Le livre étranger prédomine à 60 % au Québec

Par Ginette Pelland

2006 textes seuls

Institut de la statistique du Québec, sous l'égide de l'Observatoire de la culture et des communications, a publié le 28 septembre 2004 une étude intitulée État des lieux du livre et des bibliothèques, qui traite objectivement de la situation de la littérature au Québec. Cette étude nous apprend notamment ceci: «Or, en occupant une part de marché de près de 60 %, c'est tout de même le livre étranger qui prédomine au Québec» (Marc Ménard, auteur du chapitre 9 de cette étude, «Le marché du livre au Québec: un bilan», page 169).

M. Ménard constate que le marché du livre québécois demeure sous-développé comparativement à ceux des États-Unis et de la France (page 162). Le Québec aurait encore accru son retard par rapport à ces pays au cours des dernières années (page 171).
Selon les analyses statistiques de M. Ménard, le livre québécois de littérature générale compte pour environ 25 % du marché total du livre au Québec (page 170).
Au chapitre 10 de cette même étude, intitulé «Évaluation du marché du livre québécois» et rédigé par Benoît Allaire, on précise d'entrée de jeu qu'un «livre québécois est un livre publié par un éditeur québécois» (page 173). Or, comme les distributeurs de livres québécois distribuent aussi des livres d'éditeurs étrangers, principalement de France, il faut distinguer les livres québécois parmi tous ceux qui sont vendus au Québec.
Les calculs de M. Allaire en viennent au constat suivant : les livres québécois diffusés par les distributeurs québécois comptent pour «28 % de l'approvisionnement du réseau de détail» (page 176). Ce dernier pourcentage concerne surtout les livres de littérature générale, les livres scolaires étant très souvent distribués par les éditeurs québécois eux-mêmes, ainsi que le souligne M. Allaire.
Toute cette étude est hautement intéressante, et j'invite toutes les personnes au Québec qui ont le moindre souci quant à la promotion et à la diffusion de la culture livresque produite ici à prendre connaissance des analyses qu'elle contient.
Quand la créativité littéraire des Québécois est diffusée à moins de 30 %, et ce, dans leur propre pays, il y a avant tout lieu de remettre en question les pratiques commerciales qui aboutissent à un tel auto-génocide culturel plutôt que de pontifier gratuitement et de lancer des jugements de valeur sur l'inanité de nos productions invisibles. Si les livres québécois se retrouvent si peu sur les tablettes de nos librairies, c'est principalement en raison d'intérêts financiers et non à cause de leur pauvre valeur.

En matière d'impérialisme culturel francophone, la France exerce un rôle comparable à celui des États-Unis pour le monde anglophone. Quand on a compris cela et que les chiffres le démontrent, on ne demande pas à la France de venir confirmer ici son colonialisme culturel et commercial et de se prononcer sur la qualité de notre littérature. C'est un réflexe de colonisé. Un autre réflexe typique au colonisé, c'est le mépris qu'il affiche pour ses propres productions culturelles.
J'ai abondamment parlé de tout ceci dans un livre publié ici, Écrire dans un pays colonisé (Trois-Pistoles, 2004). Le trouve-t-on encore en librairie ? À 25 % seulement, parce que c'est un livre québécois ? En fait, ce que le colonisé nie au premier chef, c'est la colonisation et l'exploitation dont il fait l'objet. Au lieu de viser son colonisateur et de le remettre à sa place, il enfonce son semblable, ne se rendant pas compte que, ce faisant, il s'enfonce lui-même.
La qualité de la littérature québécoise, c'est celle que lui reconnaîtront les Québécois quand ils auront enfin accès à 100 % à leur littérature, au Québec même. Le fait que les livres québécois ne soient pas sur les tablettes des librairies en France est pour nous une question d'intérêt tout à fait secondaire. Elle a au mieux le mérite de nous faire réfléchir à ce qu'est un pays souverain, tel la France, qui protège du mieux qu'il le peut sa culture et son marché.
Ce qu'on doit avant tout questionner et résoudre, c'est la présence de nos livres sur nos propres tablettes. Ils s'y trouveront quand nous aurons renvoyé à la France son dumping culturel colonialiste, qui occupe plus de la moitié de notre marché. Quand on est souverain, on exige la réciprocité et on ne se laisse pas envahir par la culture des autres, qui prend toute la place de la nôtre. La France et le Québec sont deux pays tout à fait différents. À quand la non-ingérence et la non-indifférence culturelles de la France à notre égard ? Quand nous le déciderons et agirons solidairement en ce sens.
Ginette Pelland
_ Docteure en philosophie et essayiste, Réplique aux propos récemment tenus par Madeleine Gagnon, David Homel, Philippe Navarro, Carl Bergeron, Marc Cassivi, etc., sur la littérature québécoise


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