Le Jacques le fataliste de notre temps. Un tendancieux pontifiant

À propos de Jacques Godbout et de son bel esprit... provincial 

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Tribune libre

Texte de référence : Jean-François Nadeau, « 1995 » 


(Le Devoir du 28 mai 2018) 


Note préliminaire : Ce texte a d’abord été proposé au Devoir même. En vain (derechef). 


***


Je prends un demi-instant pour exprimer ma reconnaissance (citoyenne, dirons-nous) à l’auteur de cette chronique solidement pertinente de Jean-François Nadeau.


Le plus souvent, lorsqu’il est question d’un ouvrage ou d’une sortie publique de l’auteur de Salut Galarneau!, mes cheveux, ou ce qu’il en reste, se lèvent comme un seul homme sur ma tête. Comme de juste, c'est ce qu’il advint à la lecture de l’article de Caroline Montpetit, paru dans l’édition des 19-20 mai du même quotidien. Lequel portait - Ave Cioran - sur De l’avantage d’être né, la toute récente «mise en scène» de Jacques Godbout. Par lui-même. Constat: sens critique quasi-nul de madame. À la limite de la complaisance. Ou de la Pub. Madame Montpetit nous avait habitués à une plume autrement charpentée, ce me semble.


Adolescent et jeune homme, j’ai beaucoup apprécié ce talent polyvalent (l’écrivain, le cinéaste et l’essayiste tout en un). Mais bientôt je dus me rendre à l’évidence, encore jeune inculte dans la vingtaine pourtant, que mon concitoyen (je n’ose écrire compatriote, de crainte de le froisser: ce qui, presque personne ne l’ignore dans le «milieu»,  se produit au quart de tour) était d’abord et avant tout, pour ne pas dire essentiellement — et nonobstant tout l’art, consommé, qu’il déploie en permanence afin que l’auditoire n’y voit goutte —, ce que j’appellerai un tendancieux pontifiant.


Or je constate ici que monsieur Nadeau ne met pas à mal, bien au contraire, ce type d'approche de l’homme de lettres (de pellicules aussi, du moins autrefois: le très, très regretté Philippe Noiret de Nuovo cinema Paradiso nous en est témoin). Ce que, on le comprendra aisément j’espère, préservation naturelle de soi aidant, je ne songerais certes pas à lui reprocher. 


Cela étant, je m’autorise à signaler en complément (mais toujours en vain à ce jour) combien me désole ce Devoir qui — hormis quelques chroniqueurs de qualité, quelques rares membres de la rédaction également (M. Vinet n’a pas tort) — fait dans la banalisation, la condescendance et/ou la désobligeance, voire, qui opte carrément pour l'abstention calculée (grande spécialité, comme on sait, de la très canadian CBC-French), lorsqu’il s’agit de ce qu’il est convenu d’identifier comme la Question nationale.


Un Québec, incidemment, que l’on ramène avec insistance, sous maintes plumes des lieux, et toujours avec empressement, sinon une jouissance à peine dissimulée (n’est-ce pas, M. Fabrice Vil?), à une vulgaire province: concept «administratif» politiquement insignifiant, par définition. Et ce, à l’exemple de ce que nous lisons depuis des lunes, des Jupiter et des Saturne, dans les papiers, fussent-ils désormais exclusivement pixélisés, de la bulldozante machine à propagande appelée Gesca.


Un joli travail d’insignification, il faut bien le dire, comme je me plais - avec grand déplaisir - à l’écrire à l’occasion. De fait, et ce n’est pas rien, même Claude Ryan — ex-directeur du Devoir avant de se métamorphoser, à l’image du héros de La Mouche de Cronenberg (1986), chef du clan du Non en 1980 — eût été inconfortable, j’en suis persuadé, devant pareil déni systématisé. Du Soi collectif. Tout feutré qu'il fût.


Voici pour le coup une Illustration, parmi cent, ou cent une, de cette entreprise de sape, car c’est bien ce dont il s’agit en dernière analyse, qui se généralise de plus en plus ouvertement, depuis quelque deux années. Au sein d’un quotidien que je lis depuis l’adolescence, mais dont je m’éloigne chaque jour un peu plus. Pour cela même.


À savoir (illustration qui révèle parfaitement, à elle-seule, ce modus operandi provincialisant - dans la forme, espace éditorial jusqu’à l'étalage et photos à pleines pages compris, comme dans le fond - d’une rédaction qui n’est pas sans rappeler cette erreur de parcours nommée Benoît Lauzière), le texte de Stéphane Baillargeon publié dans les pages de l’édition de la fin de semaine dernière (26-27 courant).


