurs».
Jacques Proulx, l'ex-président de l'UPA et désormais président de Solidarité Rurale, qui avait pris la parole avant les représentants du Barreau, aurait sans doute été d'accord sur plusieurs aspects du point de vue exprimé par les hommes de loi, même un peu sur la question du zonage agricole dont il réclame le renforcement dans les zones intenses de production, tout en souhaitant aussi l'abolition de l'application «mur à mur» dans les régions éloignées. Toutefois, il reproche au système de favoriser les grandes fermes au détriment des petits producteurs. «Le problème n'en est pas un d'argent, mais de leadership», soutient-il. Selon Solidarité Rurale, il faut dorénavant mettre le territoire rural au coeur des préoccupations et faire en sorte qu'il y ait du développement dans toutes les régions et pas seulement une concentration dans quelques régions, essentiellement dans la grande région métropolitaine, tant pour l'agriculture que pour la transformation agroalimentaire.
Toutefois, les critiques les plus sévères contre le système agricole québécois et canadien ont été faites par Maxime Laplante, président de l'Union paysanne, en déclarant que le sort des producteurs n'a fait aucun progrès depuis 1940, en ce sens que le revenu net moyen des producteurs canadiens est de moins de 10 000 $ par année. Pendant toutes ces années, on a voulu augmenter la productivité avec le tracteur d'abord, puis l'électrification rurale et diverses autres mesures; on en est maintenant aux OGM à l'ordinateur. «Ça n'a rien changé», a-t-il dit, sauf que ça coûte 1,4 milliard en subventions, en soutien «surtout au volume». M. Laplante mentionne que c'est dans les secteurs sous quota que le nombre de fermes a diminué le plus vite.
L'Union paysanne (UP) adresse de nombreuses critiques quant à la place de l'UPA dans le système, en étant à la fois «syndicat et patron» et «en exerçant un contrôle sur les plans conjoints et le financement de l'agriculture». L'UP demande au gouvernement d'établir une politique agricole «pour nourrir notre population d'abord, pour protéger les ressources, le sol, l'eau et les travailleurs et pour occuper le territoire d'une façon décentralisée». M. Laplante a parlé aussi du droit à l'information et à la démocratie. «Faut-il un, deux ou trois syndicats, faut-il une cotisation obligatoire? Il appartient aux producteurs de décider», a-t-il lancé.
Avant cette avalanche de critiques, les commissaires avaient entendu le président de la Fédération des producteurs de lait du Québec (FPLQ), Marcel Groleau, lequel a notamment soutenu qu'il fallait «obligatoirement des tarifs hors contingent» pour assurer le maintien de la gestion de l'offre et la survie des producteurs laitiers. À cette remarque, Jean Pronovost, président de la CAAAQ, a posé la question suivante: «Pourquoi une industrie robuste comme celle-là ne pourrait pas endurer la baisse des tarifs d'une façon progressive dans le temps?» Dans son mémoire, la FPLQ donne l'explication suivante: «Le constat de la Commission Héon est toujours d'actualité dans le milieu agricole et se manifeste particulièrement dans notre secteur. Au Québec, on retrouve presque 7000 fermes laitières qui approvisionnent une centaine d'acheteurs. Mais trois de ces acheteurs accaparent 80 % de la production laitière. Sans la mise en marché collective, les producteurs de lait québécois devraient se contenter des prix et des conditions de mise en marché que leur offriraient les acheteurs, sans réels pouvoirs pour les négocier». Pour la FPLQ, la baisse des tarifs affaiblirait encore davantage la position de ses membres, en laissant entrer plus facilement des produits laitiers de l'extérieur au-delà du quota actuel de 3 %.
Un autre intervenant en faveur des producteurs fut Gib Drury, président de Quebec Farmers'Association, qui est affiliée à l'UPA depuis 2002. M. Drudy a plaidé en faveur du maintien de «l'agriculture distincte» au Québec, essentiellement le maintien du système actuel, qui à son avis est unique en Amérique du Nord, en ce sens que dans le monde anglophone on favorise le modèle individuel et personnel, alors qu'au Québec le modèle collectif permet, selon lui, d'assurer un marché ordonné et contrôlé.
Enfin, dans la crise financière que vivent les producteurs agricoles, comment les banquiers évaluent-ils leurs compétences de gestionnaire? Selon l'Association des banquiers canadiens, en général les agriculteurs gèrent bien leur entreprise dans les périodes de stabilité, mais dans une période de croissance, alors qu'il faut acheter de nouveaux équipements, la dynamique devient plus difficile. «Le producteur qui suit bien ses dépenses et qui prend des décisions judicieuses passe à travers», concluent les banquiers.
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