Faire appel à un organisme d’autorégulation de la profession pour revaloriser le métier de journaliste équivaut en quelque sorte à creuser sa propre tombe.
Le métier de journaliste va mal! C’est du moins ce que l’économiste retient de la proposition des jeunes libéraux d’instaurer le statut de «journaliste professionnel».
Généralement, l’appel à l’arsenal bureaucratique (certification professionnelle, établissement de conditions minimales de travail, accès privilégié à la ressource, habilitation d’un organisme réglementaire, poursuite des contrevenants) est la solution désespérée de ceux qui sont incapables de survivre dans un marché concurrentiel.
La plupart des journalistes aiment à penser que la valeur de leur travail est inestimable: sans eux, l’entreprise qui les embauche, voire notre système démocratique, ne saurait survivre. En réalité, si les journalistes éprouvent de plus en plus de difficulté à négocier leurs conditions de travail, c’est essentiellement parce que la valeur économique de leur travail est à la baisse.
Il n’y a pas si longtemps, le journaliste disposait d’un quasi-monopole sur l’accès à l’information et sa diffusion. Aujourd’hui, tout le monde peut rapporter la nouvelle. Le chien de votre voisin se fait écraser? Il y a fort à parier qu’en quelques clics (vive Google!), vous trouverez une description de l’accident – avec photo ou vidéo à l’appui – sur un blogue, sur YouTube, Facebook ou Twitter... Et tout ça, gratuitement!
Comme l’explique l’économiste américain Robert G. Picard, le problème de nos journalistes est simple: ils sont devenus interchangeables. Ils partagent les mêmes compétences, la même approche des événements, utilisent les mêmes sources et posent des questions semblables. En somme, ils sont facilement remplaçables. Pour preuve, certaines entreprises de presse poursuivent leurs activités commerciales sans réel dommage, et ce, malgré des conflits de travail interminables.
Évidemment, ce ne sont pas tous les travailleurs des médias qui occupent un siège éjectable. Une certaine main-d’oeuvre présente encore une grande valeur pour l’entreprise de presse: celle qui détient une expertise spécialisée ; celle qui possède des connaissances, des compétences ou des habiletés particulières ; celle qui forge l’identité du média, qui différencie le produit et « fait vendre les journaux ».
Aujourd’hui, ce sont les éditorialistes, les journalistes spécialisés, les chroniqueurs et même les caricaturistes qui ont la cote. Simplement parce qu’ils sont plus difficilement interchangeables que leurs collègues généralistes.
Dans cette perspective, faire appel à un organisme d’autorégulation de la profession pour revaloriser le métier de journaliste équivaut en quelque sorte à creuser sa propre tombe. Ce dont le journalisme n’a surtout pas besoin, c’est d’une standardisation des processus de collecte, de traitement et de diffusion de l’information à l’aide d’une quelconque certification professionnelle. Pourquoi? Parce que celle-ci conduira inévitablement au nivelage du travail journalistique, facilitant encore davantage l’interchangeabilité... jusqu’à la dévalorisation du métier, finalement.
Ce dont le journaliste a le plus besoin aujourd’hui, c’est d’innover et de trouver un moyen de créer une nouvelle valeur économique à son travail. Une valeur qui le différencie de la concurrence (des médias sociaux notamment) et qui le rendra indispensable, sinon plus difficilement remplaçable, aux yeux de l’entreprise de presse.
D’ici là, il faudra sans doute cesser d’entretenir le mythe du journaliste objectif, animé par le bien commun, et qui justifie son travail par le droit du public à l’information; cesser de croire qu’une bénédiction de l’État ou d’une corporation professionnelle sauvera la profession. Le véritable défi, s’il en est un, est de repenser le journalisme sans romantisme.
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L’auteur est professeur à l’École nationale d’administration publique à Québec.
Le journalisme sans romantisme
Devenus interchangeables, les journalistes doivent innover
Médias et politique
Pierre Simard13 articles
L'auteur est professeur à l'École nationale d'administration publique à Québec.
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