Le gaz naturel

Tribune libre 2011


La revue Québec Science a publié en novembre dernier un dossier sur les gaz de schistes dans lequel on y explique clairement et sobrement la technologie d’extraction du gaz expérimentée par Mitchell et Penhall au cours de la décennie 80 et surtout, les risques environnementaux associés à cette exploitation. On le sait maintenant, des millions de litres d’eau (± 12 millions par fracturation) additionnés de sable et de produit chimiques sont utilisés et entre 35 % et 50 % de cette eau boueuse remonte avec le gaz, risquant de contaminer les sols agricoles et les eaux de surface, les puits artésiens, les ruisseaux et les rivières. En profondeur, jusqu’à 6 millions de litres d’eau contaminés risquent de migrer vers la nappe phréatique par le chemin ouvert dans les sols fragmentés. Ce n’est pas une vue de l’esprit, car des exemples concrets existent en Alberta et dans différents états américains et pour ces raisons, la population est parfaitement justifié de questionner les pouvoirs publics.
Ce qui m’interpelle surtout c’est le commentaire que le rédacteur en chef de Québec Science, Raymond Lemieux, a publié dans le numéro de décembre 2010 – janvier 2011 sous le titre « La honte du Canada ». Je le cite in extenso :

« Attendez la meilleure : pour extraire le pétrole des sables bitumineux [d’Alberta ], l’industrie utilise chaque jour un volume de gaz équivalent à celui qui sert à chauffer les maisons d’une ville de 6 millions d’habitants. Où pensez-vous qu’elle ira chercher ce gaz pendant 20 ans ou 30 ans ? Ce n’est pas un hasard si la plupart des compagnies qui exploitent le sous-sol gazier québécois viennent de l’Alberta.»

À ma connaissance, aucun média n’a relevé ce commentaire potentiellement explosif de Raymond Lemieux. S’agit-il d’une simple hypothèse ? Une hypothèse vérifiable ? Ou d’un canular de journaliste ?
Regardons cela de plus près. Le ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs a publié en 2004 une étude intitulée « Le secteur énergétique au Québec, contexte, enjeux et questionnements », dans lequel on peut lire ce qui suit :
« Les réserves gazières de l’Alberta montrent des signes d’essoufflement. Malgré le projet de la vallée du Mackenzie, les experts prévoient à moyen terme un plafonnement, voire un déclin de la production canadienne. Parallèlement, la consommation de gaz naturel augmente au Canada et encore plus rapidement aux États-Unis, étant donné la très forte dépendance de nos voisins pour cette forme d’énergie qui alimente les nouvelles centrales de production d’électricité. »


Le développement de la filière du gaz naturel au Québec n’a donc pas nécessairement pour but premier de satisfaire les besoins énergétiques des ménages québécois. Car, le gaz naturel occupe une place somme toute relativement modeste, 13 %, de la satisfaction des besoins énergétiques du Québec. Environ 80 % de cette forme d’énergie est consommée par les secteurs industriel et commercial. Un autre document du ministère québécois des Ressources naturelles, « L’énergie au Québec, édition 2004 » montre d’ailleurs que la consommation du gaz naturel par le secteur résidentiel québécois est à peu près constante au cours des 25 dernières années et tourne autour de ± 650 000 mètres cubes (m3) par année, alors qu’elle a doublé ou triplé respectivement pour les secteurs industriel et commercial.
Comment expliquer cet engouement soudain pour exploiter à tout prix les ressources gazières et pétrolières du Québec ? Il faut probablement chercher des éléments de réponse du côté de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) signé en janvier 1994 par le Canada, le Mexique et les États-Unis. L’article 102-c dit explicitement que l’Accord vise notamment « à augmenter substantiellement les possibilités d’investissement sur les territoires des Parties », alors que l’article 601-2 énonce le principe que « les Parties reconnaissent qu’il est souhaitable de renforcer le rôle important du commerce des produits énergétiques et des produits pétrochimiques de base dans la zone de libre-échange, par une libéralisation soutenue et graduelle. » Et de fait, à partir de 1996, la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) a adopté une série de mesures qui visaient la restructuration du marché énergétique nord américain.
Dans ce sens-là, oui, le commentaire de Raymond Lemieux est une hypothèse vérifiable, mais beaucoup plus large que le seul contexte canadien et des seuls besoins énergétiques de l’Alberta. Ajoutons en terminant, pour le bénéfice des opposants au développement de la filière du gaz de schiste à n’importe quel prix, que depuis la rencontre de Kyoto en 1997, tout développement énergétique des pays signataires, et le Canada est l’un des signataires, doit prendre en considération les impacts qu’il aura sur l’environnement et respecter les principes du développement durable. Il y a ici tous les éléments requis pour mener une guérilla juridique.
Yvonnick Roy
Québec

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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    3 mars 2011

    J'ai eu la même illumination que vous en lisant l'essai d'Andrew Nikiforuk sur les sables bitumineux. Il y est relaté que le procédé de drainage par gravité au moyen de vapeur requiert, en absence de centrale nucléaire, de brûler du gaz naturel, à raison de 40 m3 de gaz par baril de bitume. Déjà le gaz brûlé dans le nord de l'Alberta permettrait de chauffer, en utilisant des données de l'OEE du RNCAN, 10 fois le nombre de ménages québécois.
    Sous ce même rapport de 40 m3 par baril et selon les prévisions de développement des sables bitumineux, le gaz produit dans l'ouest, conventionnel et non-conventionnel, ne suffira plus à approvisionner l'est du pays vers 2030.
    Qui plus est, en produisant du gaz, le Québec, via certaines clauses de l'Alena non-mentionnées dans cet article, sera tenu d'en vendre une partie aux États-Unis. En regard de ce qui précède, le mystère du gaz de schiste au Québec perd en densité...

  • Archives de Vigile Répondre

    3 mars 2011

    Il y a sur Youtube un clip «gaz de schiste : impact sur l'agriculture» qui en dit long sur les impacts négatifs potentiels sur notre économie agricole.
    Michel St-Pierre, consultant en développement organisationnel.