Papier dans lequel l’auteur n’hésite pas à répéter, sans désarmer, sur quelques lignes à peine (pages 1 et 3 du Cahier B de ladite édition) que Marc Angenot est - je cite et... recite, voire récite - «un professeur émérite», «un grand spécialiste de l’histoire des idées», «un grand historien des idées»... Alouette ! Ah là là, monsieur Stéphane: l’amour passion ne relève-t-il pas de la vie privée?


Or si l’individu encensé n’a pas dit ou écrit que des bêtises dans sa vie intellectuelle, ce dont je ne disconviendrai pas, c’est là, monsieur Baillargeon, faire bien peu de cas des énormités et autres âneries ou sottises que celui-ci, au fil des ans, et des décennies — à l’instar des Charles Taylor et des Pierre Milot de même famille moraleuse, pour ne nommer que ceux-ci au passage (autres «grands» philosophes, of course) —, a pu postillonner, tel un idéologue de taverne, sinon un petit caïd de ruelles, sur l’État du Québec et la nation que celui-ci incarne. 


Mais peut-être, après tout, que l’amour n’est pas uniquement aveugle. Il souffrirait également de surdité. À géométrie variable, bien évidemment. Rien à voir, en revanche, avec La Maladie du même nom dont nous entretenait Sardou en 1973. Simultanément aux Divorcés du défunt Delpech... Ah… ce temps béni (non, pas des colonies, Michel) où on entendait autre chose que de l’American Commercial Song insipide. Partout, partout, partout… Everywhere. So, Anything but Ourselves! Les «diplômés» de QS (certificats d’études! comme on dit autre part), qui se prétendent de Gauche, madame, appellent ça de l’ouverture d’esprit!


Mais ne nous égarons point.


Illustration, dis-je. Car voilà en effet, à mes yeux, comme en précipité, hormis quelques vaillants «résistants», Le Devoir tel que devenu.


Pour une bonne part.


Et qui contenterait fort bien, ma foi, la famille Desmarais. Même atrophiée de son ancêtre. Ainsi que tous leurs Alain Dubuc, Vincent Marissal, Lysiane Gagnon, Marc Cassivi, Yves Boisvert, Michel C. Auger et autres André Pratte de service (ce dernier, pour le coup, retourné à l’envoyeur manière Guy Béart de ma prime enfance). Sans compter, bien entendu, les Gilbert Lavoie de Capitales Médias - «cadeau» combien douteux, ô lessive du mental, de la même Gesca à un certain Martin Cauchon - ex-ministre, on s'en souviendra, du Liberal Party of Canada.


Alors je vous dis Bravo! Jean-François Nadeau.


Pour ce beau texte. Indépendant.


Au sein d’un Devoir qui n’a jamais été, de toute son histoire, amorcée il y a plus de 108 ans, aussi canadian que depuis que monsieur Brian Myles s’en est approprié les rênes il y a quelque 28 mois.


En conséquence, la grosse P(a)resse de Mount Real peut glisser la clé sous la porte sans gémir, ni frémir: les Philippe Couillard de tout acabit, de tous horizons, et à tous les échelons de la société, veillent largement au grain.


La sape du pays de Pierre Bourgault et de Félix Leclerc va bon train.


Un train d’enfer.


Sortez de vos abris, les enfants! Vous n’avez plus rien à craindre.


La Dignité est bel et bien un concept périmé.


Comme la Liberté des peuples. Qui ne serait plus à la mode. Dit-on.


Comme la dernière marque de yogourt en vogue après quelques années sous le soleil de la Saint John.


À attendre le grand Soir.


Avec Godot.


Jacques, quant à lui, avantagé de s’être vu naître, comme on sait, est déjà au lit.


Et ce, depuis longtemps.


C'est l'apanage des gens qui choisissent d'être vieux jeune.


Dommage.


Lecture latérale suggérée: Louis Cornellier, Les généralités de Jacques Godbout (2014)


Complément de dernière heure : Jacques Godbout, Personne n’est parfait (aujourd'hui même, 30 mai 2018), suivi de la repartie immédiate de J.-F. Nadeau. Réaction… réactive ô combien prévisible de Monsieur. Le couteau sur la table. Sinon entre les dents. On constatera au passage le traitement de faveur accordé à notre aîné par Le Devoir. Ce ne sont pas tous les «collaborateurs d’occasion» au journal d'Henri Bourassa (rien à voir avec Robert, bien sûr, le grand pote de Jacques), tant s’en faut, qui ont ainsi le bonheur de se voir publiés illico… Y compris dans le cadre d'un présumé «droit» de réplique. Manière Finkielkraut ou pas. 




