« La preuve du pudding, c’est qu’on le mange », disent nos amis anglais avec l’humour pince-sans-rire qui les caractérise. Que ce soit par le chemin Roxham ou sur un radeau en Méditerranée, rien de tel que de voir les migrants cogner à nos frontières pour réviser nos jugements angéliques sur le sujet. À l’automne 2015, combien de Québécois avaient levé le nez sur les inquiétudes des Européens à l’égard de la vague migratoire qui avait alors submergé l’Allemagne ?
Maintenant que l’Europe marche en équilibre au bord du gouffre, au moins faut-il se rendre à l’évidence que les flux migratoires ne représentent pas un problème imaginaire. Un sondage de l’institut YouGov révélait à la fin d’avril que, dans presque tous les pays européens, l’immigration arrivait en tête des préoccupations, avant même la situation économique. Même le président Emmanuel Macron a récemment évoqué « un phénomène migratoire inédit ». Il citait d’ailleurs à l’appui le chercheur et journaliste Stephen Smith, qui raconte dans un livre-choc (La ruée vers l’Europe, Grasset) les conséquences dramatiques que pourrait avoir sur le Vieux Continent la bombe démographique africaine.
Cet ancien journaliste de Libération et du Monde qui enseigne à l’Université de Duke, aux États-Unis, a le mérite de remettre un certain nombre de pendules à l’heure. Il confirme notamment ce que les observateurs lucides avaient vu. Ce ne sont pas les plus pauvres ni les plus nécessiteux des Africains qui cognent à la porte de l’Europe, comme veulent le faire croire un certain nombre d’ONG dont Smith dénonce le « misérabilisme aveugle ».
Ceux qui ont enquêté sur le terrain savent que les plus pauvres restent dans leur bidonville puisque le coût d’une traversée représente plusieurs fois le salaire annuel moyen des pays subsahariens. Ce sont donc plutôt ces « masses sur le seuil de la prospérité », écrit Smith, qui prennent la direction du « paradis européen ».
Car ce que confirme aussi l’auteur, c’est que le démarrage économique de l’Afrique est bel et bien amorcé, même si l’explosion démographique du continent empêche pour l’instant cette croissance de produire les effets escomptés. Smith pointe d’ailleurs les effets néfastes d’une aide au développement qui sert le plus souvent de « rente géopolitique à des alliés dans l’arrière-cour mondiale ».
Comme l’ont montré la plupart des études en France, au Royaume-Uni et au Québec, Smith explique qu’il est illusoire de penser combler le déficit démographique des pays riches par un tel exode. Il réfute aussi cette idée absurde selon laquelle les nouveaux venus (qui entraînent aussi des coûts sociaux évidents) permettraient de payer les retraites des populations vieillissantes des pays riches.
Mais cet exode n’est pas seulement une catastrophe pour l’Europe. Il l’est aussi et surtout pour l’Afrique. Il prive en effet l’Afrique de ses éléments les plus débrouillards et les plus instruits. Bref, de ses forces vives qui pourraient rapidement constituer une véritable classe moyenne. Ce n’est pas un hasard si, en Allemagne, les grandes entreprises se sont réjouies de l’arrivée d’une masse de jeunes travailleurs en partie déjà formés et prêts à l’emploi, parfois pour des salaires inférieurs à ceux pratiqués dans le pays d’accueil.
Le démographe français Emmanuel Todd n’hésite pas, lui, à parler d’une « véritable prédation démographique » et d’un pillage des ressources humaines « plus grave que celui des ressources naturelles », parce qu’« il met en péril le développement des pays qui décollent ». Vue sous cet angle, la politique d’immigration du Canada, qui favorise d’abord les immigrants jeunes, instruits ou qui possèdent déjà un petit pécule, serait loin d’être vertueuse. Elle favoriserait même le pillage des cerveaux qui détruit chaque jour un peu plus les pays pauvres dont les investissements en éducation sont siphonnés par les pays du Nord. Bref, le Canada n’a de leçon à donner à personne en la matière !
Du Royaume-Uni à la Hongrie en passant par la Pologne, l’Autriche et l’Italie, on peut bien se donner bonne conscience en dénonçant les « populistes ». Le résultat, c’est que les migrations massives pratiquées depuis trois décennies ont conduit l’Europe dans un cul-de-sac. Le droit d’accueillir ou pas des migrants touche en effet à l’essence même d’une souveraineté et d’une identité que la plupart des peuples n’entendent pas laisser brader sur l’autel de la mondialisation.
Bruxelles semblerait même sur le point de le comprendre puisqu’elle est imperceptiblement en train de suivre l’exemple de l’Italie et de la France, qui négocient avec les pays africains le retour de leurs ressortissants, dépêchant même des contingents militaires en Afrique pour aider à bloquer les filières qu’empruntent les passeurs. Avant d’agir, faudrait-il attendre que surgisse une nouvelle vague migratoire, qui pourrait venir demain de la Libye ou de l’Algérie ?