Le gala des «momies»

Et comme prévu, il ne s'est rien passé.

Médias et politique

Ils avaient tous l'air d'être embaumés dans leur costume du dimanche. J'ai attendu pendant deux heures que l'un d'entre eux se lève, histoire de faire quelques pas pour se dégourdir les jambes, que l'un d'entre eux enlève son veston et retrousse ses manches ou qu'il demande simplement la permission d'aller faire pipi, mais ça n'a pas eu lieu. Ils sont tous restés là, comme de bons élèves qui ont peur de la colère du professeur. Et comme prévu, il ne s'est rien passé.
On attendait du sang. Ou une vraie colère. Un geste, juste un geste d'écoeurement. On voulait voir Gilles Duceppe debout, gesticulant, donnant de la voix, ramassant sans les ménager tous ceux qui ont tendance à le traiter comme s'il était sans importance dans leur sanctuaire. On aurait voulu que Stéphane Dion monte sur la table pour nous chanter «J'aurais voulu être un artiste», ou que Stephen Harper laisse échapper un juron bien québécois et bien senti qui nous aurait convaincus qu'il sait enfin ce qu'est la nation québécoise. Mais ça a été peine perdue. Il a souri tout du long comme un chat qui a pris la souris. Jack Layton a continué d'avoir l'air d'un vendeur de chars et il faut bien admettre que l'anglais de Pauline Marois n'a pas à rougir devant le français d'Elizabeth May.
Quand j'étais une petite fille, mon grand-père, avec qui je faisais souvent la promenade d'après le souper, m'avait emmenée au marché Atwater, où avait lieu une grande assemblée publique durant laquelle le maire Camilien Houde devait prendre la parole. Je ne me souviens que de lui. Il m'avait fait peur. Il marchait de long en large sur la scène, gesticulant et criant qu'il fallait que ça change et qu'il fallait sortir la bande de voleurs qu'il y avait à l'Hôtel de Ville. La salle criait, applaudissait, tout le monde était debout.
C'était excitant. Il se passait quelque chose. Mon grand-père mettait ses mains sur mes oreilles, pensant sans doute que certains propos n'étaient pas faits pour mes chastes oreilles. C'était mon premier contact avec la politique et j'ai souvent regretté que cet enthousiasme se soit perdu en route ou qu'il ait été échangé pour des discours somnifères dont le but est trop souvent d'en dire le moins possible tant on est convaincu que «le fameux monde ordinaire» ne peut pas comprendre.
Le cartel des télévisions à qui on doit l'organisation des débats des chefs ne veut pas de débordements. C'est évident. Avec leur formule proprette et totalement aseptisée, leurs règlements hautement civilisés, les responsables du cartel ont réussi à tuer toute envie de faire de ces deux heures un moment important de notre vie démocratique.
C'est pourtant elle qu'on veillait mercredi soir, la démocratie. On veillait au corps, comme on disait dans le temps. On veillait la démocratie, d'une certaine façon, car ce premier débat était tout sauf démocratique. En le réglant comme une feuille de musique, en le mesurant, avec du temps distribué à la miette, le cartel a réussi à faire disparaître la moindre velléité de faire du débat une rencontre vivante avec des politiciens qui acceptent de courir des risques.
Les chefs de parti ne peuvent pas se sentir. Nous le savons. Mais quand l'animateur demande tout à coup à chacun d'entre eux de dire du bien de son voisin de gauche, nous ne sommes pas loin de l'infantilisation. Nous sommes en train de sombrer dans le ridicule au Québec à force de ne vouloir d'affrontement sur rien, de ne pas supporter un vrai débat où des adversaires peuvent se dire franchement ce qu'ils pensent et se donner la main à la fin de la rencontre. Dire du bien de son voisin dans un débat politique, c'est faire de l'angélisme.
Personne ne s'est vraiment démarqué. C'était l'opinion émise après le débat par les analystes et par le public. Donc, le cartel de la télévision va être content. Il va pouvoir affirmer: mission accomplie. Pas d'écarts de langage, pas d'emportement, pas vraiment d'accusations de quoi que ce soit. De 45 secondes en 45 secondes, on a tué le temps. Pas de tache sur les cravates, pas de doigts dans le nez, pas de cigarette, pas d'alcool et pas de petite pépé. On faisait dans le sérieux pour vrai. Pas question de rigoler, car c'est bien connu, on ne rigole pas avec la politique.
On a ressorti les momies pour le show de jeudi soir. On a dû changer le disque pour un disque en anglais. Mais moi, j'avais déjà décidé d'abandonner pour aller voir le débat Palin-Biden. Impossible de toute manière que ce soit aussi «plate» que notre débat en français parce que celui-là, il est imbattable.
La vie politique se meurt dans ce beau grand Canada. La démocratie aussi. L'enquête démontrerait sans doute que c'est la télévision qui les a tuées. Le nivellement se fait par l'image.


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