Jean-Luc Gouin,


Un vieux loup en Vieux-Limoilou, en Capitale,


ce 30 mai 2018 (ce terrible quantième de l’an 1431) 


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Jean-Luc Gouin94 articles

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Chambrelan du verbe et indocile citoyen de la Cité (les dossiers de la Francité et de la « Question » nationale du Québec l’occupent – et le préoccupent – tout particulièrement), mais également docteur en philosophie diplômé de l'Université Laval et spécialiste nord-américain du penseur allemand Hegel, JLG a publié ouvrages et maint article portant pour la plupart sur celui-ci.



Hegel. De la Logophonie comme chant du signe, son dernier opus, fruit de trente ans de recherche, a été publié simultanément, en 2018, et aux PUL, à Québec, et chez Hermann à Paris.

 

Textes « citoyens » choisis de Jean-Luc GOUIN ( 1995-2018 )

( parmi quelques centaines, qui hélas ne vieillissent pas )

 

•• Les Bilinguistes. Grands sorciers des langues phagocytaires

•• Débat sur la langue dans le quotidien Le Devoir (Été de 1998)

•• Qui sort, digne ! Franchir le miroir de notre schizophrénie collective

•• Le Franc Pays. Québécois ou Québec coi ? (+ de 20 ans plus tard, rien n’a changé...)

•• Le Lys dans le lisier (Ou pourquoi l’Indépendance du Québec, en quelques mots)

•• Aux larmes citoyens ! (anthropoème en hommage à Gaston Miron)

•• Philippe Couillard : Le Philippe Pétain de notre temps (Lettre à mon premier sous - ministre)

•• Autres espaces de réflexion (Société, Culture, Politique... dont : Ouvrez le Feu ! , Liquider pour argent liquide , Halloween. Plaie ou plaisir de l’enfance ? , Interdit de ne pas fumer ! ...) 

•• De l’humain travesti en divin (modeste contribution au projet d’une Charte de la laïcité)

•• Précis sur la malhonnêteté intellectuelle (aussi nommée mauvaise foi)

•• L’Homme Prométhée (une forme de « CQFD » irrésistible aux textes qui précèdent...?)

 

 





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3 commentaires

  • Jean-Luc Gouin Répondre

    6 juin 2018


    Bonjour, 


    J'informe la vigilante communauté vigilienne qu'une « suite » à cette intervention se voit désormais accessible, ici même, chez Vigile (qui l'eût cru, n'est-ce pas ?), sous le titre : Les Catilinaires de sire Alain Maronani.


    JLG


    ce 6 juin 2018


    Autre quantième d’éternelle mémoire de la France (ainsi que de l’Europe) libre 


  • Jean-Luc Gouin Répondre

    2 juin 2018

    Bonjour, 


    Libération, fille de la Délibération


     


    Vous parvenez vous-même à exprimer l'essentiel, M. Verrier. 


    Et pour tout dire, j'ai l'air d'un grand bavard auprès de vous. 


    Ce qui au reste est peut-être vrai. 


    Après tout. 


    Et dieu sait, pourtant, combien il est épuisant de se répéter trente ans durant. Cinquante, me rétorqueriez-vous, dare dare ! (De quoi, je me plains...???) 


    Se répéter. En effet.


    Puisque rien ne change.


    Sinon toujours vers le bas. 


    Ceux du petit garçon d'outre-Outaouais compris. 


    Aux fortes odeurs. 


    De pétrole, comme de bien entendu. 


    Amicalement, 


    JLG




  • Gilles Verrier Répondre

    1 juin 2018

    Merci pour ce très intéressant compte rendu qui rend accessible cette controverse à ceux qui ne lisent pas le Devoir. J'ai suivi tous les liens proposés dans votre tribune. À vous lire, et sans plus connaître Godbout que la moyenne des ours, je n'ai aucune peine à y voir un fat, une impression qui se renforce aux lectures de Nadeau et de Cornellier. Comme vous, je vois aussi un exercice de complaisance chez Montpetit. C'est un petit monde. Godbout offre une belle illustration de l'intellectuel souverainiste qui ne suivait qu'une mode et dont les convictions ne furent jamais que superficielles et opportunistes. Il est aussi le reflet du manque de profondeur sur la question nationale des René Lévesque, Claude Morin, etc., maîtres souffleurs du chaud et du froid. Ils sont le pendant de Godbout dans la sphère politique. J'ai apprécié que Nadeau tienne son bout dans sa réplique à Godbout. Il en faut qui se tiennent debout, comme une rare Martine le fait. Je ne sais pas si par ailleurs Nadeau voulait donner des gages à son employeur, Bryan Miles, mais je ne crois pas, quant à moi, que la petite phrase sur Maurras et Groulx était nécessaire. Nous sommes toujours une nation colonisée en manque de reconnaisance statutaire, en quête d'une égalité à réaliser au sein du Canada ou en dehors. Le discours politique et culturel continue d'être policé par nos maîtres et ceux qui s'y soumettent avec zèle.    


    Cordiales salutations / GV