Le juge Gomery a joué avec le feu

Chrétien vs Gomery


J’ai beau ne pas être d’accord avec le jugement d’hier, j’ai beau trouver que John Gomery a accompli un travail admirable, un fait demeure : le juge Gomery a couru après.

À plus d’une occasion, il a été incapable de se taire quand la situation le lui commandait. J’avais appelé ça à l’époque son péché de vanité.
Est-ce suffisant pour faire « annuler » les blâmes adressés à Jean Chrétien et Jean Pelletier ? C’est l’avis du juge Max Teitelbaum, de la Cour fédérale, qui a rendu jugement hier. Ce n’est pas le mien.
Mais disons au moins ceci : John Gomery était un juge d’expérience quand il a fait sa première série de commentaires inutiles sur Jean Chrétien et sur le scandale des commandites, après trois mois d’audiences, en 2004 (les balles de golf signées Chrétien, du «small town cheap», le programme géré de manière «catastrophique», Chuck Guité charmant coquin, etc.).
Il a reconnu son erreur et présenté ses excuses. C’était donc un homme averti. Malgré tout, il a récidivé dans des entrevues à la fin de la commission et en signant la préface d’un livre-témoignage sur la commission écrit par le responsable des relations avec les médias, François Perreault.
Dans sa préface, imprudemment, le juge Gomery affirme que le compte rendu de Perreault est « exact ». Or, l’ouvrage distille une hostilité évidente envers Chrétien, sachant pourtant que la commission est attaquée devant les tribunaux par M. Chrétien.
C’était une imprudence près de l’irresponsabilité. Et voilà comment les travaux titanesques de cette commission seront remis en question.
Le juge Teitelbaum a raison de dire qu’un juge, ou toute personne chargée de se prononcer dans une commission, ne devrait s’exprimer sur ce sujet que dans son jugement ou son rapport.
Mais on se demande en quoi le fait d’avoir dit que le programme était géré de manière catastrophique laissait présager un préjugé contre M. Chrétien. La vérificatrice générale l’avait démontré et après quelques mois d’enquête, cela devenait évident pour tout le monde.
Il me semble que le critère, s’agissant d’une commission d’enquête, ne devrait pas seulement être l’apparence de partialité des propos. On devrait examiner le contenu du rapport pour voir s’il témoigne réellement d’un parti pris. Autrement dit, de simples déclarations malheureuses ne devraient pas anéantir des conclusions par ailleurs bien fondées. Elles affecteront la crédibilité de la commission dans l’espace public, ce qui est suffisamment déplorable. Mais annuler des conclusions ?
Effacer l’histoire
Parce que si Jean Chrétien et Jean Pelletier ont fait effacer (en attendant l’appel) quelques paragraphes du rapport Gomery, ils ne récriront pas l’histoire du scandale des commandites.
La preuve, bien étayée, indique sans l’ombre d’un doute que le programme était supervisé étroitement par le bureau du premier ministre. Elle indique qu’on a court-circuité la hiérarchie de la fonction publique pour mieux contrôler le programme. Et que le bureau du premier ministre a été alerté de possibles problèmes, mais a laissé faire.
Le juge Gomery n’a jamais dit que Jean Chrétien et Jean Pelletier avaient connaissance des actes criminels auquel le programme a donné lieu. Il les a blâmés pour avoir rendu possibles les dérapages qu’on a connus et avoir soustrait totalement ce programme politique au contrôle normal de la fonction publique.
N’allez pas croire ceux qui répètent que cette opinion est fondée essentiellement sur les propos de Chuck Guité, le fonctionnaire corrompu qui gérait le programme.
Un ensemble de faits le démontrent clairement : l’agenda de M. Pelletier fait état de 23 rendez-vous avec Guité entre 1996 et 2000, trois fonctionnaires confirment que les deux se rencontraient bien plus souvent. Un document de Pelletier confirme qu’il participait à la sélection des événements (ce qu’il ne nie pas), une note envoyée par Pelletier indique que Jean Carle, du bureau du premier ministre, superviserait le programme ; deux fois la secrétaire du Conseil privé (premier fonctionnaire au Canada) a averti le bureau de M. Chrétien du manque de structure de ce programme ; deux vérifications externes, mystérieusement censurées par leurs auteurs (Ernst & Young), faisaient état des problèmes qu’on connaît en 1996 et 2000 ; Alfonso Gagliano, un ministre à l’éthique élastique, a été mis en charge du ministère responsable du programme après que la ministre Diane Marleau se soit fait dire de ne pas trop poser de questions par le sous-ministre.
Ce sont les faits, tels qu’exposés en détail dans le rapport.
Le juge Gomery a rejeté toutes les hypothèses les plus graves concernant MM. Chrétien et Pelletier – sur le complot visant à favoriser les amis du parti et à renflouer le PLC. La preuve ne les soutenait pas.
Les tribunaux ne se mêleront d’une commission d’enquête que s’il y a dérapage majeur. Un juge n’est pas là pour récrire un rapport d’un commissaire indépendant. Il n’interviendra pas si les conclusions sont « fondées jusqu’à un certain point sur des éléments qui tendent logiquement à démontrer l’existence de faits compatibles avec la conclusion » et si le raisonnement du commissaire se tient.
«Jusqu’à un certain point» : ce n’est pas un critère très exigeant !
Sur le fond, de fait, le juge Teitelbaum n’adresse pas de reproches au juge Gomery. Simplement, ses propos laissent craindre que MM. Chrétien et Pelletier n’ont pas été traités avec équité, dit-il. Une personne raisonnable qui examinerait le dossier en profondeur conclurait nécessairement ainsi, d’après lui.
Je ne suis peut-être pas raisonnable. Il me semble qu’il aurait fallu aller au-delà de ces propos.
Mais il me semble aussi qu’un homme de l’expérience du juge Gomery aurait dû savoir ne pas jouer avec le feu, vu qu’il s’était brûlé une première fois. Voilà qu’une page du rapport vient d’y passer.


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